Quatre ans après avoir conquis les salles obscures avec Jujutsu Kaisen 0, MAPPA transpose au format long métrage l’arc « Trésor caché / Mort prématurée », pivot narratif de la saison 2. Projeté au Japon en mai 2025 et visible en France uniquement les 9 et 10 août, ce film nous entraîne une décennie avant les événements connus, alors que Satoru Gojo et Suguru Geto, encore étudiants de l’école d’exorcisme de Tokyo, se voient confier la protection de Riko Amanai, réceptacle du Plasma Stellaire. Entre menaces d’assassins, pressions d’une secte et fractures idéologiques naissantes, cette mission condense en quelques jours le basculement de deux destins appelés à s’opposer, et expose l’instant précis où la puissance devient à la fois bouclier et fardeau.
En rassemblant cinq épisodes télévisés en un seul bloc, MAPPA opte pour la tension continue plutôt que pour la respiration sérielle : les combats sont resserrés, les transitions fluidifiées, la mise en scène retravaille certains plans pour amplifier l’impact visuel. Ce choix intensifie le rythme et clarifie les enjeux, mais atténue les moments d’intimité qui, à l’origine, laissaient entrevoir l’usure psychologique des protagonistes. Le spectateur y gagne une cohésion et un tranchant immédiat, mais perd une part de la lente montée en gravité qui rendait l’arc télévisé si insidieusement poignant. Ce film, tendu et maîtrisé, peut-il préserver toute la charge émotionnelle d’un arc pensé pour la durée, ou son efficacité concentrée en redessine irrémédiablement la portée ?
L’arc resserré, la fracture accélérée
Le film adapte intégralement les cinq épisodes de l’arc « Trésor caché / Mort prématurée » de la saison 2, ajoutant en épilogue un court Juju Stroll inédit. Ce choix enferme l’histoire dans un format condensé qui resserre les enjeux autour d’un seul axe narratif : la mission confiée à Satoru Gojo et Suguru Geto de protéger Riko Amanai, réceptacle du Plasma Stellaire, jusqu’à son intégration au corps de Tengen. Cette escorte devient la matrice d’une rupture : chaque confrontation avec les mercenaires de la secte Q ou les clans rivaux griffe un peu plus la relation entre les deux exorcistes, transformant un duo parfaitement rodé en deux trajectoires qui commencent à diverger. Là où la série laissait la tension se déposer dans les creux entre deux batailles, la version cinéma efface presque toute respiration : l’usure psychologique se fait plus brutale, moins rampante, et la bascule de Geto vers le doute paraît précipitée.
Riko Amanai, dans ce montage, conserve ses fulgurances d’insolence et ses éclats d’humanité, mais perd les nuances qu’apportaient ses échanges plus calmes dans le format télévisé. Sa complexité se réduit à l’opposition frontale entre insouciance adolescente et conscience soudaine de son destin. Gojo, au contraire, profite de cette condensation : ses démonstrations de puissance occupent l’espace, affirmant son statut d’exorciste invincible et recentrant l’attention sur ses capacités hors norme. Mais cette surexposition gomme en partie les fragilités esquissées dans la série, et donne au personnage une lisibilité presque monolithique.
Les antagonistes souffrent le plus de ce resserrement. Toji Fushiguro, figure centrale de cet arc, garde son charisme glacé et la brutalité de ses interventions, mais son aura en pâtit : l’économie de dialogues et de scènes intermédiaires réduit la construction méthodique de sa menace. Les autres ennemis, déjà périphériques, deviennent pure fonction : ralentir, tester, épuiser les protagonistes. Ce traitement renforce l’efficacité du récit, mais prive certaines confrontations d’une charge émotionnelle durable. En compressant l’arc, le film conserve l’ossature dramatique et la cohérence des enjeux, tout en acceptant de rogner les couches de subtilité qui faisaient de cette histoire, dans la série, une lente et cruelle désagrégation de liens.
La tension comme ligne de conduite
MAPPA met à profit le format cinéma pour lisser les transitions et amplifier l’impact des affrontements. Les séquences d’action, déjà spectaculaires en version télévisée, sont réorchestrées avec une attention accrue au cadrage et à la lisibilité : mouvements de caméra plus amples, gestion plus précise de la profondeur de champ, ralentis ponctuels pour souligner un coup décisif ou un changement de rythme. Cette approche donne aux combats une fluidité qui accentue la dimension chorégraphique sans sacrifier la brutalité des impacts. Pourtant, cette maîtrise formelle s’accompagne d’un resserrement narratif qui réduit l’espace laissé aux scènes calmes : les respirations visuelles existent, mais elles servent presque toujours de tremplin à la prochaine montée en tension.
Le travail sur la lumière et la couleur reste l’une des signatures de MAPPA : contrastes marqués entre les intérieurs feutrés de l’Académie et les extérieurs saturés de Tokyo, éclats de couleurs lors des déchaînements d’énergie maudite, usage contrôlé des ombres pour isoler un personnage ou préparer un renversement de situation. Cette richesse visuelle est soutenue par une animation qui ne fléchit pas, même dans les plans intermédiaires, mais la densité d’effets et de particules peut parfois altérer la lisibilité des plans les plus chargés, surtout lors des confrontations impliquant Gojo à pleine puissance.
La bande originale, composée pour cet arc, joue un rôle essentiel dans le maintien de la tension : nappes électroniques sombres, percussions sèches, ruptures de tempo qui marquent autant les hésitations des personnages que l’imminence du danger. Les thèmes associés à Gojo et à Toji se distinguent par leur efficacité immédiate, mais l’intensité sonore du film repose davantage sur l’énergie globale que sur des mélodies identifiables. Le doublage japonais livre une prestation solide, avec un travail particulièrement affûté sur les inflexions de Geto et d’Amanai, où l’évolution émotionnelle se lit dans la voix autant que dans l’animation faciale. MAPPA conserve ainsi une cohérence esthétique et sonore irréprochable, mais cette recherche de tension permanente peut donner au visionnage une sensation de sur-stimulation, là où l’arc télévisé offrait davantage de paliers émotionnels.
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