Après un premier volume consacré à l’installation des règles et des tensions, le Tome 2 de unOrdinary publié chez NeoToon déploie sa mécanique sans plus de faux-semblants. Dans cet univers scolaire régi par la force brute et l’oppression institutionnalisée, la violence ne sert plus simplement de décor : elle devient le cœur d’une spirale où chaque personnage doit choisir entre subir, manipuler ou exploser. Mais derrière la façade de la tour d’ivoire, Uru-chan, autrice-phare de la scène webtoon, affine son propos.
Ce second tome parvient-il à transformer le chaos ordinaire en critique sociale acérée, ou se perd-il dans le confort du déjà-vu shônen ? La promesse d’un affrontement inévitable se dessine à chaque page, mais la tension narrative suffit-elle à maintenir l’équilibre entre introspection et brutalité ?
Des masques qui se fissurent derrière le sang
Dans ce deuxième tome, unOrdinary abandonne toute illusion d’innocence. Les personnages qui gravitaient en orbite autour de John, antihéros au passé trouble, se retrouvent happés dans une mécanique de tensions, de jeux de pouvoir et d’humiliations répétées. L’écriture d’Uru-chan ne cherche plus à ménager le lecteur : la cruauté scolaire s’expose sans filtre, et l’escalade de la violence impose un rythme nerveux à l’ensemble du récit. Ici, l’école n’est plus qu’un théâtre d’affrontements où chacun défend sa place, son image, sa survie.
Le traitement des personnages, loin de se contenter de stéréotypes de bullies et de victimes, creuse peu à peu l’ambivalence. John, dont la fragilité psychologique devient de plus en plus évidente, incarne cette faille qui menace de tout engloutir. Les secrets de son passé remontent à la surface, bousculant le fragile équilibre des alliances. Seraphina, autre figure centrale, voit sa toute-puissance remise en cause, et le récit prend un malin plaisir à explorer la solitude de ceux que l’on croyait invincibles. Si certains antagonistes restent encore superficiels à ce stade du récit, la dynamique entre domination et résistance gagne en épaisseur, ouvrant la voie à une véritable analyse de la violence systémique et des logiques de survie.
Le tome 2 transforme l’école en arène, mais il y insuffle une charge émotionnelle plus dense, moins manichéenne, où la ligne entre victime et bourreau s’efface à chaque chapitre. L’écriture, plus acérée, donne corps à une galerie de personnages en crise, pris au piège de leurs propres contradictions. Ce choix structure la narration, pousse à l’inconfort, et impose à unOrdinary une identité plus adulte, plus dure, mais aussi plus risquée.
L’impulsion graphique, le découpage et la tension du non-dit
Dans ce Tome 2, la structure narrative s’aiguise et la mise en scène s’affirme, révélant tout l’art du découpage webtoon maîtrisé par Uru-chan. Chaque chapitre jongle habilement entre éclats de violence sèche et plages de silence lourd, exploitant le format vertical pour exacerber l’attente, isoler une émotion, ou plonger dans la subjectivité du regard de John. L’accélération soudaine du rythme lors des confrontations contraste avec la lenteur des séquences introspectives, sculptant un ballet de tension et de relâchement qui interdit toute lecture passive.
La gestion du suspense s’appuie sur un jeu de cadrages resserrés, de variations d’angles et de ruptures visuelles qui fragmentent l’espace, enfermant les personnages dans des cases comme dans leurs propres schémas de pensée. Les transitions, parfois brutales, traduisent le chaos intérieur d’un protagoniste en crise, et donnent à chaque affrontement une densité inédite. Ce choix formel, loin d’être décoratif, traduit la violence psychologique autant que physique, et impose un rythme syncopé, percutant, qui distingue unOrdinary des shônen scolaires plus conventionnels.
Si la formule du cliffhanger reste omniprésente – héritage du feuilleton webtoon oblige – elle ne sert pas qu’à relancer artificiellement l’intérêt, mais orchestre une montée progressive de la tension, jusqu’à la rupture attendue. Le lecteur est constamment ramené à la frontière entre anticipation et inconfort, propulsé par une narration qui refuse le confort et l’immobilisme.
Les couleurs du trauma, la violence au bout du trait
Sur le plan visuel, le Tome 2 d’unOrdinary accentue le contraste entre une palette éclatante et la noirceur des thèmes abordés. Uru-chan emploie des couleurs franches, saturées, qui tranchent avec la brutalité des situations et soulignent le malaise permanent. Les jeux d’ombre servent à marquer la bascule psychologique, accentuant le regard vide de John ou l’isolement progressif de Seraphina dans les couloirs de l’école. Le style graphique, fidèle à la tradition du webtoon numérique, mise sur la clarté du trait, la lisibilité des émotions et la force des expressions faciales – chaque crise, chaque humiliation, chaque montée de colère est rendue par une distorsion visuelle qui fait exploser la violence sous la surface.
Les arrière-plans, souvent minimalistes, laissent la part belle aux personnages et à la mise en scène de la domination ou de l’effondrement. Ce choix d’épure favorise la tension dramatique, concentre l’attention sur les non-dits, et inscrit chaque case dans une dynamique de confrontation. Les effets graphiques – éclairs, ondes de choc, déformations du décor – ne servent pas seulement de surlignage spectaculaire : ils révèlent l’état d’esprit des protagonistes, matérialisent le trauma, et inscrivent la narration dans une surenchère parfaitement assumée.
La bande-son, quant à elle, reste absente du format papier. Mais l’intensité du découpage, le travail sur les silences visuels et la montée des tensions créent une ambiance sonore fantôme, qui s’impose d’elle-même à la lecture. L’absence de bruit réel devient alors un choix, amplifiant la violence muette de chaque face-à-face.
0 commentaires