Certains jeux indépendants prennent racine dans l’humilité et la sincérité. D’autres, dans une ambition mal canalisée, tentent de masquer leur vacuité par un concept tape-à-l’œil. Sorti le 21 avril 2023 sur Nintendo Switch, Zoeti appartient à cette seconde catégorie, mais ne se donne même pas la peine d’en dissimuler les coutures.
Développé par Dusklight, un jeune studio taïwanais, et édité par Akupara Games, le titre promettait une rencontre atypique entre le roguelite tactique et le jeu de poker traditionnel. Une promesse intrigante sur le papier, enrichie par une direction artistique naïvement colorée et une narration structurée en scénarios multiples. Mais très vite, les cartes s’effilochent, la mécanique s’emballe, et l’enchantement se transforme en longue litanie de clichés, de maladresses et d’inspirations mal digérées.
Zoeti ne cherche pas à réinventer un genre. Il tente, maladroitement, de fusionner des mécaniques dissonantes dans un écrin qui veut tout convoquer sans jamais maîtriser les éléments qu’il assemble. En résulte une expérience ludique qui agite le drapeau de l’originalité comme un leurre, pour mieux dissimuler l’absence d’âme qui ronge ses fondations.
Peut-on encore s’émerveiller d’un jeu qui fait du poker un moteur narratif, tout en confondant provocations gratuites et subtilité ? Est-il possible d’accepter un RPG stratégique qui dilue sa promesse dans une soupe fade d’archétypes surannés ? À cette question, Zoeti apporte une réponse aussi bruyante que déconcertante.
Trois élus pour une prophétie d’occasion
Dans l’univers de Zoeti, les récits se construisent sur les ruines d’un mythe érodé. Jadis, une déesse bienveillante et sa némésis démoniaque s’affrontèrent jusqu’à l’anéantissement. De cette confrontation ne subsista qu’un monde fracturé, colonisé par des monstres issus du sang du mal, tandis que la divinité lumineuse bénissait, dans un dernier souffle, quelques élus chargés de préserver l’équilibre. C’est dans ce cadre que vous prenez part à trois récits entrecroisés, portés par Valentina, Alvès et Nicora, archétypes d’un trio classique — la chevalière, le voleur, la magicienne — que l’on aurait juré tout droit sortis d’un générateur de personnages génériques.
L’écriture, loin d’embrasser la richesse mythologique qu’elle effleure, s’enferme dans un schéma narratif convenu, sans tension ni crescendo. Chaque scénario déroule une trame linéaire où le développement émotionnel des héros est abandonné en route, sacrifié sur l’autel d’une aventure balisée, qui ne parvient jamais à tisser un lien durable entre le joueur et ses avatars. Les dialogues, au lieu d’enrichir l’univers, s’embourbent dans des sous-entendus forcés, flirtant trop souvent avec une vulgarité malvenue qui tente maladroitement de faire exister les personnages par la provocation.
La mise en scène repose sur des figures tutélaires fades, comme cette mentore succube introduite dès le tutoriel, affublée d’une tenue aussi peu subtile que son rôle narratif. Là où un contraste de tempérament ou de philosophie aurait pu nourrir un propos plus nuancé sur la vocation des protagonistes, Zoeti choisit l’excès formel : courbes accentuées, cuir moulant et répliques racoleuses, le tout emballé dans une esthétique qui prétend au second degré sans jamais l’assumer pleinement. L’effet produit est tout autre : une lassitude persistante face à une galerie de stéréotypes à peine déguisés.
Les personnages secondaires n’échappent pas à cette tendance. Leur existence n’est qu’utilitaire, réduite à des fonctions de narration ou à des obstacles mécaniques. Aucun n’offre d’aspérité, de mémoire marquante, ou de voix propre. Ils apparaissent, déclament une ou deux lignes creuses, puis disparaissent, comme des spectres oubliables dans une fable sans souffle.
Il résulte de cette construction narrative une sensation d’artificialité constante. L’univers mythologique esquissé en toile de fond n’est jamais véritablement exploré. Il reste un prétexte, un décor peint à la va-vite pour donner l’illusion d’un monde vivant, alors que chaque scène, chaque ligne de texte semble écrite pour cocher une case plutôt que pour créer du sens.
Poker menteur sur tapis piégé
Derrière son vernis de roguelite tactique, Zoeti déploie un système de jeu construit autour d’une idée séduisante : transposer les combinaisons du poker dans un système de combat au tour par tour. Ici, point de cartes illustrées à collectionner ni de compétences modulables à l’infini. À chaque tour, votre personnage pioche une main de cinq cartes issues d’un jeu standard, et selon le tirage — paire, brelan, couleur, suite — déclenche une capacité associée. L’intention est claire : marier hasard et stratégie dans une boucle de combat dynamique, où chaque main devient un pari calculé.
Mais très vite, la promesse se fissure. Car derrière l’originalité affichée, le jeu révèle une mécanique bancale, victime de sa propre rigidité. Chaque combinaison n’est liée qu’à une seule compétence, choisie préalablement dans un éventail pléthorique. Le joueur ne peut en équiper que cinq simultanément, correspondant aux cinq combinaisons principales, reléguant toutes les autres capacités à l’oubli. Cette contrainte apparemment tactique étouffe en réalité toute flexibilité : il est fréquent de se retrouver incapable d’agir efficacement simplement en raison d’un tirage inadapté à la situation.
Le problème s’aggrave selon les personnages. Valentina, par exemple, possède un éventail de compétences défensives permettant d’augmenter l’armure temporaire. En théorie, cela favorise une approche prudente et méthodique. En pratique, il arrive souvent de gaspiller plusieurs tours à renforcer une défense inutile face à un ennemi déjà à l’agonie, simplement parce que la pioche ne propose rien de plus pertinent. L’impression d’avoir un impact sur le combat se dissout alors dans une suite d’actions automatiques, dictées non par votre stratégie mais par l’arbitraire des cartes.
Cette frustration s’exacerbe dans les affrontements avancés, où les effets aléatoires déterminent trop souvent l’issue d’un combat. Certes, des artefacts sont récupérés en chemin pour renforcer vos statistiques ou modifier les effets des compétences. Mais leur gestion se heurte à une interface alambiquée, à la lisibilité déficiente, qui alourdit chaque retour dans les menus au lieu de fluidifier la progression.
Les embranchements sur la carte proposent, comme tout bon roguelite, des chemins divergents avec des événements aléatoires, des combats d’élite ou des boutiques. Pourtant, leur faible variété finit par engendrer une lassitude rapide. L’exploration n’est jamais stimulante, et les surprises manquent cruellement de mordant. Aucun effet domino, aucun retournement mémorable ne vient enrichir l’expérience. Chaque partie finit par ressembler à la précédente, à peine modifiée par une relique tirée au sort ou une compétence remplacée.
Le concept de base aurait pu engendrer un jeu tactique subtil, où le risque serait une ressource à manier avec doigté. Mais Zoeti ne parvient jamais à faire de son système un moteur d’exaltation. L’aléatoire y devient une punition, la stratégie une illusion, et le plaisir de jeu s’évapore dans une boucle dont on saisit vite les limites.
Masquer l’ennui sous une couche de vernis
Visuellement, Zoeti opte pour une esthétique légère, presque enfantine, où chaque élément semble dessiné à la main, comme pour désamorcer la brutalité des affrontements. Le choix artistique rappelle certaines productions mobiles, avec ses couleurs saturées, ses contours marqués et ses arrière-plans minimalistes. Si l’ensemble possède une certaine cohérence graphique, il peine pourtant à créer une atmosphère distinctive. Rien, dans les décors ou les animations, ne donne l’impression d’un monde tangible. Les environnements se répètent, les effets visuels sont fonctionnels mais sans éclat, et l’univers conserve cette impression constante de vitrine désespérément figée.
Les modèles des personnages jouables manquent de finesse. Leurs postures figées lors des dialogues, leurs expressions figées, et leur design caricatural réduisent toute tentative d’empathie à néant. Là où un soin particulier aurait pu permettre de donner corps et chair à Valentina ou Nicora, tout semble au contraire animé par une inertie mécanique, comme si le moindre effort d’animation avait été absorbé par les tenues suggestives des mentor(e)s secondaires.
L’ensemble souffre aussi d’un cruel manque de mise en scène. Les combats, pourtant au cœur de l’expérience, se déroulent dans des arènes figées, où seuls les effets lumineux des attaques viennent troubler l’immobilité ambiante. L’impact visuel des coups, la sensation de force, la mise en valeur des capacités spéciales : tout manque de souffle. Les animations se répètent, les effets sonores sont discrets voire absents, et aucune séquence ne vient briser la monotonie d’une interface qui semble conçue pour accompagner un tutoriel infini.
Côté bande-son, l’accompagnement musical se contente d’un habillage fonctionnel. Quelques pistes se démarquent par leur tentative de créer une ambiance mystérieuse ou héroïque, mais l’ensemble demeure générique, sans identité propre. Rien ne reste en tête, rien ne surprend. Le jeu donne l’impression d’avoir été conçu pour être joué en sourdine, comme si son propre univers sonore lui faisait honte. Les doublages, quant à eux, brillent… par leur absence : aucun effort d’interprétation vocale n’a été intégré, et le texte seul peine à porter l’intention des dialogues, déjà affaiblis par une écriture pauvre.
Même la traduction française, bien que présente, oscille entre maladresses, approximations et choix lexicaux douteux. Si elle permet de rendre le jeu plus accessible, elle n’élève jamais l’ensemble, et se contente de reproduire les lourdeurs du texte original sans le transcender.
Dans un titre qui mise autant sur la présentation que sur son système de jeu atypique, le constat est limpide : Zoeti ne propose ni richesse visuelle, ni ambiance sonore mémorable. Il survole ses promesses esthétiques sans jamais s’y ancrer, et laisse au joueur une impression d’anonymat artistique, comme si chaque élément n’avait été conçu que pour occuper l’espace sans jamais raconter quoi que ce soit.
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