Derrière l’éclat de ses cristaux et les éclaboussures de couleurs pastels, Yohane The Parhelion – Numazu in the Mirage cache un curieux mélange entre douceur mélodique et tension stratégique. Développé et édité par BeXide, studio japonais encore discret hors de ses terres, ce titre paru le 22 février 2024 sur Nintendo Switch se veut à la fois hommage à l’univers de Yohane et tentative audacieuse d’exploration mécanique à travers le prisme du deckbuilder roguelike.
Adaptation directe d’un animé méconnu en Occident, ce jeu place Yohane, voyante approximative et ex-idole à la voix rocailleuse de lucidité, au cœur d’une odyssée onirique où les prédictions s’écrivent avec des cartes, des combos et des décisions à double tranchant. Mais ici, pas de lente transposition paresseuse : Numazu in the Mirage convoque le hasard et le calcul, l’échec temporaire et la récompense longuement méritée. Chaque session est un reflet de soi, déformé par la logique capricieuse d’un miroir magique qui ne montre jamais deux fois le même visage.
Sur le papier, peu d’éléments laissaient présager une telle ambition. Et pourtant, entre ses choix scénaristiques intelligents, son habillage artistique chatoyant et son gameplay affûté, l’œuvre de BeXide semble bien décidée à se faire une place dans le panthéon des adaptations japonaises réussies. Mais une question demeure, suspendue comme un sort lancé au hasard : cette aventure ésotérique possède-t-elle vraiment la magie nécessaire pour envoûter au-delà de ses fans d’origine ?
La diseuse d’oracles et le loup aux yeux d’encre
Le miroir ne ment jamais. Ou plutôt : il dit la vérité que vous avez peur d’entendre. Dans Yohane The Parhelion – Numazu in the Mirage, chaque reflet est un monde, chaque prédiction une faille dans le réel. Loin de se contenter d’aligner des vignettes tirées d’un animé, BeXide construit ici un récit original, ancré dans l’univers de Yohane mais détourné à travers une mécanique narrative à la fois légère et subtile.
Vous incarnez Yohane, voyante de fortune sans génie particulier, retranchée dans la petite ville de Numazu, aux côtés de Lailaps, loup silencieux dont les crocs cachent une tendresse inavouée. Dès les premières minutes, la complicité entre ces deux figures s’impose comme l’ancrage émotionnel du récit. Loin d’un duo comique, ce tandem fonctionne comme les deux pôles d’une même boussole : l’un vacille, l’autre stabilise. L’un cherche, l’autre observe. Et derrière les dialogues malicieux, portés par les Seiyū d’origine, se dessine un lien sincère qui dépasse les archétypes habituels.
L’histoire débute sur un faux pas – une prédiction erronée, un malaise, un miroir trouvé presque par hasard – et bascule dans une dimension parallèle aux règles mouvantes. Ce “Monde Miroir”, où chaque incantation de Yohane déclenche une distorsion, devient alors le théâtre d’un scénario fragmenté, pensé comme une succession de saynètes reliées par un fil rouge introspectif. À chaque retour de run, de nouveaux fragments s’ajoutent à la fresque, et la narration vous pousse doucement à recoller les morceaux d’une intrigue jamais tout à fait linéaire.
Ce choix structurel évoque la liberté du Visual Novel, mais évite l’écueil du bavardage en intégrant les séquences dialoguées dans un rythme globalement bien maîtrisé. Les portraits statiques s’animent légèrement, les boîtes de dialogue respirent, et l’écriture, sans esbroufe, parvient à faire exister une galerie de personnages secondaires familiers pour les fans, cohérents pour les nouveaux venus.
La force du récit repose surtout sur la capacité du jeu à jouer avec les conséquences. Chaque prédiction, chaque décision prise dans le Monde Miroir, résonne dans la réalité de Numazu. Ce va-et-vient donne au scénario un souffle cyclique et une cohérence rare dans le genre. Les aventures que vous vivez dans ce monde miroitant ne sont pas de simples parenthèses, mais des catalyseurs narratifs. Ce miroir ne reflète pas seulement Yohane : il la transforme, et façonne une version d’elle-même capable d’apprendre, de changer, et surtout de douter.
Bien que l’intrigue n’emprunte jamais les sentiers de la tragédie ou du drame pur, elle développe un ton mélancolique teinté d’humour, à l’image de son héroïne. Yohane n’est ni une élue, ni une guerrière, ni une sauveuse. C’est une jeune femme bancale, perdue dans ses propres certitudes, et c’est précisément ce qui la rend touchante. Loin des arcs de rédemption classiques, le jeu choisit la piste plus sinueuse du tâtonnement affectif et de la progression personnelle. Une boucle narrative douce, étrange et attachante.
Du miroir naissent les chemins
Derrière son esthétique de série animée repose une mécanique d’une rare finesse, patiemment bâtie sur les fondations solides du roguelike et du deckbuilder. Yohane The Parhelion – Numazu in the Mirage n’emprunte pas les sentiers balisés de ses aînés ; il trace sa propre voie, en juxtaposant des boucles de gameplay efficaces à un récit évolutif. Chaque run, chaque bifurcation, chaque récompense devient une brique de progression dans une structure qui ne cesse de s’adapter à vos décisions.
Tout commence dans la boutique de Yohane, hub narratif et stratégique, depuis lequel vous choisissez vos prochaines explorations dans le Monde Miroir. Trois choix majeurs y coexistent : avancer dans l’intrigue principale, sélectionner des objectifs secondaires ou optimiser votre arsenal magique. Dès que vous vous engagez dans une aventure, le jeu génère une carte modulaire, dont les nœuds proposent combats, événements aléatoires, trésors, ou marchands, dans une logique inspirée des meilleurs roguelikes contemporains.
Le rythme de ces explorations repose sur une dynamique simple mais captivante : anticiper, choisir, risquer. Chaque embranchement vous impose un arbitrage entre sécurité et opportunité. Une halte permet de renforcer une carte ou de se soigner partiellement, une boutique ouvre la porte à l’expérimentation de nouvelles synergies, un affrontement d’élite offre un butin à la hauteur de sa difficulté. Ces choix, fréquents et significatifs, dessinent des runes invisibles sur votre parcours, jusqu’à la confrontation finale contre un Nightwicked, gardien d’arène aux patterns uniques.
Le système de réputation, gagnée en remplissant des objectifs secondaires, introduit une couche stratégique supplémentaire. Cette monnaie symbolique permet de débloquer des améliorations persistantes entre les runs, rendant chaque échec formateur et chaque réussite gratifiante. Le jeu se construit ainsi sur une boucle de progression intelligente, qui équilibre parfaitement challenge immédiat et développement sur le long terme.
Mais c’est dans l’art du deckbuilding que le titre révèle toute sa richesse. Chaque combat se joue au tour par tour, avec un deck que vous façonnez carte après carte, run après run. Attaques, défenses, effets de pioche, soins, buffs… les options se multiplient avec élégance, portées par des illustrations expressives et une fluidité d’exécution remarquable. Le système de points d’action, limité à trois par tour, incite à une gestion méticuleuse de vos ressources, et récompense l’anticipation bien plus que l’agressivité pure.
Les combos émergent naturellement : une carte réduisant le coût d’une autre, une invocation posée au bon moment, un charme passif qui inverse l’issue d’un affrontement… Ces mécaniques se croisent, se répondent, et s’intensifient au fil des runs. À cela s’ajoute la présence d’alliés invoqués, entités aux effets variés qui agissent de manière autonome durant quelques tours. Leur gestion devient vite centrale, car combiner certaines présences libère des affinités cachées, offrant des bonus puissants.
En parallèle, vous collectez des charmes, ces artefacts passifs qui influencent profondément chaque run : gain de défense automatique, augmentation de dégâts en fonction de la vie manquante, ou capacité à affaiblir l’adversaire dès l’ouverture du combat. Leur sélection, au cœur des choix tactiques, introduit une part de construction hors deck qui étoffe les possibilités sans jamais les diluer.
Chaque session devient alors un puzzle mouvant, une confrontation entre vos décisions passées et les opportunités présentes. Plus vous avancez, plus le système vous pousse à adapter vos cartes à la situation, à faire évoluer vos certitudes. La difficulté s’élève, mais avec elle grandit aussi la sensation de maîtrise. Loin de provoquer un mur, cette progression dessine une courbe ascendante où l’échec devient source d’apprentissage, et la victoire un aboutissement logique.
Le résultat est une alchimie ludique maîtrisée, qui transforme chaque run en aventure complète. Une aventure où les mécaniques s’entrelacent avec le récit, où le hasard s’incline devant la stratégie, et où l’intelligence de jeu ne se mesure pas à la puissance brute, mais à la capacité d’adaptation.
Mirages dessinés à l’encre du rêve
Tout dans Yohane The Parhelion – Numazu in the Mirage évoque un carnet de croquis animé, délicatement teinté d’irréel. Loin d’une surenchère technique, le titre de BeXide préfère l’élégance des formes simples à la grandiloquence des textures, et c’est justement ce choix esthétique qui lui confère sa force. En optant pour un cel shading maîtrisé, le jeu réussit à recréer avec fidélité l’ambiance visuelle de l’animé d’origine, tout en offrant une cohérence visuelle remarquable dans les moments d’action comme dans les séquences plus posées.
Les décors, souvent stylisés, suggèrent davantage qu’ils ne détaillent, et laissent à l’imagination le soin de combler les vides entre les aplats de lumière. Les environnements du Monde Miroir jouent sur des ruptures chromatiques franches : les arènes de combat prennent des allures de scènes suspendues dans le vide, tandis que les boutiques et interfaces renvoient à un univers mystique empreint de symbolisme. Le contraste entre les teintes vives et les zones d’ombre produit une impression de monde évanescent, toujours sur le point de se dissoudre comme une vision.
Chaque personnage est animé avec une précision respectueuse du matériau de base. Les expressions sont exagérées avec une justesse rythmique qui fait mouche, notamment lors des invocations et des mini-saynettes déclenchées en plein run. Ces petites scénettes, jamais trop longues, donnent vie au jeu sans casser son tempo. Elles viennent habiller l’action d’une couche de théâtralité bienvenue, entre comédie légère et envolées magiques.
Côté performances, le titre affiche un framerate stable, constant même dans les phases de combat les plus chargées. Sur Nintendo Switch, la lisibilité reste optimale en mode portable comme sur écran, et le moteur se montre d’une fluidité exemplaire, avec des transitions douces et une absence notable de ralentissements.
L’accompagnement sonore, lui, joue la carte de la subtilité enchantée. Les musiques, sans chercher à s’imposer, viennent souligner les instants-clés par des nappes mélodiques à base de percussions légères, de piano flottant ou de chœurs discrets. Chaque zone, chaque étape du Monde Miroir s’habille d’un thème musical unique, parfois mystérieux, parfois rieur, toujours adapté à l’émotion qu’il cherche à amplifier. Le résultat est un univers sonore cohérent, évocateur, qui ne cherche jamais l’épate mais accompagne avec justesse.
Les bruitages contribuent également à l’immersion : l’attaque d’une carte déclenche un flash sonore cristallin, la pose d’un charme résonne comme une sentence divine, l’apparition d’un allié s’accompagne d’un petit jingle reconnaissable. Ce soin du détail sonore donne à chaque action une matérialité satisfaisante, renforçant la sensation d’impact et la clarté des combats.
Enfin, le doublage japonais, assuré par le casting original de la série, apporte une véritable chaleur à l’ensemble. La voix de Yohane, toujours sur la ligne fragile entre enthousiasme naïf et exaspération comique, incarne parfaitement l’âme du personnage. Lailaps, tout en retenue, vient lui opposer un contrepoint calme et grave. Chaque échange est un moment d’équilibre vocal, où l’humour côtoie la tendresse, et où les silences deviennent eux-mêmes porteurs de sens.
Échos techniques d’un miroir sans faille
Derrière son atmosphère rêveuse et son gameplay calibré, Yohane The Parhelion – Numazu in the Mirage déploie une structure technique étonnamment solide, presque discrète dans sa fiabilité. Sur Nintendo Switch, la fluidité reste constante, que ce soit en mode portable ou sur écran TV, et le rendu visuel ne souffre d’aucune concession marquante. Les temps de chargement sont réduits à leur strict minimum, garantissant un enchaînement fluide des runs et des séquences narratives.
Le jeu se distingue également par sa clarté d’interface. Les boîtes de dialogue affichent un excellent contraste, les cartes restent lisibles même dans l’action, et les menus présentent toutes les informations nécessaires sans jamais saturer l’écran. La navigation entre les différents segments du jeu — histoire, quêtes secondaires, personnalisation — s’effectue avec une logique intuitive, pensée pour limiter les frictions.
La conception sonore, déjà évoquée dans la section précédente, mérite un dernier mot sur le plan de l’ergonomie : le mixage audio a été équilibré avec soin. Chaque couche sonore — voix, musiques, effets — bénéficie de son propre espace, sans jamais se chevaucher ou empiéter sur les autres. Ce raffinement discret renforce la lisibilité des affrontements et la précision des retours sonores.
Le titre ne propose aucun mode multijoueur, ni local ni en ligne, mais s’inscrit pleinement dans une expérience solo construite autour de la répétition signifiante et de l’amélioration continue. En retour, cette orientation permet un équilibre méticuleux du gameplay et une expérience maîtrisée de bout en bout, sans perturbation externe.
Le contenu annexe, bien que désigné comme “secondaire”, s’intègre parfaitement à la structure principale. Les objectifs bonus présents sur la carte miroir se fondent naturellement dans l’exploration et offrent de précieuses récompenses. Ces activités additionnelles, jamais superflues, participent à l’enrichissement des runs et de la progression globale.
En termes d’accessibilité, le jeu fait preuve de souplesse. Les textes sont affichés dans une typographie lisible, la navigation au stick reste fluide, et les mécaniques s’expliquent de façon progressive. Seule la langue, uniquement disponible en anglais à ce jour, peut représenter une contrainte pour une partie du public — barrière linguistique d’autant plus notable que le titre accorde une importance réelle à ses dialogues.
Enfin, malgré sa dimension modeste, Numazu in the Mirage se distingue par une stabilité technique exemplaire. Aucune chute de performance, aucun bug bloquant, aucune incohérence majeure n’est venue troubler l’expérience lors des runs ou des phases d’exploration. BeXide livre ici une production propre, stable et étonnamment polie pour un projet de cette envergure.
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