Développé par Monkey Craft et publié par Bliss Brain Corporation, WONDER BOY: ASHA in Monster World est sorti sur Xbox Series le 3 juillet 2025, enveloppant la console d’un parfum de souvenir trop bien repassé. Ici, la quête d’Asha n’est plus l’ébauche d’un rêve, mais la répétition appliquée d’un mythe réanimé pour la galerie.
Sous la lumière froide de la nostalgie, la fable retrouve ses couleurs, mais la magie du retour sait-elle défier l’érosion du temps, ou livre-t-elle au joueur une aventure immobile, incapable d’inventer son propre vertige ?
Le mythe dompté et la fable rendormie
Dans WONDER BOY: ASHA in Monster World, la narration ne vise jamais la conquête mais la restitution docile. Le jeu reproduit scène après scène la structure de l’œuvre d’origine : découpage du monde en chapitres-étapes, alternance de cités, de palais et de donjons, retour constant à la ville-hub pour valider chaque progrès. Ce choix, s’il rassure par sa clarté, fige la progression dans une linéarité sans suspense : aucune bifurcation dramatique, aucun point de rupture, chaque séquence rejoue la boucle de la rencontre, de la libération, du passage à l’acte suivant.
Asha, figure centrale, souffre d’une écriture trop lisse : son charisme tient tout entier dans la détermination, mais le doute, la peur ou la colère ne percent jamais le vernis. Ses dialogues s’apparentent à des balises : elle encourage, elle s’étonne, elle remercie, mais ne construit ni attachement ni tension avec les autres figures du récit. Même son compagnon Pepelogoo, pourtant mis en avant dans la communication, n’est jamais qu’un outil mécanique et une ponctuation de dialogues, sans existence propre ni arc d’évolution. Les alliés, commerçants ou gardiens, n’interviennent qu’en soutien fonctionnel. Les antagonistes, boss inclus, n’ont pas de dimension tragique ou ambiguë : ils symbolisent l’obstacle, jamais l’altérité ou la menace.
Le rythme s’essouffle à mesure que le joueur anticipe la structure : le manque de séquences cinématiques, la pauvreté de la mise en scène et l’absence de surprise dramaturgique condamnent l’intrigue à l’effacement. La nostalgie, censée porter le charme du jeu, se retourne ici contre le récit : chaque hommage devient répétition, chaque clin d’œil annule la tension de la découverte, chaque retour au passé fait obstacle à l’éclosion d’un imaginaire neuf. La mémoire du joueur chevronné, loin d’amplifier l’émotion, l’éteint à mesure que le remake s’interdit la moindre prise de risque narrative.
Asha traverse son aventure sans jamais en éprouver la gravité : le conte se délite dans l’enchaînement, la lumière promise reste prisonnière de l’anecdote, et la magie du départ n’est jamais réactualisée par l’écriture. Le résultat, ni honteux ni inspiré, est celui d’une fable neutralisée, où l’on suit une carte postale mouvante plutôt qu’un récit vivant.
La mécanique du confort et la suture du souvenir
Dans WONDER BOY: ASHA in Monster World, le gameplay se referme comme une bulle de précaution, condamné à l’exercice du déjà-vu plutôt qu’à la déflagration. Dès les premières minutes, tout est fait pour rassurer : chaque tableau est pensé comme la répétition d’un motif ancien, chaque épreuve une citation à rejouer, chaque obstacle une invitation à l’endormissement. Le jeu refuse l’incertitude : la plateforme ne connaît ni le vertige, ni la punition. L’enchaînement des mondes se fait à pas comptés, dans une logique d’accumulation mécanique où le saut est pesé, la chute improbable, la sanction symbolique. La boucle de progression, fidèle jusqu’à la raideur, ne propose aucune montée en tension, aucun pic de surprise, aucun instant où la main tremble.
La maniabilité trahit la limite de la refonte. L’inertie d’Asha, son saut arrondi, le temps mort qui sépare l’intention de l’action — tout rappelle l’époque, mais sans le frisson du neuf : le geste ne se fait pas plaisir, il s’impose comme protocole, passage obligé du conservatisme vidéoludique. Les attaques, jamais précises, se contentent d’effleurer l’ennemi, la parade fonctionne par défaut, la mobilité du compagnon Pepelogoo ne bouleverse jamais la donne : il transporte, il plane, il ouvre la porte, mais n’invente aucune interaction qui ne soit héritée d’hier.
Le level design, censé faire jaillir la surprise, échoue à briser la monotonie. Les mondes se succèdent sans accélérer le pouls : chaque détour révèle la même énigme, chaque zone le même agencement, chaque boss le même rituel de lecture et de frappe. L’absence de verticalité réelle, le refus de multiplier les itinéraires, la pauvreté de la récompense ne font qu’accentuer la fatigue d’un voyage où l’émerveillement se dilue à mesure que la carte se dévoile. On ne découvre rien, on confirme : le souvenir l’emporte sur le désir.
La progression elle-même ne construit rien : elle reconstitue. Les quelques objets collectés, les améliorations de vie, les bonus optionnels ne servent qu’à étoffer une liste, jamais à reconfigurer le plaisir ou à provoquer l’envie de rejouer. La difficulté, maintenue en sous-régime, préfère l’accompagnement à l’initiation : aucune exigence, aucun seuil à franchir, juste la continuité molle du parcours balisé. Ici, le plaisir du jeu n’est pas un vertige, mais la caresse sans risque d’un passé préservé, où rien ne doit troubler la surface.
Le refus du risque, l’obsession du respect, la peur de perdre l’ancien : tout fait de Asha in Monster World une expérience qui tourne sur elle-même, rassurante à l’excès, jamais aventureuse, jamais féconde.
Le glacis pastel et la musique du souvenir étouffé
Visuellement, WONDER BOY: ASHA in Monster World opte pour une relecture policée de l’esthétique 16-bits, arrimée à une palette saturée de bleus, de roses et de verts, sans jamais s’autoriser la moindre stridence. Les environnements, lissés par le cel-shading, perdent la granulosité brute de l’original au profit d’un vernis trop propre : chaque zone, des ruines désertes aux palais en fête, semble figée dans la nostalgie, comme si l’univers tout entier avait été mis sous globe. Les arrière-plans, répétitifs, n’offrent aucune profondeur de champ, aucun vertige : la perspective se réduit à l’écran, le décor n’est jamais qu’un couloir habillé, le regard se heurte au mur des conventions.
Les animations suivent la même logique d’apprivoisement : Asha bouge avec une légèreté appliquée, chaque geste soigneusement détouré, chaque pose exagérément expressive, mais jamais surprenante. Le jeu refuse la maladresse, l’ombre, la crispation du mouvement : tout s’inscrit dans la pureté du trait, la lisibilité, la sécurité du geste. La fausse 3D des personnages, si elle séduit dans l’intention, peine à masquer la rigidité des expressions et la raideur de certaines transitions. La cohérence visuelle est réelle, mais la vie, elle, reste au seuil du décor.
La bande-son, elle aussi, oscille entre la révérence et la dilution. Les thèmes originaux, réarrangés pour l’occasion, n’inventent rien, ne s’autorisent aucun écart, aucun silence, aucune poussée. Chaque mélodie rappelle la formule d’hier : les airs sont propres, rassurants, mais n’imposent jamais d’émotion, de tension, de surprise sonore. L’ambiance, pensée comme un cocon, refuse l’épreuve : les bruitages se limitent à l’accompagnement fonctionnel, les musiques à la suggestion nostalgique, sans jamais épouser la progression du joueur ou provoquer la moindre angoisse, la moindre euphorie.
Ce vernis artistique, ce son sans chair, tout concourt à installer le jeu dans la salle d’attente du souvenir : on reconnaît, on acquiesce, on s’endort sur la promesse que rien ne viendra rompre l’accord de façade.
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