Wolfenstein: Youngblood marque une rupture notable avec le reste de la saga. Développé par MachineGames en collaboration avec Arkane Studios, ce spin-off se détache de la structure narrative classique des précédents opus pour plonger dans une formule plus ouverte et axée sur le jeu en coopération.
Sorti ce 25 juillet 2019 et disponible sur Xbox Series, le jeu place le joueur non plus dans la peau de B.J. Blazkowicz, mais dans celle de ses filles jumelles, Jess et Soph, dans une Europe alternative où le IIIᵉ Reich n’a pas encore été totalement éradiqué. Un pari osé, qui ambitionne de moderniser la série et d’offrir une nouvelle approche du massacre de nazis.
Mais si le concept a de quoi intriguer, cette nouvelle formule parvient-elle réellement à capter l’essence frénétique et viscérale de Wolfenstein ou bien trahit-elle l’héritage de la franchise en diluant l’action dans des mécaniques coopératives mal équilibrées ?
Un héritage trop lourd à porter
Le Reich n’est pas mort. Là où l’on pensait avoir mis un terme à son règne, il s’est enraciné plus profondément, a renforcé ses bases et consolidé son pouvoir. En 1980, Neu-Paris est encore sous le joug nazi, et une ombre plane sur la ville : B.J. Blazkowicz, le héros qui a abattu Hitler et brisé l’Empire, a disparu.
Mais l’histoire ne s’arrête pas avec lui. Jess et Soph Blazkowicz, ses filles jumelles, ont grandi à l’abri du combat mais pas de l’entraînement. Élevées par un père qui savait que la guerre ne finirait jamais vraiment et par une mère qui espérait encore leur offrir une enfance normale, elles ont grandi dans un entre-deux, coincées entre la nécessité de se préparer et le rêve d’un avenir libre. Alors quand elles découvrent que leur père s’est envolé vers Paris sans laisser de trace, elles n’hésitent pas une seconde : elles enfilent leurs combinaisons de combat et s’infiltrent dans la capitale occupée.
Mais Youngblood n’est pas une simple quête de sauvetage. Au-delà de la recherche de leur père, les jumelles se retrouvent prises dans une guerre qu’elles n’avaient jamais vraiment connue. Elles rejoignent la Résistance française, dirigée par Juju, une combattante aux motivations ambiguës, et découvrent rapidement que pour retrouver B.J., elles devront infiltrer trois immenses tours de contrôle appelées ‘les Frères’. Trois bastions nazis truffés de soldats d’élite, de robots blindés et de pièges en tout genre. Mais alors que l’histoire se déroule, l’objectif initial devient secondaire. Leur père n’est plus le seul enjeu. En explorant les bases ennemies, elles tombent sur un secret qui dépasse tout ce qu’elles auraient pu imaginer : le plan du général Lothar, un haut gradé nazi déterminé à créer un ‘Quatrième Reich’ plus implacable que jamais. Et pire encore, la Résistance elle-même cache des traîtres.
Les sœurs sont prises au piège, trahies, poursuivies. Mais elles ne sont pas prêtes à tomber. Dans une course effrénée contre le temps, elles doivent abattre Lothar, empêcher la montée en puissance d’un nouveau Reich, et surtout, retrouver leur père avant qu’il ne soit trop tard. Mais ce qu’elles découvriront dans le Lab X, ce qu’il reste réellement du monde que B.J. pensait avoir libéré, risque de tout changer.
Wolfenstein a toujours misé sur des personnages marquants. Des résistants à la folie plus grande que leur peur, des monstres de guerre nazis au charisme glacial, des alliés qui portent sur leurs épaules le poids d’un monde brisé. Mais Jess et Soph ne tiennent pas la comparaison. Elles sont compétentes, surentraînées, prêtes à en découdre… mais elles manquent de profondeur. Leur relation est plus proche d’une comédie d’action que d’une histoire de guerre et de survie. Le ton léger et leurs plaisanteries incessantes finissent par les rendre superficielles. Elles n’ont ni la gravité de leur père, ni l’intensité de ses anciens compagnons de lutte. Elles veulent être des héroïnes badass, mais peinent à convaincre.
Le scénario, lui aussi, manque de l’impact des précédents opus. Si l’idée d’un Quatrième Reich et d’une Europe encore sous occupation avait de quoi faire frémir, l’exécution manque de subtilité. L’intrigue se déroule sans surprise majeure, et les antagonistes manquent de la menace et du charisme des figures nazies que la saga a su créer auparavant. Il y avait pourtant matière à raconter une histoire puissante. Mais entre des dialogues qui peinent à trouver leur ton et un déroulement qui sacrifie souvent l’émotion au profit de l’action, Youngblood passe à côté de son potentiel narratif.
Une coopération forcée qui divise autant qu’elle rassemble
Un Wolfenstein en duo. Une aventure conçue pour être partagée, un combat où deux sœurs, et non plus un seul homme, doivent se frayer un chemin à travers les ruines de Neu-Paris. Sur le papier, l’idée a du potentiel. Dans la réalité, elle se heurte à des choix de design maladroits qui rendent l’expérience aussi frustrante qu’agréable. Le cœur du gameplay repose sur la coopération.
Que ce soit avec un autre joueur en ligne ou une IA remplaçant la sœur absente, tout est conçu pour que Jess et Soph avancent ensemble, se couvrent mutuellement et affrontent des ennemis en binôme. Dans les meilleurs moments, ce système fonctionne. Les affrontements, nerveux et explosifs, poussent à une coordination constante, notamment face aux ennemis les plus coriaces qui exigent une gestion intelligente des armes et des compétences. Lorsqu’un partenaire humain est de la partie, ces moments deviennent des montées d’adrénaline parfaitement maîtrisées. Mais quand l’IA prend le relais, l’expérience se dégrade. L’alliée contrôlée par la machine manque de réactivité, se place mal, peine à vous couvrir et ne sait pas toujours quand vous aider. Résultat : certaines situations deviennent inutilement frustrantes, transformant des combats intenses en une corvée où l’on lutte autant contre les ennemis que contre l’incompétence de son propre binôme.
Avec Arkane Studios en renfort, il était logique que Youngblood s’éloigne des couloirs scriptés pour proposer une approche plus ouverte. Les niveaux sont pensés pour offrir plusieurs chemins, plusieurs façons d’aborder une mission. Plutôt que d’avancer en ligne droite, on explore, on analyse, on cherche une faille à exploiter. En théorie, cela enrichit l’expérience. Mais dans les faits, cette structure pose problème. Les objectifs manquent de clarté, les environnements labyrinthiques font tourner en rond, et les allers-retours constants imposés par les missions secondaires alourdissent le rythme. Ce qui aurait pu être un atout se transforme en contrainte, et la promesse d’une progression fluide s’efface derrière une navigation inutilement confuse.
Youngblood introduit des mécaniques de jeu de rôle qui auraient pu apporter une vraie profondeur. Système de progression, acquisition de compétences, personnalisation d’armes… autant d’éléments qui visent à dynamiser l’expérience et à permettre aux joueurs de modeler leur style de combat. Mais ici encore, l’exécution pêche. Certains ennemis possèdent des niveaux supérieurs, rendant les combats laborieux si l’on n’a pas suffisamment progressé. Là où les précédents Wolfenstein misaient sur l’habileté du joueur, celui-ci impose un système où la montée en puissance devient plus importante que l’adresse pure. Le sentiment de satisfaction d’un bon tir bien placé se dilue dans un grinding forcé, où l’on revient sans cesse sur les mêmes zones pour gagner de l’expérience et améliorer son équipement.
Les armes restent l’une des grandes forces du jeu. Les sensations de tir sont fidèles à l’ADN de la série : brutales, puissantes, jouissives. Les améliorations permettent de renforcer la puissance de feu et d’adapter son équipement aux types d’ennemis rencontrés. Mais cette satisfaction est minée par la répétitivité des combats. Les adversaires reviennent sans cesse dans les zones déjà nettoyées, créant une impression de grinding forcé qui casse le rythme. Plutôt que de ressentir une montée en puissance progressive et gratifiante, on a le sentiment de refaire inlassablement les mêmes affrontements pour gagner quelques points d’expérience supplémentaires.
Visuellement, Youngblood bénéficie d’une mise à niveau sur Xbox Series, avec des textures plus détaillées et une fluidité généralement stable. Les environnements urbains de Neu-Paris sont bien rendus, et l’esthétique cyberpunk du Reich donne au jeu une identité visuelle marquée. Mais tout n’est pas parfait. Des bugs persistent, notamment des chutes de framerate lors des affrontements les plus intenses. Certains temps de chargement sont étonnamment longs pour une console de nouvelle génération, et quelques problèmes d’affichage viennent ternir le tableau.
Wolfenstein: Youngblood avait l’ambition de moderniser la franchise, d’y injecter une dimension coopérative et des mécaniques de progression plus étoffées. Mais ces ajouts, au lieu d’enrichir l’expérience, viennent souvent l’alourdir. Entre une IA alliée limitée, un level design confus, un système RPG mal équilibré et une action qui peine à se renouveler, le jeu s’éloigne de l’efficacité brute et viscérale qui faisait la force de la série. Ce qui aurait pu être un tournant rafraîchissant pour Wolfenstein devient un compromis bancal entre plusieurs idées qui ne s’assemblent jamais vraiment.
Une ambiance qui peine à convaincre
Wolfenstein: Youngblood plonge les joueurs dans un Paris alternatif des années 1980, où l’occupation nazie persiste. Les développeurs ont opté pour une esthétique mêlant architecture oppressive et néons criards, tentant de marier l’ambiance sombre de l’occupation à une touche rétro-futuriste.
Cependant, cette direction artistique souffre d’une exécution inégale. Si certaines zones offrent une profondeur visuelle intéressante, d’autres paraissent génériques et répétitives, manquant de détails distinctifs pour véritablement immerger le joueur. Les textures n’atteignent pas toujours le niveau de finesse attendu sur les consoles modernes, et des problèmes techniques tels que des chutes de framerate viennent parfois perturber l’expérience.
La bande-son, quant à elle, tente de renforcer l’atmosphère avec des compositions électroniques rappelant les années 80. Malheureusement, ces morceaux manquent souvent de profondeur émotionnelle et peinent à s’intégrer harmonieusement aux différentes situations du jeu. Les effets sonores, essentiels pour une immersion complète, sont également inégaux : certaines armes manquent de puissance auditive, et les bruitages environnementaux sont parfois trop discrets pour ajouter une réelle ambiance.
Wolfenstein: Youngblood avait tout pour renouveler la franchise. Un mode coopératif, une structure plus ouverte, un monde qui devait réagir aux actions des jumelles Blazkowicz. Mais derrière ces ambitions, l’exécution est plus laborieuse qu’espéré. Sur Xbox Series, la mise à niveau technique apporte un léger regain de performance. Les textures sont plus fines, la fluidité générale est améliorée et les temps de chargement sont réduits par rapport aux anciennes générations. Mais ces ajustements ne suffisent pas à masquer les défauts persistants.
Des chutes de framerate surviennent encore lors des combats les plus intenses, surtout quand plusieurs ennemis blindés envahissent l’écran. Les collisions manquent de précision, et certains bugs d’affichage viennent régulièrement casser l’immersion. Il arrive même que l’IA alliée bloque dans un mur ou tarde à venir ranimer sa sœur, transformant des situations tendues en frustration pure.
L’axe coopératif de Youngblood est sa principale nouveauté. Le jeu a été conçu dès le départ pour être vécu à deux, que ce soit avec un autre joueur en ligne ou avec l’IA. Lorsqu’un véritable partenaire est présent, certaines séquences prennent une autre dimension. Les stratégies peuvent être élaborées à la volée, le partage des rôles apporte une vraie dynamique et les affrontements les plus corsés deviennent de véritables défis de coordination. Le Buddy Pass, qui permet à un joueur possédant l’édition Deluxe d’inviter un ami gratuitement, est une initiative louable qui facilite cette expérience partagée.
Mais si vous comptez jouer en solo, l’expérience se dégrade drastiquement. L’IA alliée est inconstante : parfois efficace pour couvrir vos arrières, parfois désespérément lente à réagir. Dans les combats contre les boss ou les vagues d’ennemis, elle manque souvent de logique, gaspillant ses munitions sur les mauvaises cibles ou se précipitant dans le feu ennemi sans raison apparente. Les mécaniques de synchronisation, comme les buffs d’équipe, deviennent donc bien moins intéressantes et perdent de leur pertinence.
Si Wolfenstein: Youngblood introduit un système de personnalisation et de progression intéressant, il s’accompagne aussi d’une présence encombrante des microtransactions. Certains éléments cosmétiques ou améliorations d’armes peuvent être débloqués naturellement, mais le jeu propose également une monnaie premium permettant d’accélérer ces acquisitions. Bien qu’elle ne soit pas nécessaire pour avancer dans l’histoire, sa présence constante dans les menus crée une impression désagréable de monétisation forcée, d’autant plus dans une série qui n’avait jamais eu recours à de telles pratiques auparavant.
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