WILD HEARTS S est le portage sur Switch 2 de Wild Hearts, titre d’action-RPG développé par Omega Force et paru initialement en février 2023. Cette édition propose un multijoueur jusqu’à quatre joueurs, reprend les contenus post-lancement et adapte la mécanique du système Karakuri, sans ajout significatif exclusif à cette version.
Mais sur ce hardware plus puissant, l’expérience tient-elle ses promesses ? Le jeu reste-t-il fluide malgré les zones visuellement chargées ? Les mécaniques inédites — Karakuri à bâtir, armes variées, chasse coopérative — gardent-elles leur vigueur malgré les concessions graphiques ?
Chasser pour Minato, survivre pour personne
WILD HEARTS S ne construit pas un récit de vengeance, ni un conte mystique. Il construit une résilience collective. Vous incarnez un chasseur venu d’ailleurs, silencieux, sans nom, mais capable de canaliser l’énergie du Karakuri — une technologie ancienne oubliée par tous sauf vous. Le monde autour s’effondre : les Kemono, bêtes élémentaires fusionnées avec la nature, dévastent les territoires, déforment les saisons, rongent les villes. Et au cœur du chaos, la cité de Minato refuse de mourir.
L’histoire s’articule autour de Toga-Hime, dirigeante spirituelle et politique de Minato, dont la volonté de survie masque une inquiétude croissante face à l’effondrement. Chaque région explorée est liée à un arc narratif, chaque Kemono majeur déclenche un déséquilibre dans le monde, chaque victoire renforce l’ambiguïté de votre rôle : chasseur providentiel ou symptôme d’une force plus ancienne encore. Vous ne rétablissez rien. Vous retardez l’inéluctable.
Les personnages secondaires ne sont pas des faire-valoir. Natsume, la forgeronne hantée par l’échec ; Suzuran, l’érudit rongé par ses erreurs ; Ujishige, vétéran humilié devenu stratège… Tous ont une voix, un passé, une fonction symbolique. Le récit ne les fait pas simplement parler. Il les brise. Chaque nouveau Karakuri, chaque construction, chaque Kemono tué redéfinit leur place dans ce qui reste de civilisation.
Le fil narratif ne progresse pas à coups de révélations. Il s’enfonce. Il questionne l’origine des Karakuri, le lien entre les bêtes et la mémoire du monde, les cycles de corruption et de purification. Plus vous chassez, plus le texte devient incertain. Ce que vous croyez sauver, vous le transformez. Ce que vous abattez, vous le réveillez.
WILD HEARTS S ne vous raconte pas une légende. Il vous fait traverser une mémoire qui lutte — celle des êtres, des lieux, des machines. Il ne glorifie pas vos victoires. Il les encadre, les interroge, les laisse ouvertes. Et dans ce récit sans héros, chacun parle à voix basse, mais chacun dit quelque chose.
Construire pour traquer, traquer pour rester debout
WILD HEARTS S repose sur un acte fondamental : poser. Chaque chasse commence par une trace, se poursuit par un piège, se termine par une construction. Le cœur du système, c’est le Karakuri — une technologie ancienne que vous activez en plein combat pour dresser des murs, projeter des harpons, créer des plateformes, ancrer des balises. Là où les jeux de chasse traditionnels opposent la bête et l’arme, Wild Hearts impose un troisième terme : l’infrastructure.
La boucle est simple, brutale, claire. Vous traquez un Kemono dans une zone ouverte — pas un open world, mais un terrain balisé, dense, organique. Vous l’observez. Vous préparez le terrain. Puis vous posez. Un ressort pour jaillir, un pilier pour bloquer, un piège pour figer. L’impact est immédiat : chaque outil change la lecture du combat. Il ne s’agit pas d’améliorer votre build. Il s’agit de penser l’espace comme une machine temporaire, construite dans l’urgence, pour résister une minute de plus.
Les Kemono ne sont pas des sacs à PV. Ce sont des entités qui modifient le champ de bataille : ils gelent les rivières, enflamment les canyons, pulvérisent vos structures. Ils mutent. Ils fuient. Ils se régénèrent. Leur puissance n’est pas statique. Elle croît avec le temps. Et plus le combat dure, plus l’environnement devient un champ de ruines, où les fragments de vos Karakuri précédents deviennent des pièges ou des dangers.
La progression suit une logique de lenteur. Vous ne débloquez pas des niveaux. Vous gagnez des options. Chaque amélioration d’arme exige un composant précis, chaque armure une série de choix irréversibles. Le jeu vous pousse à la spécialisation, à l’engagement. Il n’y a pas de confort. Il n’y a que des compromis permanents : entre mobilité et résistance, entre connaissance du terrain et brutalité de l’impact.
La version Switch 2 conserve l’intégralité de ce système. Les chargements sont plus longs, les textures dégradées, mais les mécaniques tiennent. Les combats restent lisibles, les Karakuri réactifs, les animations fluides. Ce n’est pas un portage visuellement flatteur — c’est un transfert fonctionnel, qui maintient la tension.
Mais le jeu n’est pas sans failles. L’IA alliée reste erratique. Certaines interactions terrain-construction manquent de précision. Et la caméra, dans les espaces fermés, lutte encore contre les monstres massifs. Rien de rédhibitoire. Mais rien de corrigé non plus.
WILD HEARTS S impose une lecture rare : celle d’un chasseur qui pense comme un bâtisseur. Chaque combat est une architecture. Chaque victoire un effondrement évité. Rien ne brille. Mais tout tient.
Beauté érodée, tension maintenue
Sur Nintendo Switch 2, WILD HEARTS S sacrifie la netteté. Les textures sont lissées, les feuillages compactés, les effets élémentaires réduits. Mais derrière ces concessions visuelles, l’ossature artistique résiste. Le monde de Harugasumi, ses forêts pétrifiées, ses montagnes percées, ses plages criblées de ruines, conserve une lecture cohérente du sacré et du sauvage. Rien n’est réaliste. Tout est symbolique. Chaque biome est un sanctuaire dévasté.
Les Kemono, ces monstres fusionnés à la matière du monde, restent lisibles malgré l’upscaling approximatif. Le Loup-Givre, la Taupe-Silex, le Sanglier-Vigne… Tous portent une intention de design : excroissances minérales, textures végétales, éruptions élémentaires. Même dans la version Switch 2, leur présence visuelle impose. Ce ne sont pas des cibles. Ce sont des menaces incarnées.
Les Karakuri, structures magiques que vous construisez en combat, conservent leurs animations d’apparition stylisées : lignes de lumière, géométrie éclatée, surgissement brutal. Le contraste avec l’environnement naturel fonctionne toujours. L’artifice se détache du monde. Et c’est ce contraste qui fonde toute la tension esthétique du jeu : bâtir du provisoire dans du millénaire.
Mais les limitations techniques pèsent. L’aliasing grignote les arêtes, les arrière-plans s’éteignent à deux mètres, la densité végétale a disparu. Certains biomes deviennent confus. Les reflets sont absents. Les ombres sont statiques. Le portage est fonctionnel — jamais gracieux. Ce n’est pas une catastrophe. C’est une dégradation assumée, qui laisse le gameplay intact mais altère l’enchantement.
La bande-son, elle, traverse cette transition sans perte. Les thèmes musicaux alternent entre tension rythmique — percussions sèches, lignes de koto désaccordées — et nappes éthérées aux moments de calme. Chaque combat majeur déclenche un thème propre, souvent syncopé, aux ruptures fréquentes. Ce n’est pas un fond. C’est un acte d’accompagnement dramatique, pensé pour souligner chaque basculement du combat.
Les bruitages conservent leur précision : craquement des branches, souffle des monstres, effondrement des Karakuri. Rien n’est flou. Chaque son est un signal. Même les silences, lorsque la bête fuit ou se tapit, participent à la chorégraphie du danger.
Le doublage japonais reste recommandé : sobre, tendu, juste. Les personnages ne déclament pas. Ils cèdent, hésitent, se brisent. La langue porte la retenue du monde, jamais son exposition.
WILD HEARTS S, visuellement, s’ampute pour survivre. Mais l’équilibre structurel tient. L’expérience respire encore — moins fort, mais sans jamais s’effondrer.
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