Sorti six mois à peine après The Isle Dragon Roars, Voice of Cards: The Forsaken Maiden marque le second mouvement d’une trilogie désormais installée, toujours orchestrée par Yoko Taro et portée par le studio Alim sous la bannière de Square Enix.
En reprenant intégralement les fondations mécaniques de son prédécesseur, ce nouvel épisode fait le choix du raffinement narratif plutôt que de la refonte structurelle. Mais cette fidélité formelle laisse une question suspendue : suffit-il d’élever l’écriture pour transcender un gameplay figé dans sa propre élégance ?
Une prière engloutie dans les eaux du souvenir
Vous incarnez un jeune navigateur sans nom, originaire du village de la Fin, condamné par l’absence d’une prêtresse protectrice. Dans l’univers de The Forsaken Maiden, chaque île est sauvée du naufrage par l’invocation d’un esprit, et seul le lien entre une élue et sa divinité garantit la survie. C’est dans cette fatalité que surgit Alva, jeune fille muette échouée sur une plage, dont l’existence bouleversera l’ordre établi.
Le récit, d’apparence classique, s’enrichit d’une progression subtilement cadencée, faite de révélations lentes, de silences signifiants, et d’un rapport intime à la mémoire. Loin des grandes fresques héroïques, The Forsaken Maiden construit une narration de l’épure, où chaque chapitre vous mène vers une île, une prêtresse, une rencontre. C’est une quête de reconstruction, non de domination.
Le jeu repose sur une narration à une seule voix. Le narrateur — dont le timbre japonais agit comme un fil d’Ariane — décrit, commente, nuance. Tous les dialogues passent par lui, dans une tradition qui évoque le conte, la table de jeu, la lecture à haute voix. Ce choix, loin d’être un simple procédé formel, confère au récit une chaleur feutrée, un style oralisé d’une cohérence absolue avec le support cartographique du jeu.
Les personnages secondaires, bien que souvent esquissés en quelques traits, gagnent en densité par l’usage du silence et des non-dits. Alva, en particulier, impose une présence forte malgré son mutisme. Ses hésitations, ses absences, sa posture en retrait deviennent autant de signes à interpréter.
L’écriture évite le pathos tout en flirtant avec la tragédie. Le jeu sait désamorcer ses tensions par quelques touches d’humour sec ou de cocasserie légère, sans jamais trahir le ton grave de son propos. Chaque étape devient un petit rituel émotionnel, une variation sur le thème du sacrifice, du lien brisé, de l’espoir fragile.
The Forsaken Maiden ne révolutionne pas l’écriture vidéoludique. Mais il prouve qu’un J-RPG peut encore émouvoir sans cinématiques spectaculaires, sans arche narrative prévisible, sans surenchère dramatique. Une réussite rare d’élégance et de retenue.
Des dés jetés sur un plateau figé
The Forsaken Maiden ne bouleverse rien. Il reprend à l’identique la structure du premier opus, du plateau de cartes à la mécanique de combat, en passant par l’interface et la logique de déplacement. Chaque lieu, chaque personnage, chaque événement, chaque objet… tout est une carte. Vous déplacez un pion, une case à la fois, révélant l’univers au fur et à mesure dans une exploration à demi aveugle. C’est un JRPG réduit à sa maquette, à sa mécanique d’exposition.
Cette économie de moyens aurait pu lasser. Mais elle est compensée par une liberté de progression bienvenue. Une fois votre navire obtenu, rien ne vous empêche d’explorer les îles dans l’ordre que vous choisissez. Chaque segment du jeu propose un arc narratif, un donjon, un boss, et une prêtresse à rencontrer. L’expérience prend alors des allures de road trip mythologique, où le récit épouse vos détours.
Une fonction de voyage rapide, ajoutée dans cet opus, permet de revenir en un clic sur les lieux visités. Ce confort de navigation fluidifie l’expérience sans l’aseptiser. On reste sur un système lent, case par case, mais le rythme est mieux maîtrisé.
Les combats, eux, restent inchangés. Tour par tour classique, compétences consommant des gemmes, initiative définie par l’agilité. Un deuxième plateau s’ajoute au premier, où s’opposent vos cartes et celles des ennemis. L’originalité tient à l’intégration des dés, qui viennent conditionner certaines attaques. Mais l’aléatoire n’enrichit pas le gameplay : il l’affaiblit.
Très vite, les premières compétences deviennent inutiles, éclipsées par des attaques fixes plus puissantes. Certains builds sont tout simplement déséquilibrés. Le système de faiblesses élémentaires, bien pensé sur le papier, repose sur la mémorisation manuelle, sans journal intégré. Cela fonctionne, mais révèle les limites du minimalisme assumé : sans repères, sans courbe, sans outil de stratégie, le jeu se contente de suggestions.
Quelques événements aléatoires rompent la routine : trésors, marchands, pièges. Une touche JdR papier agréable, bien qu’un peu répétitive. Elle ne relance pas le système, mais elle le nuance d’un léger frisson de surprise.
The Forsaken Maiden est un RPG de plateau lent, stylisé, sans profondeur mécanique, mais d’une cohérence rare entre sa forme et son propos. Il ne prétend pas faire évoluer le genre. Il joue avec ses restes, avec élégance.
Un théâtre de papier bercé par une voix
Visuellement, The Forsaken Maiden ne cherche pas l’éclat. Il impose au contraire une austérité graphique volontaire, où tout, des environnements aux personnages, est représenté sous forme de cartes. Ce choix n’est pas un gimmick, mais une esthétique à part entière, qui renforce la sensation de jeu de rôle narré, de conte déroulé à voix haute. Les illustrations, toutes statiques, évoquent l’art du tarot ou du carnet de croquis. Pas d’animations, pas de transitions, pas de débauche visuelle. Juste des images figées qui racontent sans bruit.
Les cartes sont d’une beauté sobre, précises, riches en détails discrets. Les monstres comme les alliés bénéficient d’un design soigné, à la frontière du grotesque et du sacré. La cohérence artistique est totale, même dans ses limites techniques. Le plateau est uniforme, les effets sont discrets, les couleurs limitées. Mais tout ici respire la cohérence d’un monde raconté, pas montré.
C’est dans le travail sonore que le jeu impose sa singularité. La bande-son, minimaliste et mélancolique, épouse chaque atmosphère sans jamais la surligner. Pianos étouffés, cordes fragiles, nappes électroniques feutrées : la musique ne s’impose jamais, elle accompagne les silences, souligne les ruptures, étire les émotions. Une composition à l’image du jeu : en retenue, mais profondément expressive.
La voix du narrateur, omniprésente, remplace toutes les autres. Chaque ligne de dialogue, chaque description, chaque bruit du monde passe par lui. Son timbre calme, posé, presque cérémonial, donne à l’ensemble l’allure d’un conte oral. C’est une narration incarnée, mais univoque. Une voix pour tous. Ce choix peut déranger. Il fonctionne ici comme un liant, un pacte. Le joueur ne dialogue pas : il écoute.
L’interface, elle aussi, reste dans les clous : lisible, intuitive, sans fioriture. Aucun éclat, mais une sobriété fonctionnelle qui s’accorde à l’élégance globale de la direction artistique.
The Forsaken Maiden n’impressionne pas. Il ne veut pas impressionner. Il se contente de tenir son cadre, de sublimer son papier, de murmurer son histoire dans un souffle constant. Et dans ce minimalisme parfaitement assumé, il trouve sa puissance.
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