Certains jeux s’écrivent comme des cris. Vengeance of Mr. Peppermint, dernière production d’un micro studio nommé Hack The Publisher, est de ceux-là. Débarqué sans tambour ni trompette sur PC, ce beat’em all en 2D puise à la source la plus brutale du cinéma coréen, quelque part entre la fureur d’Oldboy, la cruauté clinique de I Saw The Devil, et le nihilisme nerveux de The Night Comes For Us. Il ne s’en cache pas. Il l’assume pleinement. Et il transforme cette dette en manifeste.
Derrière son apparence de pixel art minimaliste, ce titre d’une radicalité rare renonce à toute forme de mesure. Il ne veut ni séduire, ni fédérer. Il veut cogner. Fort. Longtemps. Et avec méthode. Il offre un récit sec, sans échappatoire, une mécanique de combat pensée comme une descente en spirale. Le tout enrobé dans un sens du rythme et de la mise en scène qui ferait rougir bien des blockbusters AAA.
Mais ce concentré de rage ludique tient-il la distance au-delà du choc initial ? Sa grammaire de la violence parvient-elle à s’élever au rang de véritable jeu de système ? Ou reste-t-il à l’état d’hommage référentiel, aussi vibrant que fugace ?
Une mémoire en morceaux et des os qui craquent
Il s’appelle Lim. Il ne parle presque pas. Il a vu l’horreur, il l’a fuie, il l’a refoulée. Mais elle revient. Vingt ans plus tôt, un tueur en série a massacré sa sœur sous ses yeux. Depuis, Lim est devenu flic. Puis fou. Interné. Effacé. Et un matin, il se réveille devant une porte, dans un quartier oublié de la ville, là où la mafia et un culte étrange ont fait alliance. Le passé le rattrape. La vengeance commence.
La narration de Vengeance of Mr. Peppermint se déploie avec une sécheresse méthodique. Huit niveaux, pas un de plus. Chacun est une pièce du puzzle, un chapitre brutal, sans détours. Le jeu ne prend jamais la peine de contextualiser longuement : les dialogues sont brefs, les cinématiques lapidaires, mais chaque détail compte. Chaque niveau s’ouvre comme un souvenir, se referme comme une cicatrice.
La construction du récit s’inscrit pleinement dans le hard-boiled coréen, non seulement par ses inspirations visuelles et scénaristiques — Oldboy, The Man From Nowhere, The Chaser — mais par sa logique de désescalade morale. Lim n’est pas un justicier. Il est un revenant, un homme qui n’attend plus rien que le contact d’un crâne sous son poing. À mesure que l’intrigue progresse, il s’enfonce dans un sillage de corps et de murs tachés. Et ce n’est qu’en avançant que l’on comprend : ce qu’il traque, c’est moins un assassin qu’une mémoire en charpie.
Mais ce qui frappe surtout, c’est l’intégration narrative directe aux niveaux eux-mêmes. Le jeu ne distingue jamais fond et forme. Chaque environnement raconte quelque chose. Un abattoir. Une ruelle inondée. Une planque hérissée de tuyaux et de cris. Tous sont empruntés au cinéma d’action le plus viscéral, mais tous s’inscrivent dans une continuité diégétique précise. L’écriture suit une ligne claire : pas de retour en arrière, pas de soupape, pas d’échappatoire.
Les antagonistes eux-mêmes restent flous, presque abstraits, comme s’ils incarnaient moins des individus que des archétypes : mafieux, fanatiques, tortionnaires, chair à vengeance. Et c’est précisément cette économie de mots, cette tension permanente entre silence et impact, qui donne au récit une densité rare.
Car Vengeance of Mr. Peppermint ne raconte pas une histoire. Il sculpte une obsession. Celle d’un homme brisé qui refuse la résilience. Un récit qui ne cherche ni à édifier ni à excuser, mais à plonger tête baissée dans la pulsion la plus noire — et à en assumer chaque coup.
Le rythme du sang et la géométrie du coup
Vengeance of Mr. Peppermint est un beat’em all à défilement horizontal, rigoureusement old-school dans sa structure, mais chirurgicalement moderne dans son exécution. Il ne multiplie ni les systèmes, ni les artifices. Il se concentre sur une seule chose : la sensation du choc, la lisibilité de l’action, le contrôle absolu du tempo.
Vous dirigez Lim, silhouette fluette au regard vide, qui avance d’un écran à l’autre dans une succession de couloirs, de coursives, de cages d’escaliers et de salles calcinées. Face à lui : des mafieux, des bouchers, des cultistes, tous déterminés à le broyer. La règle est simple : on ne passe que lorsque tout le monde est au sol.
Les commandes sont d’une simplicité radicale : X pour les coups rapides, Y pour les frappes lourdes, B pour l’esquive, LT pour la garde, A pour agripper les ennemis sonnés. Mais sous cette grammaire minimale, se cache une syntaxe tactique profonde. Chaque combo est une équation. Chaque saisie ouvre un éventail d’options : projection, enchaînement, exécution contextuelle avec l’environnement. Le jeu ne punit pas l’erreur immédiatement, mais il récompense la précision avec une brutalité jouissive.
Le cœur mécanique du système repose sur le contrôle de l’espace. Ce n’est pas un jeu de parade ou de parade. C’est un jeu de placement. Être au bon endroit, au bon moment. Interrompre une chaîne ennemie. Exploiter un angle mort. Prendre une caisse pour écraser un visage. Utiliser l’environnement non pas comme décor, mais comme amplificateur de violence.
Le mode Vengeance, déclenché après un certain nombre d’enchaînements réussis, transforme Lim en bête de foire. Sa vitesse s’intensifie. Ses frappes deviennent des rafales. Et pendant quelques secondes, vous n’êtes plus en train de jouer un homme. Vous jouez une idée : celle d’une colère pure, distillée sans filtre.
La difficulté est bien dosée. Le jeu ne triche jamais. Il est exigeant, mais juste. Il ne propose pas de builds, de loot, de progression artificielle. Ce que vous débloquez, c’est votre propre maîtrise. Chaque niveau est un nouvel exercice de style. Les ennemis se renouvellent, non par leur skin, mais par leur rythme d’attaque, leurs armes, leur positionnement.
Et le plus remarquable, c’est que tout cela fonctionne sans le moindre glitch, sans le moindre flottement. Le feedback visuel est immédiat, les hitboxes sont impeccables, le level design épouse parfaitement la nature de chaque combat. Il n’y a pas de remplissage. Pas d’à-côté. Seulement une montée en intensité, du premier coup de poing jusqu’au dernier hurlement.
Vengeance of Mr. Peppermint ne cherche pas la complexité. Il cherche l’impact. Et il le trouve à chaque écran.
La brutalité du cadre et le son de la fracture
En apparence, Vengeance of Mr. Peppermint semble modeste. Son pixel art n’a rien de tape-à-l’œil. Il évite les fioritures, les dégradés esthétisants, les effets de lumière spectaculaires. Mais cette retenue est une posture. Car derrière sa façade d’économie, le jeu déploie une violence graphique précise, sèche et tranchante.
Chaque coup porte. Chaque animation a du poids. Les corps ploient, se brisent, s’effondrent avec un sens du détail viscéral. Les décors, souvent cloisonnés, suintent la rouille, le sang, l’abandon. Ce n’est pas un univers stylisé : c’est une scène de crime permanente, où l’on traverse autant de strates d’atrocités que d’étages. Le couloir d’un hôpital n’est jamais juste un couloir. C’est un sas. Un piège. Un souvenir qui saigne.
Le travail sur les finishing moves s’avère exemplaire. Ils ne se contentent pas d’ajouter une couche spectaculaire. Ils prolongent le caractère de Lim. Ils inscrivent son refus du compromis dans l’image même. Briser un bras. Écraser une tête contre un mur. Lancer un corps sur une grille métallique. Le tout dans un enchaînement brutal mais fluide, sans jamais briser le rythme.
Côté animation, le jeu trouve un équilibre parfait entre lisibilité et expressivité. Chaque geste est net. Chaque déplacement répond au doigt. Aucune latence. Aucun excès d’inertie. Ce n’est pas de la finesse, c’est de la précision fonctionnelle, pensée pour que chaque action se traduise immédiatement dans l’espace.
Mais c’est sur le plan sonore que le jeu atteint sa plénitude. La bande-son, mêlant nappes électroniques sombres, distorsions industrielles et rythmiques abrasives, épouse parfaitement la montée en tension des niveaux. Il n’y a pas de thème principal mémorable. Il y a des pulsations, des craquements, des boucles asphyxiantes qui enveloppent l’action dans une torpeur nerveuse.
Le sound design des impacts est tout simplement exemplaire. Les bruits de chair, de métal, de casse, sont mixés avec un soin rare. Chaque coup donné s’entend comme un verdict. Chaque cri ennemi comme une note de désaccord. Le jeu ne cherche pas la musicalité : il cherche l’effet physique, la résonance dans les os.
Il faut enfin souligner l’absence de localisation française, seul réel accroc dans cette exécution millimétrée. Le peu de dialogues disponibles restent accessibles en anglais, mais un effort de traduction aurait permis d’ouvrir l’expérience à un public plus large — sans rien altérer de sa densité.
Vengeance of Mr. Peppermint ne séduit pas l’œil. Il le harponne. Il ne charme pas l’oreille. Il l’assaille. Et dans cette radicalité, il trouve une puissance rare.
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