Sorti le 30 mars 2023 sur PC, Uragun marque l’entrée fracassante du jeune studio Kool2Play, basé à Varsovie, sur un terrain miné : le Roguelite nerveux, exigeant, sans concession. Un choix audacieux pour un premier projet, mais qui prend ici tout son sens. Le studio polonais, loin de se noyer dans l’écume des clones interchangeables, livre un titre à la fois brut, raffiné et profondément retravaillé.
Car Uragun n’est pas seulement un jeu. C’est un retour d’entre les morts vidéoludique, un projet initialement décrié sur Steam, repensé de fond en comble grâce à une écoute rare de la communauté. Le résultat ? Un shooter top-down d’une intensité rare, fusion instable entre les mécaniques d’un Helldivers et l’esprit impitoyable d’un Hades.
Dans ce monde en ruine, ravagé par une révolte machinique, vous incarnez un Mecha solitaire à la recherche de sa pilote disparue. Pas de cinématique grandiloquente, pas de récit chorale. Juste vous, des souvenirs absents, et une ligne de mire à tracer dans les ruines.
Un cœur vide dans une coque d’acier
Dans Uragun, l’histoire tient sur une ligne de code : un Mecha se réveille dans les décombres d’un monde anéanti par des intelligences artificielles hors de contrôle, sans souvenir ni explication. Un seul objectif subsiste dans les registres effacés de son noyau : retrouver sa pilote disparue. Le reste n’est que chaos, ruines et armées mécaniques errantes.
Aucune mise en scène sophistiquée, aucun développement de personnage. Le scénario n’est qu’un prétexte, un décor de fond peint à la truelle pour justifier le déferlement de feu et d’acier qui va suivre. Il n’y a ni héros tragique, ni antagoniste charismatique. Seulement un programme devenu instinct, et une guerre à poursuivre sans savoir pourquoi.
Mais là où d’autres auraient sombré dans la paresse narrative, Uragun fait un choix franc : se taire pour mieux frapper. Le mutisme du jeu devient presque une signature. Pas de dialogues superflus, pas de cutscenes inutiles. Le joueur est jeté dans l’action, sans explication, sans main tendue — à l’image de son personnage, perdu mais déterminé.
Ce silence a un prix : l’absence totale d’implication émotionnelle. Impossible de s’attacher à ce Mecha sans nom, impossible de comprendre ce qui l’anime au-delà de ses routines de combat. L’univers, pourtant propice à un worldbuilding plus ambitieux, reste une toile de fond vague, parcourue sans jamais être habitée.
Pour autant, dans un genre qui mise tout sur la nervosité et la précision, cette économie narrative se révèle plus efficace qu’il n’y paraît. Uragun n’est pas là pour faire vibrer le cœur. Il est là pour tester vos réflexes. Le scénario est une fréquence d’arrière-plan, un simple signal de départ avant la charge.
Balles, dash et protocoles de démolition
Uragun se vit les poings serrés sur le clavier et les yeux fixés sur un champ de ruines mouvant. Dans sa forme la plus brute, il s’agit d’un top-down shooter d’une lisibilité exemplaire, où l’on enchaîne les affrontements, les dashs et les upgrades à une cadence qui ne faiblit jamais. À la croisée d’un Helldivers pour l’intensité et d’un Hades pour la structure, le jeu vous propulse dans des arènes semi-procédurales, inondées de drones furieux, de tourelles intelligentes et d’ennemis qui n’ont d’autre langage que l’anéantissement.
La maniabilité est une réussite totale. Le mecha répond au doigt et à l’œil, chaque tir a du poids, chaque esquive son utilité, chaque mort son explication. L’arsenal mêle canons laser, projectiles balistiques, modules de surchauffe, zones de frappe à effet et autres joyeusetés calibrées pour maintenir la tension à son paroxysme. Le dash, en particulier, est le cœur de votre mobilité comme de votre survie : déclenché avec précision, il rend invincible une fraction de seconde et permet aussi bien de traverser les murs que de plonger à travers une pluie de projectiles. C’est une mécanique parfaite, exigeante, gratifiante.
Chaque run vous confronte à une montée progressive de complexité, avec des vagues d’ennemis aux patterns spécifiques, des mini-boss qui forcent l’adaptation, et des modifications environnementales qui changent la donne d’une salle à l’autre. La variété est là, même si elle repose plus sur l’agencement dynamique que sur la surprise permanente.
Entre chaque session, le joueur récolte des ressources temporaires pour améliorer son mecha à la volée — armes, modules de soutien, boosts passifs — ainsi que des points d’expérience utilisables dans un arbre de compétences permanente. C’est là que le Roguelite prend son vrai sens : mourir, apprendre, recommencer. Encore. Et encore. Jusqu’à ce que la boucle vous absorbe et que la difficulté devienne votre carburant.
Mais cette structure a ses limites. L’arbre de talents, s’il est vaste, progresse trop lentement, forçant le joueur à enchainer les runs avec une ténacité quasi mécanique avant de débloquer le moindre gain significatif. Ce rythme de progression cassé alourdit l’ensemble et crée une forme de frustration froide, non pas parce que le jeu est injuste — il ne l’est jamais — mais parce qu’il bride trop longtemps son potentiel d’évolution.
À cela s’ajoute une difficulté corsée, parfois à la limite du bullet hell, où les patterns ennemis saturent l’écran d’informations. Le dash devient alors plus qu’une option : un réflexe, une prière, un élan de vie contre l’inertie des algorithmes meurtriers. Ceux qui cherchent la complaisance peuvent passer leur chemin. Uragun n’offre pas de cadeau. Il vous défie, vous broie, vous relance — à l’ancienne.
Poussières métalliques et rythmes d’extermination
Dans son esthétique comme dans sa lisibilité, Uragun assume un style anguleux, futuriste, sans fioriture. La vue top-down impose une clarté constante, et chaque élément de décor, chaque ennemi, chaque projectile est conçu pour se distinguer instantanément. C’est un monde de béton fracturé, d’acier irradié, de néons froids et de structures en suspension. Tout respire la désolation technologique, sans jamais sombrer dans la redondance ou l’indistinction.
La direction artistique ne cherche pas l’originalité à tout prix, mais l’efficacité absolue. Les ennemis, bien que parfois similaires dans leurs silhouettes, arborent des variations fonctionnelles dans leurs attaques et leurs couleurs. Les effets visuels — explosions, impacts, charges EMP — claquent à l’écran avec une intensité maîtrisée. On voit, on comprend, on réagit. Et dans un jeu où chaque microseconde compte, c’est tout ce qui importe.
Côté animations, le studio Kool2Play livre un travail sobre mais soigné : le mecha avance avec lourdeur maîtrisée, les tirs ont un vrai poids visuel, et les patterns d’attaque ennemis sont suffisamment lisibles pour permettre un apprentissage rapide. Le rythme du jeu étant constant, les environnements, bien que visuellement cohérents, finissent par se ressembler. Mais cette répétition, loin de nuire à l’expérience, renforce la tension mécanique du Roguelite.
La bande-son, quant à elle, s’inscrit dans une logique de saturation contrôlée. Des nappes électroniques froides, des basses distordues, des percussions métalliques : la musique ne cherche jamais à dominer, mais à soutenir, à canaliser le flux nerveux de l’action. Elle accompagne vos mouvements, s’intensifie avec les vagues d’ennemis, se fait presque muette entre deux affrontements. Ce n’est pas une partition mémorable. C’est une pulsation fonctionnelle, au service de la concentration.
Les bruitages, eux, sont impeccables : coups de feu percutants, dashs tranchants, impacts lourds. Chaque interaction trouve son retour audio, et le mixage reste toujours lisible, même dans les séquences les plus saturées. Le minimalisme assumé de l’univers sonore ne sacrifie jamais la clarté au profit du spectaculaire, et dans ce cadre précis, c’est une réussite.
Interface huilée, frustration huilante, mecha bien trempé
Uragun n’est pas un jeu bavard, ni un jeu surchargé. C’est une machine de guerre aussi directe que bien huilée, où l’interface n’est jamais un frein mais toujours un levier. Les menus sont clairs, les informations essentielles s’affichent avec précision, et les raccourcis clavier sont immédiatement intuitifs. Dès les premières minutes, l’ensemble se montre limpide, sans tutoriel indigeste ni surcharge fonctionnelle.
La lisibilité à l’écran est l’un des grands atouts du titre. Malgré la densité des ennemis, la multiplicité des effets visuels, la vélocité des projectiles, l’action reste toujours décodable. Un exploit dans un genre souvent propice à la saturation visuelle. Même les moments les plus frénétiques — boss, vagues simultanées, arènes circulaires — laissent une place au timing, à l’analyse, à la réaction.
En matière de performances, Uragun affiche une stabilité remarquable, même sur des configurations modestes. Pas de ralentissements majeurs, pas de bugs notables, aucun plantage recensé. Le jeu se veut réactif, fluide, sans surcharge inutile — et il y parvient. Le moteur fait exactement ce qu’on attend de lui : mettre le gameplay au premier plan et l’habiller sans superflu.
Côté contenu, la densité n’est pas dans la variété des environnements ou la narration annexe, mais dans la multiplicité des builds et la courbe d’apprentissage. Les nombreuses options d’amélioration, les armes alternatives, les passifs cumulables et l’arbre de talents permanent offrent un terrain d’expérimentation solide — à condition de s’accrocher. Car le jeu, on l’a dit, est dur. Pas dans sa structure, mais dans le nombre d’essais nécessaires pour progresser réellement. L’accessibilité n’est pas son moteur. La répétition, si.
On regrettera que la progression dans l’arbre de talents prenne autant de temps. Chaque victoire semble arrachée, chaque point durement gagné. Ce rythme excessivement lent donne parfois l’impression d’un mur plutôt que d’une courbe, et pourra décourager les profils moins tenaces.
Aucun mode multijoueur, aucun leaderboard, aucun élément social : Uragun est une expérience solitaire, frontale, sans filtre. Vous, votre Mecha, la boucle. Et rien d’autre.
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