Sorti le 26 juin 2023 sur PC et mobile, Undawn est un MMORPG de survie en monde ouvert développé par Lightspeed Studios et propulsé par la puissance logistique et éditoriale du mastodonte Tencent. Présenté comme l’héritier d’une ambition démesurée, le jeu rassemble toutes les promesses d’un produit calibré pour séduire : univers persistant, gestion des besoins vitaux, personnalisation poussée, et modèle économique free-to-play à l’enveloppe clinquante.
Mais sous cette surface brillante, le titre révèle très vite une faille structurelle plus embarrassante : celle d’un jeu pensé pour mobile, greffé à la va-vite sur une interface PC qu’il ne comprend pas, qu’il ne maîtrise pas. Testé exclusivement sur PC, Undawn expose sans fard les contradictions d’un développement fragmenté, oscillant entre ambition sincère et déploiement précipité.
La question n’est plus de savoir s’il tient ses promesses — mais s’il comprend vraiment à qui il s’adresse.
Des cendres sans fièvre, des villes sans cicatrices
L’histoire de Undawn n’a pas la prétention d’être nouvelle. Elle se contente d’être fonctionnelle : un monde ravagé par une apocalypse virale, des zombies errants dans des campagnes dépeuplées, et vous — survivant anonyme — poussé sur les routes après une embuscade banale, une chute orchestrée, un réveil au bord d’une station-service abandonnée. L’ouverture est convenue, presque automatique. Mais ce n’est pas là que se joue la singularité du jeu.
Car Undawn, contre toute attente, ne reconduit pas la vision traditionnelle du post-apocalyptique. La ville dans laquelle vous trouvez refuge — hub central de vos activités — n’est ni délabrée, ni en ruines, ni rongée par la faim. Elle est fonctionnelle. Trop fonctionnelle. Équipée, entretenue, presque propre. On y trouve un hôpital, un aéroport, une école, des marchands souriants. Le chaos n’a pas de prise sur ses murs. Le monde a chuté, mais ici, personne ne semble s’en souvenir.
Cette dissonance structurelle donne au récit un ton étrange, presque ironique. Le jeu superpose les codes de la survie — la solitude, l’effort, la pénurie — à un décor qui les contredit en permanence. L’univers est propre, praticable, balisé. Le joueur erre dans un monde censé être à bout de souffle, mais dont les entrailles respirent encore l’organisation, la stabilité, la consommation.
L’intrigue principale suit une structure linéaire, découpée en zones étendues où s’enchaînent missions narratives, cinématiques précalculées, dialogues semi-dubés et séquences d’action contextuelle. L’écriture, sans éclat, remplit sa fonction. Quelques personnages jalonnent le parcours, sans jamais vraiment s’ancrer. Ils apparaissent, guident, disparaissent. Leurs enjeux sont lointains, leurs visages interchangeables. Ils accompagnent, mais ne marquent pas.
Undawn raconte une histoire d’après, mais sans douleur, sans mémoire. Une histoire qui parle d’effondrement avec les codes d’un monde encore debout. Et c’est dans ce paradoxe que réside sa tension narrative : non pas dans ce qu’il raconte, mais dans ce qu’il ne veut pas montrer.
Survivre sans faim, tirer sans recul, construire sans enjeu
Undawn se présente comme un MMORPG de survie, mais sa structure tient davantage de l’assemblage que de la cohérence systémique. L’exploration, la gestion, le combat, la construction et la personnalisation cohabitent sans hiérarchie claire, comme autant de modules juxtaposés pour remplir un cahier des charges plutôt que pour nourrir une dynamique centrale. Le résultat, c’est un jeu saturé de mécaniques — mais privé de tension.
La survie, sur le papier, est omniprésente. Hygiène, sommeil, faim, santé mentale : tout est mesuré, tout est affiché. Mais dans la pratique, rien ne pèse. Ces indicateurs, loin d’imposer une logique de gestion, deviennent de simples rappels visuels. Il est rare de tomber à court. Rare d’avoir peur. Rare de faire un choix contraint. Le danger, pourtant affiché partout, ne se matérialise jamais. Le monde est ouvert, vaste, mais peuplé de menaces décoratives.
L’exploration souffre du même syndrome. On traverse de grandes étendues, des villes, des avant-postes, des bois — mais l’interaction reste superficielle. Les bâtiments sont souvent vides. Les véhicules ne s’examinent pas. Les maisons ne se fouillent pas. Le loot n’est pas caché, il est posé, balisé, distribué. Quelques coffres, quelques plantes à récolter, quelques ressources à miner. Aucun vertige, aucune tension.
Le système de combat, pourtant au centre du marketing, est le plus fragile. Les armes manquent de poids, d’impact, de logique sonore. Les affrontements sont mous, sans inertie. Le corps-à-corps est flou. Les armes à feu sont creuses. Pour amplifier le malaise, le jeu fait apparaître des ennemis derrière vous avec une régularité méthodique, brisant tout espoir de positionnement stratégique ou d’anticipation. Le tir devient une corvée, une obligation sans feedback.
Le housing, en revanche, tient mieux. Sur des zones dédiées, vous construisez, agencez, aménagez, ajoutez des coffres, des portes à code, des éléments interactifs. Il est même possible de vivre dans son abri, s’asseoir, dormir, faire une lessive. Cette parenthèse, presque contemplative, tranche avec le reste. Elle montre ce que le jeu aurait pu être : un espace où la survie se mesure à la lenteur, à l’intimité, à la reconstruction. Mais elle reste périphérique, isolée.
Le gameplay d’Undawn n’est pas vide. Il est trop large, trop éclaté, trop peu hiérarchisé. Il donne l’impression d’un jeu conçu pour tout faire — mais incapable d’imposer un rythme, une peur, une logique. On y vit, on y agit, on y construit, mais jamais on n’y survit. La machine tourne, sans jamais vous saisir.
L’illusion d’un monde vaste, la froideur d’un décor en sursis
Visuellement, Undawn impressionne. L’enveloppe est soignée, l’architecture détaillée, les environnements variés. La direction artistique épouse les canons du jeu chinois contemporain : surfaces lisses, éclairages calibrés, animations fluides, cinématiques impeccablement mises en scène. C’est un monde post-apocalyptique sans bavure, où la ruine a été repeinte, nettoyée, rationalisée. Une apocalypse rendue photogénique.
Mais cette propreté devient problème. Chaque ville est trop droite, chaque bâtiment trop neuf, chaque zone trop ordonnée. Le désordre, pourtant au cœur de toute fiction de fin du monde, est ici remplacé par une esthétique de brochure. Tout est là, et rien n’est désagrégé. Le monde semble s’être effondré sans avoir sali ses trottoirs.
Les personnages, eux, répondent aux standards du genre : avatars surpersonnalisables, silhouettes ajustées, accessoires interchangeables. L’outil de création est l’un des plus riches du marché, et permet des compositions étonnamment précises. Il est possible d’importer, d’exporter, de partager des modèles. Tout a été prévu. Sauf la nécessité de donner un corps à ces visages. Derrière l’abondance des options, l’animation reste rigide, et les expressions désincarnées.
Côté son, le constat est plus nuancé. Les effets sont nets, localisés, et chaque environnement bénéficie de son ambiance propre. Le vent sur les collines, les moteurs, les pas dans la boue : tout est là, bien mixé, mais sans jamais frissonner. Les armes, en revanche, sont silencieuses. Le tir manque de volume, de violence, de texture. Les dialogues — partiellement doublés — alternent entre professionnalisme impersonnel et silences embarrassants. La langue anglaise, unique au lancement, laisse nombre de joueurs sur le seuil.
Techniquement, le jeu reste stable. Sur PC, aucun crash majeur, une optimisation correcte, un moteur qui tient. Mais cette stabilité ne compense pas la sensation d’un monde qui fonctionne sans palpiter. La VR n’est pas concernée ici, mais l’ensemble donne parfois l’impression d’être pensé pour un autre support — plus tactile, plus simplifié, plus direct. La version PC, elle, doit se contenter d’un portage visuellement abouti, mais conceptuellement flottant.
Une interface fracturée, un portage en surchauffe
Undawn, dans sa version PC, expose une réalité brutale : celle d’un jeu pensé d’abord pour mobile, et plaqué sans ménagement sur une structure clavier-souris qu’il ne maîtrise pas. L’interface est massive, envahissante, saturée de fenêtres superposées, de notifications persistantes, de menus éclatés. Chaque action demande un détour, chaque fonction une manipulation. Rien n’est intuitif. Tout résiste.
L’utilisation de la touche Alt pour libérer le curseur, indispensable pour naviguer dans le HUD, désactive dans le même temps la visée, créant un conflit structurel entre déplacement, combat et gestion. Chaque changement d’arme, chaque accès à l’inventaire, chaque tentative d’interagir avec une interface devient une manœuvre hasardeuse, souvent punitive. Ce n’est pas une courbe d’apprentissage : c’est une faille de conception.
La prise en main à la manette aggrave encore la situation. Les menus ne répondent qu’à la souris. Certains éléments ne sont pas mappables, les dialogues ne peuvent être sélectionnés qu’au pointeur, et les sticks réagissent avec une lenteur inexplicable. Rien ne semble avoir été prévu pour ce type de configuration. Ce n’est pas un ajout partiel : c’est une promesse absente.
Le remappage des touches devient obligatoire. Les sensibilités doivent être ajustées, la caméra recalibrée. Le joueur PC est contraint de reconstruire son propre schéma de commandes pour compenser un portage mal maîtrisé. Et dans un MMO où l’interface est la clef de chaque interaction, cette friction constante devient un obstacle majeur.
Le crossplay, pourtant annoncé, n’apporte pas non plus de solution structurelle. Il ne corrige pas les déséquilibres d’ergonomie, ni la surcharge visuelle. Il juxtapose simplement deux systèmes de jeu qui ne dialoguent pas — l’un pensé pour l’écran tactile, l’autre pour une architecture complexe que le titre ne semble pas comprendre.
Ce n’est pas qu’Undawn tourne mal sur PC. C’est qu’il ne s’y sent jamais vraiment à sa place.
0 commentaires