Presque un quart de siècle après sa sortie sur Nintendo 64, Turok 3: Shadow of Oblivion ressurgit des limbes sous l’étiquette “Remastered”. Signé par Nightdive Studios, expert autoproclamé du déterrage de vieilles gloires polygoniques, ce retour inattendu débarque sur Xbox Series en novembre 2024 avec l’espoir de rappeler à quelques irréductibles qu’avant les battle pass et les lootboxes, il existait des FPS au goût de sang et de pixels.
Mais ce retour a-t-il la légitimité d’un classique qu’on attendait de pied ferme, ou n’est-il que le produit cynique d’une industrie en manque de risques, mais jamais d’idées recyclées ?
Quand l’hémoglobine coule comme au bon vieux temps et que les dinosaures laissent place à des mutants baveux, reste-t-il assez de magie pour faire vibrer la corde nostalgique… sans briser tout le reste ?
Héritage sacrifié, destin précipité
Turok 3: Shadow of Oblivion Remastered ne s’embarrasse guère de subtilités scénaristiques. Dès l’ouverture, une cinématique aux accents grandiloquents expédie le sort de Joshua, héros des précédents opus, sacrifié pour sauver ses cadets d’une menace cosmique répondant au nom d’Oblivion. À peine le temps de verser une larme que déjà, l’intrigue vous propulse sans ménagement dans les bras du Conseil des Voix, avec pour unique choix celui de reprendre ou non le flambeau de Turok. Spoiler : vous n’aurez pas vraiment le choix.
Premier coup d’éclat notable pour l’époque : le jeu vous permet d’incarner soit Danielle, adepte des explosifs et armée d’un grappin énergétique, soit Joseph, spécialiste de la furtivité et du tir longue distance, équipé de lunettes de vision nocturne. Ce choix de personnage, rare à l’époque dans le FPS console, influe légèrement sur votre manière d’aborder les niveaux, même si dans les faits, l’approche reste massivement orientée vers la boucherie joyeuse.
L’histoire, quant à elle, tient lieu d’alibi. On vous parle d’un garçon à sauver, d’une forteresse imprenable, de forces surnaturelles tapies dans l’ombre, mais tout cela n’est qu’un mince vernis posé sur une succession frénétique d’arènes sanglantes et de couloirs désarticulés. Chaque niveau est relié par un prétexte narratif, souvent aussi crédible qu’une carte postale racontant une épopée.
Il serait tentant de reprocher à Turok 3 cette vacuité scénaristique, mais ce serait oublier son époque : en 2000 déjà, le jeu était un rejeton du gameplay pur, pas une quête existentielle. Le problème, c’est qu’en 2024, ce minimalisme narratif heurte plus qu’il ne charme, tant l’industrie a élevé ses standards d’écriture.
Le véritable héros, ici, n’est ni Danielle ni Joseph. C’est l’action brute, l’adrénaline, et ce vieux goût métallique au fond de la gorge lorsque chaque porte qui s’ouvre pourrait bien être la dernière.
Un cri primal au cœur d’une jungle de pixels
Dès les premiers instants, Turok 3: Shadow of Oblivion Remastered vous replonge dans une époque révolue, où le FPS était une affaire de réflexes aiguisés, de cartouches vidées à la volée et de level design aussi labyrinthique qu’impitoyable. Ici, pas de radar omniscient ni de couverture automatique : le mouvement est votre seul salut, et la vitesse votre meilleure alliée.
Le gameplay, d’une nervosité exemplaire, n’a rien perdu de son mordant. Les déplacements sont ultra-réactifs, les sauts fusent, les tirs claquent avec une immédiateté oubliée dans la mollesse de nombreux shooters modernes. Chaque arme, du simple pistolet au lance-grenades surpuissant, offre une sensation de puissance viscérale, accentuée par des gerbes d’hémoglobine et des démembrements aussi gratuits que jouissifs.
Le choix entre Danielle et Joseph n’est pas purement cosmétique. Danielle, tank surarmé, fonce dans le tas en érigeant des explosions en art de vivre, tandis que Joseph privilégie la précision froide et la discrétion meurtrière. Ces différences, bien que présentes, restent cependant superficielles dans une aventure qui privilégie systématiquement l’action brute au raffinement stratégique.
Le level design reste fidèle aux canons de l’époque : vaste, vertical, truffé de raccourcis et d’embranchements à explorer. Les environnements, bien que contraints par leur origine Nintendo 64, parviennent à proposer une variété de biomes surprenante : complexes futuristes déglingués, forêts obscures, ruines extraterrestres suintantes. Chaque niveau devient un terrain de chasse où seule votre connaissance du terrain fera la différence entre prédateur et proie.
Et que dire de l’arsenal ? Avec 23 armes différentes, Turok 3 fait dans la surenchère assumée, multipliant les moyens d’éparpiller vos ennemis façon puzzle. Arcs, fusils plasma, canons énergétiques… Chaque outil de mort est une déclaration d’amour bruyante aux FPS nerveux de la fin des années 90.
Le revers de la médaille, c’est que cette recette, aussi explosive soit-elle, accuse son âge. Les IA ennemies sont sommaires, oscillant entre la ruée suicidaire et la passivité désarmante. Les objectifs de mission sont souvent basiques, limités à l’éradication systématique de tout ce qui bouge. Quant aux boss, ils peinent à offrir autre chose qu’un test de patience et de munitions.
Turok 3: Shadow of Oblivion Remastered reste donc fidèle à lui-même : un pur concentré d’adrénaline rétro, exaltant par moments, mais figé dans une époque où la profondeur de gameplay comptait bien moins que l’exubérance du carnage.
Un lifting discret sur une carcasse vieillissante
Pas de fausse promesse ici : Turok 3: Shadow of Oblivion Remastered est bien ce qu’il prétend être, ni plus, ni moins. Nightdive Studios livre un remaster fidèle, appliqué sur l’essentiel, mais qui ne cherche jamais à transcender l’œuvre originale. Le jeu conserve son squelette de l’an 2000, simplement repeint pour mieux briller sous les projecteurs modernes.
Les graphismes bénéficient d’un lissage global efficace. Les modèles 3D, autrefois grossiers et anguleux, affichent désormais des contours plus nets et des textures légèrement rehaussées. Les éclairages ont été repensés pour donner un peu de profondeur aux scènes, et certains effets de particules — explosions, gerbes de sang, impacts — gagnent en lisibilité. Le tout tourne de manière fluide sur Xbox Series, avec un affichage stable, sans ralentissement majeur ni artefacts gênants.
Cependant, l’ensemble ne parvient jamais à masquer pleinement l’âge avancé de la structure. Les environnements, malgré leur variété thématique, restent vides et statiques, avec une architecture héritée d’une ère technique où la mémoire limitée dictait la créativité. Les animations des ennemis, bien que nettoyées, restent rigides et souvent mécaniques, trahissant les racines Nintendo 64 du projet.
La direction artistique, plus sombre et grotesque que dans les deux premiers épisodes, conserve un certain charme : entre carcasses fumantes, abominations extraterrestres et paysages désolés, Turok 3 explore des territoires visuels plus glauques et oppressants. On est loin des jungles luxuriantes de l’époque Turok 2.
Côté son, le remaster respecte scrupuleusement l’original. La bande-son, mélange de nappes synthétiques oppressantes et de percussions tribales, accompagne efficacement vos errances meurtrières. Les bruitages, eux, ont été légèrement retravaillés sans perdre cette brutalité crue caractéristique : chaque tir, chaque cri d’agonie, chaque explosion conserve une identité sonore râpeuse et viscérale.
Cependant, aucune refonte majeure n’est proposée. Aucun remix orchestral, aucun travail de spatialisation audio plus poussé. L’ensemble reste fidèle jusqu’à l’excès, y compris dans ses limites historiques. Un lifting fonctionnel, mais sans ambition, qui rappelle en permanence au joueur qu’il parcourt les vestiges d’un autre temps.
Un témoin d’une époque figée
En dehors de son lifting esthétique minimaliste, Turok 3: Shadow of Oblivion Remastered propose une expérience quasi identique à celle de l’an 2000, pour le meilleur comme pour le pire. Aucun contenu additionnel, aucune mission bonus, aucune amélioration de gameplay n’est venue enrichir l’expérience de base. Ce remaster est un pur exercice de conservation, sans volonté d’adapter l’œuvre aux standards modernes du FPS.
Aucune option d’accessibilité n’est prévue, ni aide à la visée, ni filtres visuels, ni ajustements ergonomiques pour les nouveaux venus. Turok 3 s’adresse donc avant tout à une frange précise de joueurs : ceux qui acceptent de retrouver les aspérités d’une époque où le confort de jeu n’était pas une priorité.
Sur Xbox Series, la stabilité technique est solide : le titre tourne sans accroc majeur, offrant des temps de chargement rapides et une fluidité appréciable. Mais cette stabilité n’efface pas une certaine rudesse générale : contrôles parfois rigides, gestion de collision archaïque, manque d’indications claires lors des objectifs secondaires.
Aucune fonction multijoueur n’a été ajoutée, contrairement à certains remasters récents qui avaient tenté d’insuffler un vent de fraîcheur via des modes coopératifs ou compétitifs. Ici, c’est une expérience exclusivement solo, fidèle jusqu’au boutiste à l’esprit originel.
Nightdive Studios reste ainsi fidèle à sa philosophie : restaurer l’existant sans le transformer. Mais dans le cas de Turok 3, cette approche révèle surtout les limites d’un projet qui, même nettoyé de ses scories techniques, reste figé dans son temps, incapable de masquer totalement son obsolescence.
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