La lumière vacille, la douleur pulse dans le crâne, et les murs froids du manoir se referment. Tormented Souls, développé par Dual Effect et Abstract Digital, ressuscite l’esprit des années 90 avec une promesse glaciale : renouer avec la terreur classique, celle des angles fixes, des énigmes cruelles et de la solitude absolue.
En 2021, alors que le survival horror moderne mise sur l’overdose sensorielle et la cinématique fluide, ce titre ose un retour frontal à l’école du trauma : celle de Resident Evil, de Silent Hill, des salles silencieuses où l’on compte ses pas comme ses balles.
Mais à force de vénérer ses modèles, Tormented Souls parvient-il à retrouver leur puissance ? Ou n’en retient-il que la forme, figée comme un souvenir trop bien conservé ?
Jumelles perdues, identité fracturée
Vous êtes Caroline Walker. Une lettre, une photo, un nom effacé. C’est tout ce qu’il vous faut pour franchir les portes d’un ancien hôpital devenu mausolée. Tormented Souls ne cherche pas la subtilité : il plante son décor dans un lieu unique et claustrophobe, fusion de manoir victorien, de sanatorium abandonné et de piège mental.
L’intrigue n’échappe pas aux codes du genre — disparitions, expériences interdites, mémoire effacée — mais elle les manipule avec une certaine élégance. L’histoire se déploie à coups de documents à moitié brûlés, journaux cryptiques et découvertes macabres, où chaque révélation enfonce un peu plus Caroline dans les replis d’un passé malade.
Les rares personnages croisés — prêtre énigmatique, patient délirant, voix lointaine — n’existent que pour entretenir la tension. Pas d’exposition envahissante, pas de compagnons de route. Vous êtes seule. Et plus le jeu avance, plus cette solitude prend le goût amer du doute.
L’écriture ne brille pas par sa subtilité, mais par sa cohérence esthétique. Tout est pensé pour alimenter le malaise, pour évoquer sans trop dire, pour faire douter sans jamais relâcher. Ce n’est pas une narration brillante — c’est une présence rampante, qui vous suit dans chaque couloir, jusqu’à la dernière salle.
Lente agonie, précision létale
Pas de mini-map, pas de checkpoint automatique, pas d’aide visuelle criarde. Tormented Souls vous lâche dans les entrailles d’un labyrinthe fermé sur lui-même, où chaque clé se mérite et chaque salle nouvelle menace de vous tuer. Le jeu renoue avec les fondements du genre : caméra fixe, inventaire restreint, énigmes exigeantes, munitions comptées. Et il l’assume jusqu’au bout.
Les angles de caméra ne sont pas qu’un clin d’œil aux années 90. Ils sont des armes. Chaque plan dissimule, piège, oppresse. Ils forcent à marcher lentement, à écouter, à douter. Avancer devient un choix, pas un automatisme.
Les énigmes, elles, sont au centre de la progression. Pas de portes à ouvrir bêtement : il faut combiner, observer, lire, revenir sur ses pas. Certaines d’entre elles brillent par leur construction, mêlant logique pure et manipulation spatiale. D’autres flirtent avec l’opacité, au point de bloquer pendant de longues minutes — parfois plus par manque de clarté que par réelle complexité.
La gestion des ressources est impitoyable. Chaque balle tirée est une perte potentielle. Chaque bande magnétique utilisée pour sauvegarder est une décision lourde. Le moindre soin devient une stratégie. Ici, on n’accumule rien. On survit à découvert, sans marge de sécurité.
Mais tout n’est pas parfait. Le système de combat, rigide, mal calibré par endroits, trahit parfois l’intention. Les collisions sont capricieuses, le ciblage approximatif, et la diversité des ennemis limitée. On ne combat pas pour le plaisir, on le fait parce qu’on n’a pas le choix. Et quelque part, cela fonctionne. Parce que cela renforce la peur de l’affrontement, plus que l’affrontement lui-même.
Tormented Souls ne cherche pas la modernité. Il cherche le grain brut du survival, sans filtre, sans concession.
L’obscurité sculptée, le silence en écho
Chaque recoin de Tormented Souls semble avoir été trempé dans l’huile et la poussière. Le manoir-hôpital de Wildberger est une abomination d’architecture : plafonds sculptés, murs suintants, corridors infinis où la lumière vacille sans prévenir. L’esthétique oscille entre le gothique clinique et le baroque corrompu, et chaque pièce devient un piège visuel — fascinant autant qu’hostile.
L’éclairage joue ici un rôle central. La lampe torche de Caroline n’est pas un gadget : c’est votre seul rempart contre les ténèbres, votre seul outil pour forcer l’environnement à révéler ses secrets. Les ombres dansent, les formes bougent, le décor respire — et vous avec lui. Lorsqu’il fonctionne à plein régime, le jeu impose une ambiance visuelle proche de l’étouffement.
Mais à ce tableau se greffent quelques imperfections techniques : chutes de framerate, textures datées, bugs d’affichage mineurs. Rien de catastrophique, mais des accrocs visibles dans un ensemble pourtant pensé avec soin. L’animation, notamment lors des combats, souffre d’une certaine rigidité, et quelques objets semblent échappés d’une génération antérieure.
Côté son, Tormented Souls préfère le murmure au cri. La musique n’envahit jamais : elle s’installe, rampante, puis se retire pour laisser place au son des chaînes, des portes qui grincent, des pas trop lourds dans les couloirs vides. La bande-son tisse une tension continue sans jamais basculer dans le grandiloquent.
Les voix, en revanche, trahissent le budget limité. Certaines lignes sont mal jouées, d’autres semblent déconnectées du ton général. Heureusement, ces moments sont rares et l’essentiel repose ailleurs — dans l’ambiance, l’espace sonore, le sentiment d’abandon.
Tormented Souls sait que la peur est une affaire de lumière et de silence. Et à ce petit jeu, il s’en sort avec les honneurs.
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