Conçu par AMATA K.K., studio japonais fondé par d’anciens artisans de ICO, Shadow of the Colossus et The Last Guardian, The Tale of Onogoro déploie une expérience en réalité virtuelle aussi singulière qu’émotive, pensée pour Meta Quest 3. À première vue, ce récit de prêtresse en détresse et d’invocation muette pourrait évoquer les codes classiques du jeu d’aventure fantastique. Pourtant, sous ses temples sacrés et ses entités mythologiques, le titre esquisse un autre lien : celui entre deux âmes réunies dans un monde en ruine, où chaque geste du joueur devient acte de survie.
Avec une direction artistique inspirée, une narration diégétique brillante et une volonté manifeste d’intégrer le joueur comme acteur silencieux mais crucial de l’histoire, AMATA K.K. ne se contente pas de raconter une fable japonaise. Il invite à la vivre, corps et cœur liés.
Mais cette fresque spirituelle aux allures d’expérience sensorielle maîtrisée parvient-elle à faire vibrer la corde émotionnelle jusqu’au bout, ou reste-t-elle prisonnière de ses propres chaînes mystiques ?
Un rocher pour ancre, une main pour promesse
Dans The Tale of Onogoro, le mythe prend la forme d’un corps brisé, et l’aventure commence là où tout semble déjà perdu. Haru, prêtresse sacrée aux pouvoirs scellés, a été mutilée par Masatake l’Ancien, figure d’autorité déchue dont les desseins obscurs menacent l’équilibre du monde. Œil, jambe, bras, cœur : tout lui a été retiré, puis rattaché symboliquement à une stèle de pierre que vous devez transporter avec vous. Dans ce monde parallèle inspiré des cosmogonies japonaises, la douleur devient vecteur de lien, et le lien, outil de progression.
Vous incarnez une entité venue d’ailleurs, muette, intangible, mais armée de deux Armes Divines, pistolets mystiques permettant de manipuler les éléments et d’interagir avec l’environnement. C’est à travers cette incarnation spectrale que le joueur trouve sa place dans le récit : un être sans voix, mais pas sans volonté. Chaque échange, chaque moment partagé avec Haru renforce cette sensation d’accompagnement mutuel, d’interdépendance émotionnelle construite geste après geste.
Le récit s’inscrit dans une tradition de narration diégétique rare en VR. Haru vous parle, vous interroge, vous observe, et justifie même vos limitations physiques par des clins d’œil habiles à votre casque et à votre forme intangible. Vous répondez par des hochements de tête, vous réagissez par le mouvement, et c’est ce silence actif qui crée la complicité. Un lien sans mots, mais tissé d’attention, de sacrifice, et d’une proximité constante.
Cette relation, au-delà du simple duo classique, devient le pivot dramatique du jeu. Car chaque blessure que vous subissez frappe Haru. Chaque fois qu’elle chancelle, c’est à vous de courir, de tendre vos mains, et de lui rendre une partie de votre énergie. Ce geste, récurrent, n’est pas seulement une mécanique de soin. C’est un serment renouvelé. Une manière de dire « je suis là », même dans un monde où vous ne pouvez parler.
La force du récit réside dans cette fragilité partagée, cette danse permanente entre l’impuissance et la volonté, où l’on ne sauve pas une demoiselle, mais une mémoire vivante. Les dialogues sont sobres, précis, portés par une localisation française soignée qui restitue pleinement la tonalité mystique du propos. Et Haru, loin d’être une présence passive, guide, alerte, soutient — une prêtresse debout malgré la perte, un personnage marquant par sa résilience autant que par sa douceur.
Deux mains pour guide, une âme pour armure
Le cœur de The Tale of Onogoro bat au rythme d’un gameplay pensé pour lier le geste au sens, le tactile à l’émotion. En maniant vos Armes Divines, vous ne tenez pas une simple extension ludique : vous manipulez le monde, portez Haru, guidez la pierre qui la lie, orientez votre souffle commun. Le jeu repose sur un système de puzzles spatiaux et élémentaires, mêlant déplacement, manipulation d’objets, activation de mécanismes et affrontements symboliques contre des entités appelées Kami.
Chaque énigme vous demande de penser l’espace, d’observer votre environnement sous plusieurs angles, d’interagir avec Haru sans jamais la contrôler. Elle est là, liée à votre bras par une lourde stèle, avancée à la force de votre poignet. Vous la déplacez, l’orientez, mais ne l’annulez jamais : sa présence est constante, son rythme vous est imposé. Cette contrainte, loin de freiner la progression, devient la grammaire du jeu, la matrice à travers laquelle tout prend sens.
Le système de santé partagée renforce ce lien : les blessures que vous encaissez lui sont infligées, et lorsque son énergie faiblit, il faut physiquement s’agenouiller à ses côtés, saisir ses mains, et lui transmettre une part de votre essence vitale. Ce geste simple, répété dans l’urgence, devient un rituel. Une preuve d’engagement renouvelée à chaque affrontement, chaque erreur, chaque moment où avancer devient un acte de foi autant que de logique.
La prise en main des armes et des outils est immédiatement naturelle. Les poignées reproduisent les boutons du contrôleur Meta Quest, et chaque mouvement de doigt est fidèlement restitué. Ce souci de précision tactile permet une immersion renforcée dans la résolution des puzzles, où l’on tire, attrape, pivote, désactive… parfois sous la pression du temps, parfois dans le calme d’un sanctuaire oublié.
Les combats, moins nombreux mais marquants, interviennent comme des respirations brutales au sein du rythme posé du jeu. Les affrontements contre les Kami sont pensés comme des boss à pattern, mêlant attaque à distance, esquive, et manipulation simultanée d’objets environnementaux. Ces moments exigent coordination, rapidité, et attention au positionnement d’Haru, jamais à l’abri d’un impact indirect.
Le level design, conçu comme une progression linéaire, mise sur la cohérence spatiale plutôt que sur l’exploration libre. Chaque zone propose ses mécaniques propres, ses variations, ses énigmes imbriquées dans le décor, avec un souci constant d’accompagnement implicite. Le joueur n’est jamais abandonné, mais jamais non plus tenu par la main : tout se joue dans l’observation, la répétition, l’adaptation.
Et comme dans ICO, chaque pas effectué est un pas pour deux. Votre avancée est la sienne, et votre réussite n’est jamais purement personnelle. Elle est partagée, construite dans l’effort commun, liée par la pierre, le geste et le silence.
Encres sacrées et soupirs du vent ancien
Dans The Tale of Onogoro, chaque panorama est une offrande, chaque détail visuel un fragment d’écriture sacrée inscrit dans la pierre ou suspendu dans l’air. Le jeu déploie un monde façonné de temples millénaires, de ponts suspendus au-dessus du vide, de forêts nappées de brume et de structures cyclopéennes imprégnées d’un mysticisme jamais appuyé. L’esthétique épouse pleinement le langage visuel des légendes japonaises, entre calligraphie animée, couleurs diaphanes et contrastes tranchés entre matière divine et métal maudit.
Les capacités du Meta Quest 3 sont ici mises au service d’un environnement stylisé mais cohérent, dont les limites techniques sont contournées par une direction artistique forte. On ne cherche pas le réalisme ; on cherche la résonance symbolique. Une stèle gravée semble respirer. Un sanctuaire effondré conserve la mémoire de ceux qui y ont prié. Le décor ne fait pas que poser un cadre, il suggère une histoire plus vaste, une cosmogonie éparse que l’on devine plus qu’on ne la lit.
Les effets visuels, liés aux Armes Divines ou aux essences élémentaires, jouent sur des motifs lumineux et des textures fluides qui répondent à vos gestes avec précision, renforçant la sensation de contrôler une puissance étrangère mais obéissante. À l’inverse, les entités hostiles adoptent un design plus massif, presque brut, comme si leur existence parasitait un monde initialement paisible.
La bande-son accompagne cette esthétique avec une justesse rare. Composée autour d’instruments traditionnels japonais, elle mêle percussions sourdes, flûtes plaintives et nappes de cordes suspendues, créant un climat sonore envoûtant. Elle ne souligne pas les événements, elle les prolonge. Chaque note semble s’écouler du décor lui-même, comme si les murs chantaient ou que les pierres pleuraient.
Les doublages sont livrés avec une retenue émotionnelle maîtrisée, portée par une localisation française d’une qualité remarquable. Haru parle avec une douceur blessée, jamais surjouée. Ses appels à l’aide, ses murmures de gratitude, ses rappels à la vigilance résonnent comme des échos intimes au creux du casque. Cette voix est un phare, une ancre, un repère affectif dans un monde de brume et de mythes.
Enfin, les bruitages renforcent la sensation de présence : cliquetis d’artefacts anciens, pulsations d’essence transférée, crissements de pierre déplacée… tout concourt à vous maintenir dans une bulle sensorielle homogène, tissée de textures sonores feutrées et de silences qui disent plus que n’importe quelle musique.
Poids des chaînes, souffle des liens, résonance des choix
Derrière son habillage onirique et ses mécaniques limpides, The Tale of Onogoro cache une structure technique solide et discrète, pensée pour soutenir l’émotion sans jamais la parasiter. L’interface se fait minimale, fondue dans l’univers. Aucun HUD envahissant, aucun panneau flottant inutile : tout est diégétique, tout passe par l’objet, la main, le geste, au plus près de ce que la réalité virtuelle permet d’incarner.
Les performances sur Meta Quest 3 se révèlent fluides. Aucune rupture majeure, pas de ralentissement notable, même dans les séquences les plus chargées en particules ou effets de lumière. L’expérience reste stable du premier au dernier sanctuaire, portée par une optimisation rigoureuse et une gestion intelligente des ressources visuelles. La lisibilité des environnements, souvent essentielle pour résoudre les énigmes, est assurée par un soin apporté à la clarté des contrastes et à l’orientation intuitive.
L’expérience de jeu est exclusivement solo, et elle l’assume pleinement. Il n’y a ni mode multijoueur, ni composante sociale artificielle : l’intimité du lien avec Haru est au centre, et ne souffre d’aucune dilution. Ce face-à-face permanent entre vous, le monde, et elle, s’accompagne d’une construction linéaire assumée, sans carte ouverte, sans embranchements massifs. L’immersion est dans la continuité, dans la densité du fil rouge, pas dans la dispersion.
Le jeu propose une durée raisonnable, pensée pour se déployer sans se répéter, avec des boss bien répartis, des variations de rythme efficaces et une montée en intensité émotionnelle parfaitement maîtrisée. Aucun système de personnalisation avancée, mais des mécaniques qui évoluent subtilement avec l’apparition de nouveaux types de puzzles et d’obstacles, évitant ainsi toute lassitude.
Les options d’accessibilité, si elles restent limitées, permettent toutefois d’ajuster certains éléments de confort, notamment en matière de locomotion et de sensibilité aux mouvements. Le jeu ne cherche pas à innover par la quantité de paramètres techniques, mais par la qualité de l’expérience narrative guidée.
Et si l’on revient à l’essentiel, c’est là que The Tale of Onogoro tire sa force : dans sa capacité à transformer la VR en théâtre d’intimité, en lien sensoriel, en pacte silencieux entre deux êtres voués à survivre ensemble ou à tomber à genoux, main dans la main.
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