Développé par Black Cube Games, The Tale of Bistun est sorti sur Nintendo Switch le 21 janvier 2025, après un premier passage remarqué sur PC. Adaptation libre d’un poème mystique du XIIe siècle, ce titre vous place dans la peau d’un sculpteur amnésique errant sur les flancs du mont Bistun, hanté par des visions, guidé par des voix, poursuivi par l’écho d’un amour effacé.
Mais derrière cette inspiration littéraire rare et cette ambition poétique, le jeu parvient-il à tailler dans le marbre une aventure digne de ses mythes ? Ou s’enlise-t-il dans une forme figée, incapable de donner chair à son propre récit ?
Un mythe sans chair figé dans le calcaire
Le jeu prétend s’inspirer du poème épique de Nezâmi, mais ce n’est qu’un voile. The Tale of Bistun ne raconte rien. Il évoque, il paraphrase, il tourne autour d’un passé sans jamais l’habiter. Vous incarnez Farhad, sculpteur amnésique au mutisme imposé, condamné à rejouer les mêmes visions éthérées d’un amour perdu, comme un automate d’argile que la montagne broie peu à peu.
La narration repose sur une voix omniprésente, monocorde, obsédée par le symbolisme mais incapable d’articuler un drame. On nous parle de Shirin, on nous parle de souvenirs, de douleur, de renaissance… mais jamais rien ne se construit. Aucune scène, aucun dialogue, aucun échange ne donne corps à cette relation prétendument fondatrice. C’est une galerie d’ombres, un théâtre sans comédiens.
Les personnages secondaires ne sont pas mieux lotis. Le Deev, figure de l’oubli, n’est qu’un cliché mystique recyclé, sans présence, sans menace. La huppe, guide ailée censée incarner la sagesse, se contente d’être un messager bavard, incapable de relancer l’intérêt. Chaque intervention narrative sonne comme un sermon mécanique, une récitation dépourvue de tension.
Farhad, réduit à une fonction, traverse son propre récit sans jamais y peser. Il ne choisit rien, ne confronte rien, ne défie rien. Il est l’objet d’un rituel narratif dont la boucle est connue d’avance. Le jeu aurait pu faire de son silence une force, une résistance au monde. Il en fait un vide.
The Tale of Bistun se donne des airs de fable persane, mais n’en retient que la poussière. Il rêve de poésie, mais ne propose qu’un flux de métaphores creuses. Une narration désincarnée, qui évoque le tragique avec la froideur d’un monument touristique.
Un sentier mystique dont chaque pierre pèse
L’ambition était claire : traduire le voyage spirituel en mécanique de jeu, faire de chaque pas une révélation, de chaque affrontement un fragment de mémoire à reconquérir. The Tale of Bistun échoue à ce pacte.
Le gameplay repose sur une alternance de combats rudimentaires et de marches méditatives. Mais ces combats n’ont ni tactique ni intensité. Vous frappez, vous esquivez, vous attendez. Les ennemis apparaissent, tournent autour de vous, meurent. Aucune IA, aucun rythme, aucun crescendo. C’est une chorégraphie creuse, répétée sans tension. Même les pouvoirs spéciaux, pourtant conçus pour rompre la monotonie, sont déclenchés sans réflexion ni plaisir.
L’exploration, elle, se limite à des couloirs camouflés. Le mont Bistun n’est pas un monde à parcourir, c’est un décor figé sur rails. Chaque chemin est balisé, chaque détour interdit, chaque secret inexistant. Vous avancez, sans jamais choisir. Vous gravissez sans jamais vous perdre. Ce n’est pas une ascension : c’est un tapis roulant.
Les rares énigmes n’en sont pas. Quelques statues à activer, quelques symboles à recopier. Pas de logique à comprendre, pas de système à apprivoiser. On progresse parce que le jeu le décide, pas parce qu’on le dompte.
Il n’y a aucun level design à analyser, aucun système mécanique à décortiquer. Ce n’est pas un jeu d’action. Ce n’est pas un puzzle narratif. C’est une mise en scène dirigiste, sans friction, sans enjeu, sans poids. Tout y est fonctionnel, rien n’est signifiant.
The Tale of Bistun aurait pu incarner la lenteur comme résistance, la simplicité comme choix poétique. Il se contente d’un gameplay vidé de sens, réduit à des automatismes désincarnés. Un pèlerinage vidéoludique sans foi, sans combat, sans destination.
Un monde peint à la hâte sous la lumière d’un souvenir flou
La direction artistique de The Tale of Bistun cherche à évoquer un mythe, une vision du monde sculptée dans la pierre et la mémoire. Mais elle échoue à en faire un lieu. Le mont Bistun n’est pas un territoire à explorer : c’est un décor figé, une série de cartes muettes où chaque texture semble répétée, chaque silhouette calquée.
Les paysages auraient pu vibrer, porter les cicatrices d’un amour ancien, d’une histoire effacée. Ils ne font que défiler. Chaque zone ressemble à la précédente, les variations de teinte se substituant à tout véritable travail de composition. Il n’y a ni vertige ni silence dans cette montagne. Juste un enrobage flou.
Les animations, mécaniques, plombent les rares instants d’intimité visuelle. Les personnages bougent comme des pantins trop rigides, les attaques frappent sans impact, les déplacements s’effectuent sans inertie. Tout manque de poids, de souffle, de tension. C’est un monde sans matière, sans gravité.
La bande-son, pourtant tissée de motifs orientaux, n’habite jamais l’espace qu’elle décrit. Elle accompagne sans s’imposer, illustre sans dialoguer. Aucune rupture, aucun thème fort, aucune montée dramatique ne vient scander le voyage. Ce n’est pas une composition : c’est une ambiance d’attente.
Le doublage, omniprésent, tente de porter la narration sur ses seules épaules. Mais la voix, monocorde, trop souvent sollicitée, finit par recouvrir le monde d’un voile gris. Elle ne raconte pas : elle lit. Elle ne suggère pas : elle décrit. Et chaque mot devient une digue entre le joueur et ce que le jeu aurait pu faire ressentir.
The Tale of Bistun aurait pu être un poème visuel, une sculpture sonore. Il n’est qu’un produit figé dans l’intention. Une esthétique fantôme, incapable de faire exister un monde déjà mort.
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