Sorti le 04 novembre 2021 sur Meta Quest 2, Meta Quest 3 et Pro, The Secret of Retropolis est un jeu d’enquête en réalité virtuelle développé par Peanut Button, studio confidentiel à la précision artistique manifeste. Derrière son esthétique rétro-futuriste et ses allures de film noir digitalisé, le titre propose une parenthèse narrative courte, resserrée, pensée comme un hommage mélancolique aux détectives de celluloïd et aux automatons fatigués.
Vous incarnez Philip Log, robot désabusé dans une ville qui rouille plus vite qu’elle ne se répare, chargé par une actrice synthétique d’exhumer un secret trop lourd pour ses circuits. Chaque objet devient une énigme, chaque regard un soupçon. Tout se joue dans l’immobile, dans l’interaction précise, dans les voix qui glissent entre les ombres d’un club abandonné.
Mais cette expérience compacte, pensée pour la VR, parvient-elle à transformer ses limites en matière ? Ou n’est-elle qu’un écrin élégant pour une enquête sans lendemain ?
Des circuits en guise de nerfs, et un cœur logé dans la rouille
L’histoire de The Secret of Retropolis se déroule sans éclat, sans surenchère. Elle coule lentement, comme une bande magnétique oubliée dans un magnétoscope rouillé. Vous incarnez Philip Log, détective privé dont la voix nasillarde et la carcasse cabossée suffisent à poser le décor : celui d’un monde où les humains ont disparu, remplacés par des robots aux névroses programmées, piégés dans une cité figée dans les limbes d’un XXe siècle qui n’a jamais eu lieu.
La mission est simple. Une actrice vient frapper à votre porte. Un joyau volé. Un mari puissant. Un compte à rebours discret. Mais derrière le vernis du prétexte, chaque déplacement, chaque dialogue révèle une mécanique d’usure : celle d’un monde qui tient debout par habitude, par automatisme, et où la vérité importe moins que la manière dont elle est mise en scène.
Retropolis n’a pas besoin d’une narration complexe. Elle repose sur une succession d’espaces narratifs saturés de références, de voix modulées, de regards fixes et d’objets trop propres. Le récit, volontairement linéaire, prend le parti de l’efficacité : une ligne droite, tendue comme un câble, jalonnée de monologues intérieurs qui rappellent les archétypes du film noir sans jamais sombrer dans la caricature. Chaque séquence devient une vignette. Chaque pièce, un théâtre de soupirs métalliques et de souvenirs reconfigurés.
Les personnages ne sont pas écrits : ils sont stylisés. Jenny Montage, stéréotype conscient de la femme fatale, existe davantage par sa tessiture vocale que par son arc narratif. Le sénateur Meric, antagoniste distant, reste une présence plus qu’un acteur. Tous semblent flotter dans un espace flou, entre souvenir et programme, entre scénario et vitrine. Et c’est précisément dans cette distance que le jeu trouve son efficacité : il ne prétend pas faire croire. Il propose un cadre, une atmosphère, une tension sans issue.
The Secret of Retropolis n’est pas une histoire que l’on vit. C’est une voix que l’on suit, un passé qu’on feuillette à travers la buée d’un néon cassé. Le vrai mystère n’est pas dans le joyau volé, ni dans l’identité du coupable. Il est dans le regard du détective, dans sa résignation programmée, dans l’élégance fatiguée de ses phrases.
Point-and-click à distance, doigts d’acier et valise à souvenirs
The Secret of Retropolis ne révolutionne pas la mécanique du jeu d’aventure. Il l’épure. Il la resserre. Il l’adapte à la logique de la VR comme on adapterait un vieux polar à un théâtre d’ombres. Le gameplay repose sur une structure point-and-click classique, mais transposée dans un espace où l’immobilité devient centrale, et où chaque action s’effectue dans un rayon limité — non par contrainte, mais par design. Philip Log ne marche pas. Il observe, tend son bras télescopique, saisit, connecte, combine.
L’inventaire, une valise suspendue à portée de main, devient votre mémoire mécanique. Chaque objet collecté, chaque indice conservé est une pièce du puzzle, non pas tant pour résoudre l’enquête que pour prolonger l’atmosphère. Les énigmes sont simples, fluides, jamais conçues pour stopper la progression. Elles jalonnent la narration comme des respirations techniques, dosées avec soin pour maintenir l’élan sans le briser.
Les interactions sont limitées, mais elles gagnent en physicalité. On tire un levier, on glisse une clé, on connecte deux composants. Rien n’est complexe, mais tout est tactile. La VR sert ici à renforcer l’engagement du joueur dans les micro-gestes du quotidien robotique. On ne parcourt pas Retropolis : on l’effleure, on l’active, on le déverrouille pièce par pièce. Chaque interaction, aussi brève soit-elle, participe à l’ancrage sensoriel dans un univers qui, sans cela, resterait une fresque stylisée.
Les dialogues offrent quelques choix de réponse, mais ceux-ci ne façonnent pas de branches narratives. Ils ajustent le ton, affinent les échanges, soulignent le tempérament de votre détective. Le récit reste linéaire, mais il s’accommode d’une pluralité d’attitudes : cynisme, lassitude, ironie passive. Cette liberté d’interprétation subtile suffit à rendre chaque interaction vivante, chaque réponse un peu plus personnelle, même si l’intrigue, elle, suit sa ligne droite sans dévier.
Le jeu est court — une heure, peut-être un peu plus. Mais ce temps est densifié par l’élégance de sa construction. Rien n’est superflu. Pas d’errance inutile, pas de surcouche technique. Juste une boucle efficace, au service d’un univers qui préfère suggérer plutôt qu’expliquer. La progression, si brève soit-elle, n’est jamais creuse. Elle est contenue, tenue, presque théâtrale. Une énigme glissée dans la main d’un détective qui n’a plus de crimes à résoudre, mais qui continue malgré tout.
Néons tamisés, cuivre oxydé et piano voilé
Le décor de The Secret of Retropolis n’est pas pensé pour impressionner. Il est conçu pour envelopper. Tout dans sa direction artistique vise l’évocation plutôt que la démonstration. L’univers repose sur une esthétique cartoon rétro-futuriste, où les angles sont adoucis, les textures volontairement simplifiées, et les couleurs baignées d’un éclat artificiel permanent — comme si l’intégralité de Retropolis était éclairée par une enseigne de bar qui ne s’éteint jamais.
Chaque lieu visité agit comme un fragment de décor issu d’un rêve commun d’anticipation daté. Le club, le motel, la ruelle, le bureau… tous reproduisent des archétypes reconnaissables, mais les filtrent à travers le prisme d’un monde peuplé de robots à la mémoire saturée. Le minimalisme des décors, loin de desservir l’immersion, la concentre. Rien ne parasite la lecture : les éléments essentiels se détachent nettement, les silhouettes sont expressives, et les environnements — malgré leur fixité — respirent une étrange chaleur mécanique.
La bande-son s’insinue doucement, sans jamais forcer sa présence. Quelques accords de piano feutré, des nappes de saxophone solitaire, quelques effets discrets glissés dans les moments creux. Il ne s’agit pas d’illustrer l’action, mais de prolonger l’humeur. La musique n’accompagne pas : elle murmure à l’arrière-plan, elle se superpose aux silences avec une élégance calculée, comme une voix off absente mais toujours palpable.
Les voix, elles, portent la moitié du jeu. Philip Log, détective désabusé, parle comme on récite une habitude. Sa diction monocorde épouse parfaitement l’architecture du monde : tout semble déjà écrit, tout est question de ton. Jenny Montage, quant à elle, module son trouble avec précision, dans un jeu d’ambiguïté qui doit autant à l’écriture qu’à la performance vocale. Le doublage, dans son ensemble, reste minimaliste mais maîtrisé, et chaque réplique résonne davantage par sa sincérité que par sa complexité.
Techniquement, le jeu se maintient. La VR est stable, les mouvements fluides, les interactions précises. L’économie graphique permet d’éviter les à-coups, même sur Meta Quest 2. Pas de bug majeur, pas de friction excessive. La scène est bien dressée, et elle tient. Elle n’est pas spectaculaire — elle est habitée. Et dans ce genre d’expérience, c’est tout ce qui compte.
La valise, la scène et les murs invisibles
The Secret of Retropolis ne cherche pas l’expansion : il revendique sa brièveté, sa densité, son unité de lieu et de ton. Mais au-delà de sa structure narrative et sensorielle, il interroge la forme même de l’expérience VR, en en adoptant les contraintes comme moteur de mise en scène. Ici, pas de locomotion libre, pas d’espace à arpenter : tout est pensé pour un joueur assis, statique, ancré dans une position de regardeur actif. Cette contrainte devient logique interne. Philip Log ne se déplace pas : il observe, il étire ses bras mécaniques, il agrippe, il fouille à distance. Le monde vient à lui.
L’ergonomie, à ce titre, est exemplaire. L’inventaire, toujours présent sous la forme d’une valise flottante, rend la gestion des objets à la fois naturelle et cohérente avec l’univers diégétique. Aucune interface externe ne vient perturber l’immersion : tout ce qui est utile est intégré à la scène. Pas de menus, pas de fenêtres, rien qui trahisse la nature artificielle de l’expérience. Le joueur n’ouvre pas des options : il manipule, il combine, il active.
Sur le plan technique, Retropolis demeure parfaitement stable, même sur Meta Quest 2, avec un framerate constant et une lisibilité jamais compromise par l’économie graphique. Les environnements sont peu nombreux, les transitions courtes, et l’optimisation pensée pour fonctionner sans friction. C’est une VR de chambre close, de plan fixe, mais maîtrisée. Aucun temps de chargement visible, aucun accroc sonore. Le monde est petit, mais il tourne rond.
L’accessibilité, cependant, demeure restreinte. Le jeu est entièrement en anglais, sans option de doublage ou de sous-titrage multilingue. Or, dans une œuvre où le verbe est roi, cette barrière linguistique n’est pas anodine. Elle prive une partie du public d’un accès plein à l’univers, et réduit l’impact des dialogues à leur simple musicalité. Aucune option d’ajustement du texte, aucun guide de contenu : ici, c’est prendre ou quitter.
Rien, enfin, du côté de la rejouabilité. Une seule fin, un chemin unique, quelques variations de ton dans les répliques, mais aucun embranchement narratif réel. Ce n’est pas un défaut : c’est une position. The Secret of Retropolis ne propose pas une boucle, mais une pièce. On y entre, on y reste le temps d’un acte unique, et l’on en sort sans autre raison d’y revenir que pour faire découvrir l’expérience à d’autres. Une VR de démonstration sensible, plus que de répétition.
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