Sorti le 24 avril 2025 sur Nintendo Switch, The Hundred Line: Last Defense Academy ne propose ni un lycée, ni une guerre. Il propose une sentence. Takumi Sumino, élève sans histoire, se retrouve enfermé avec quatorze adolescents dans une école fortifiée, condamnés à repousser des assauts monstres pendant cent jours. Pas d’explication. Pas d’échappatoire. Seulement un compte à rebours.
Développé par Too Kyo Games et Media.Vision, le titre fusionne roman visuel, stratégie au tour par tour et survie psychologique. On retrouve Kazutaka Kodaka (Danganronpa) à l’écriture, Kotaro Uchikoshi (Zero Escape) à la narration, et un sens aigu de l’absurde organisé. Ici, la guerre n’est qu’un prétexte. L’école est un piège. Et le joueur, une variable parmi les cobayes.
Mais derrière son concept brutal, une question surgit : le système peut-il tenir cent jours sans s’effondrer sous son propre poids ?
Lycée bunker et rituels d’effondrement
Le récit de The Hundred Line: Last Defense Academy n’explique rien. Il enferme, il décompte, il observe. Takumi Sumino, adolescent ordinaire, se réveille au cœur d’un établissement fortifié, encerclé par des créatures informes venues d’un monde que le jeu refuse de nommer. À ses côtés, quatorze camarades, tous tirés de vies ordinaires, tous propulsés dans une guerre qui ne dit pas son nom.
La narration repose sur un paradoxe glaçant : plus vous survivez, moins vous comprenez. Chaque journée commence par une attaque, se poursuit par des interactions sociales, s’achève sur une bribe de vérité — immédiatement contredite ou oblitérée le lendemain. Le scénario cultive la dissonance : entre apocalypse et routine, guerre tactique et vie de dortoir, le jeu crée une tension permanente. Ce lycée n’est pas un refuge. C’est une machinerie mentale.
Les personnages, écrits avec un mélange d’extravagance et de cruauté, rappellent volontairement l’héritage de Danganronpa. Mais là où Kodaka aimait les stéréotypes qui explosent, ici il construit des identités plus instables, plus ambiguës. Pas de traîtres évidents, pas d’alliés sûrs. Chaque élève dissimule une faille, une mémoire altérée, une loyauté bancale. Et c’est dans les jours les plus calmes que surgissent les fractures les plus profondes.
Le jeu ne déroule pas une intrigue : il construit un protocole. Cent jours. Cent décisions. Cent occasions de perdre pied. Chaque relation, chaque choix, chaque sacrifice altère la suite. Il ne s’agit pas d’atteindre une vérité. Il s’agit de supporter le poids du mensonge jusqu’au dernier jour.
The Hundred Line ne raconte pas une histoire. Il impose un huis clos. Et chaque personnage y devient un révélateur — non de ce qu’il est, mais de ce que vous êtes prêt à faire pour survivre avec lui.
Défense au tour par tour, routine sous tension
The Hundred Line découpe le temps en journées. Chaque matin, les murs de l’académie sont attaqués. Chaque après-midi, vous interagissez avec vos camarades, développez des compétences, préparez le lendemain. Ce rythme, martelé pendant cent cycles, devient à la fois structure et menace. Car tout s’use. Vos liens. Vos défenses. Votre volonté.
Le système de combat repose sur une stratégie au tour par tour minimaliste. Une poignée de personnages sur un quadrillage fixe, des vagues ennemies lentes mais létales, des capacités limitées à l’essentiel : attaque, déplacement, spécial. Pas de surcouche tactique, pas de variation topographique, pas d’objets à gérer. La tension ne vient pas de la complexité, mais de l’usure : chaque assaut grignote vos ressources, chaque erreur peut faire tomber un camarade — définitivement.
Les unités sont interchangeables mais spécialisées. Certains protègent les murs, d’autres infligent des dégâts à distance, d’autres gèrent la foule. Mais la vraie mécanique, ce sont les affinités. Ce que vous faites en dehors du champ de bataille influe directement sur leurs performances. Plus un lien est fort, plus les compétences associées se renforcent. Une structure simple, mais d’une efficacité redoutable.
L’académie elle-même fonctionne comme un plateau secondaire. Chaque jour, vous disposez d’un temps limité pour parler, explorer, fabriquer, étudier. Mais chaque action coûte. Et les dilemmes s’accumulent. Consoler un camarade ou renforcer la défense ? Creuser dans le passé ou préparer le prochain affrontement ? Aucun choix n’est décoratif. Tout a un coût. Tout se paie.
Et c’est là que The Hundred Line surprend : en refusant la montée en puissance classique. Il ne vous rend pas plus fort. Il vous rend plus vulnérable, plus lucide, plus acculé. La défense n’est pas une progression. C’est une fuite repoussée jour après jour.
Contours instables et tension sonore constante
The Hundred Line affirme visuellement son identité dès les premières minutes. Personnages aux contours épais, couleurs saturées, animations minimales mais expressives : l’école fortifiée devient un théâtre d’ombres mouvantes, entre bunker, parc scolaire et décor mental. Le style rappelle Danganronpa, mais troque l’exubérance trash pour une austérité plus frontale, plus sèche.
La mise en scène joue la répétition volontaire : mêmes couloirs, mêmes salles, mêmes routines. Mais derrière ce retour constant, les détails changent. Un angle de caméra se fige un peu trop longtemps. Un personnage détourne le regard au mauvais moment. Une porte claque sans raison. Le jeu ne vous alerte pas. Il vous observe. Et il vous fait douter de votre propre mémoire.
Les séquences de combat adoptent un style plus abstrait : grilles stylisées, unités représentées en chibi schématiques, attaques réduites à l’essentiel. Ici, la forme sert la fonction : la guerre est une mécanique, pas un spectacle. Elle se vit à distance, avec froideur.
Mais c’est le travail sonore qui donne au jeu sa chair. La bande originale, composée par Masafumi Takada (No More Heroes, Danganronpa), mêle nappes synthétiques, percussions sèches, thèmes anxiogènes et silences pesants. Chaque moment de calme est miné par une dissonance. Chaque montée dramatique se fait sans éclat. Le son n’accompagne pas. Il empoisonne.
Les bruitages renforcent cette ambiance claustrophobe : pas dans les couloirs, bips électroniques des menus, craquements lors des attaques, chocs sourds lors des pertes. Le mixage est chirurgical. Rien ne déborde. Tout est contenu, maîtrisé, comme si le jeu refusait de vous laisser respirer pleinement.
Doublé uniquement en japonais, le jeu bénéficie d’un casting solide, avec des performances nuancées, jamais théâtrales. Les voix murmurent plus qu’elles ne déclament, et cela renforce l’impression d’un huis clos sans issue.
Jours comptés, systèmes fermés
Techniquement, The Hundred Line tient sa ligne. Sur Nintendo Switch, le jeu affiche une stabilité correcte : 30 images par seconde constantes, temps de chargement modérés, aucun bug critique recensé. L’esthétique épurée masque bien les limitations de la console, et l’expérience reste fluide, aussi bien en mode docké qu’en portable.
Le système de sauvegarde automatique est rigide, avec des checkpoints journaliers non modifiables. Il n’est pas possible de revenir en arrière pour explorer d’autres embranchements narratifs sans recommencer toute une séquence. Un choix cohérent avec l’idée de boucle fermée, mais frustrant pour celles et ceux qui espéraient expérimenter.
Côté contenu, la durée de vie varie selon vos décisions, vos morts, vos choix relationnels. Terminer les 100 jours en ligne droite prend une quinzaine d’heures, mais de nombreuses variations — morts précoces, quêtes annexes, branches de scénario cachées — prolongent la boucle. Le jeu propose plusieurs fins, liées à la survie, aux liens humains, à la compréhension du système. Certaines sont brutales, d’autres cryptiques.
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