Développé par Asteroid Lab et édité par Goblinz Publishing, Terraformers est un jeu de stratégie au tour par tour mêlant gestion de ressources, mécaniques de deck-building et éléments roguelike. Initialement sorti sur PC en mars 2022, il a débarqué sur Xbox Series le 26 septembre 2023. Vous y incarnez le leader d’un programme de colonisation martienne, chargé de transformer la planète rouge en un monde vivable, en conciliant ambitions politiques, contraintes écologiques et exigences de croissance.
Mais cette utopie programmée parvient-elle à faire vibrer les consoles, ou s’effondre-t-elle sous le poids de ses propres paramètres ?
Les idéaux s’effacent dans la poussière martienne
Terraformers n’a pas d’histoire au sens traditionnel du terme. Pas de récit linéaire, pas de personnages à suivre, pas de dialogues mis en scène. Le jeu propose plutôt un cadre systémique, une sorte de théâtre froid où la narration émerge uniquement à travers les décisions stratégiques et les événements aléatoires. Vous êtes une figure abstraite du pouvoir, sans identité définie, agissant pour le bien collectif d’une humanité qui n’a ni visage ni voix.
Chaque partie se déroule dans une version alternative de la conquête martienne, avec des missions scénarisées très sommaires (coloniser X cratères, atteindre un certain niveau d’habitabilité…), mais aucune trame narrative développée ne vient soutenir l’expérience. La planète elle-même est l’unique personnage du jeu, une entité mutique que l’on modèle et transforme à coups d’algorithmes, de projets d’infrastructure et de sacrifices calculés.
Les rares figures humaines que vous croisez – les dirigeants que vous choisissez pour piloter vos projets – ne sont que des cartes. Ils ont des noms, des compétences, des spécialités… mais aucune écriture, aucune voix, aucun arc. Ce sont des outils de gameplay, pas des personnages. Et même les événements aléatoires, censés injecter un peu d’imprévu et de tension narrative, tombent souvent dans une neutralité fonctionnelle : choix binaires, conséquences statistiques, sans impact émotionnel.
Ce choix narratif assumé peut se défendre dans un cadre de jeu de gestion rigoureux, mais il empêche toute forme d’attachement ou de projection. On ne se bat pas pour une cause, pour une histoire, pour un peuple. On optimise. On calcule. On réorganise. Le récit est un diagramme, pas une odyssée.
La géométrie du pouvoir ne tolère pas l’erreur
Sur le plan mécanique, Terraformers propose une structure stratégique d’une précision mathématique, où chaque tour est un pas calculé vers une domination planétaire ou un effondrement silencieux. Vous jonglez entre exploration, construction, gestion de ressources, recrutement de leaders et terraforming progressif, dans une boucle de gameplay tendue, exigeante et d’une clarté glaçante.
Chaque action consomme un nombre limité de points, vous obligeant à hiérarchiser en permanence vos priorités : développer une nouvelle cité ou sécuriser une ressource rare ? Optimiser l’eau ou la nourriture ? Combattre la pollution ou investir dans la recherche ? Rien n’est gratuit, tout se négocie. Ce rythme au cordeau donne au jeu une profondeur tactique redoutable. Chaque tour est une équation, chaque erreur se paie dans les dix suivants.
La progression se fait en étendant vos colonies, en les reliant par routes, en exploitant les gisements environnants. Le placement spatial a ici une importance capitale : une mauvaise expansion peut compromettre une partie entière. Ce n’est pas un 4X classique, mais un puzzle géant, où le positionnement vaut autant que la stratégie long terme. L’exploration n’est jamais passive : elle consomme de l’énergie, génère des événements, ouvre parfois des opportunités inattendues.
L’interface console, malgré la complexité du jeu, s’en sort avec une lisibilité exemplaire. La navigation à la manette, souvent un point noir dans les portages de jeux de gestion, est ici fluide, bien pensée, et permet de garder le contrôle même lors des tours les plus denses.
Les mécaniques de terraforming – augmentation de la température, introduction d’oxygène, fonte des glaces – sont introduites progressivement, comme des objectifs secondaires qui transforment radicalement le visage de la planète. Ce système donne une réelle sensation de transformation du monde, appuyée par des effets visuels subtils mais efficaces. On ne se contente pas de coloniser : on métamorphose, méthodiquement.
Enfin, la dimension roguelike se matérialise par des runs à durée variable, une montée en difficulté progressive, des événements aléatoires, et surtout une pression constante : celle de devoir faire des choix impossibles pour survivre. Contrairement à des titres plus permissifs, Terraformers vous punit dès que vous perdez votre lucidité. Ce n’est pas un jeu qui pardonne. C’est un jeu qui éduque.
Des pixels froids sous un ciel sans écho
Le style visuel de Terraformers s’inscrit dans une sobriété fonctionnelle, au service de la lisibilité stratégique plus que de l’immersion sensorielle. La surface martienne, divisée en hexagones, alterne dunes, cratères, canyons et calottes polaires avec un rendu semi-réaliste, précis mais sans aspérités. L’objectif n’est pas l’éblouissement, mais la clarté : identifier chaque ressource, chaque relief, chaque liaison d’un coup d’œil.
Les cités, les infrastructures, les effets visuels liés au terraforming évoluent au fil de la partie, mais toujours de façon mesurée. La température monte, les glaces fondent, la couleur du sol varie… sans jamais verser dans la grandiloquence. Le jeu conserve une esthétique clinique, presque cartographique. Cela renforce la sensation de contrôle, mais limite aussi l’émerveillement.
Sur console, le rendu est propre, stable, et aucune concession technique majeure n’est à déplorer. L’affichage reste fluide, même lors des tours les plus chargés. Les transitions sont rapides, les animations discrètes mais soignées. On navigue dans un tableau de bord plus que dans un monde vivant – ce qui correspond parfaitement à l’esprit du jeu, même si cela bride toute forme de poésie visuelle.
Côté audio, l’ambiance sonore est volontairement austère. Les musiques, discrètes, installent une tension sourde, mais n’évoluent que peu au fil des parties. Il s’agit de nappes atmosphériques plus que de thèmes mémorables, destinées à souligner la solitude de l’entreprise martienne plutôt qu’à accompagner une épopée. Un choix assumé, mais qui finit par laisser le joueur dans un silence contemplatif, où l’absence de variation sonore finit par diluer toute émotion.
Aucun doublage, aucun effet marquant ne vient rompre ce calme plat. Les actions produisent des sons minimalistes, des clics, des balayages, des tonalités synthétiques. Une esthétique presque bureaucratique, qui sied au gameplay… mais n’inspire jamais l’évasion.
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