Sorti initialement en 2003 sur GameCube, puis décliné sur PlayStation 2, PlayStation 3 et PC au fil des générations, Tales of Symphonia revient en 2023 dans une version prétendument remasterisée sur consoles modernes.
Un retour que l’éditeur Bandai Namco présente comme un hommage à l’un des épisodes les plus célébrés de la saga Tales of. Mais sous les promesses de modernité, que reste-t-il vraiment de cette légende du J-RPG ? Une transmission fidèle d’un chef-d’œuvre ? Ou une réédition paresseuse qui trahit plus qu’elle ne préserve ?
Un conte fracturé aux mille révélations
Vous incarnez Lloyd Irving, jeune épéiste un peu trop fougueux, embarqué malgré lui dans une croisade religieuse aux côtés de son amie d’enfance, Colette Brunel, Élue destinée à sauver le monde de Sylvarant. Dans un monde ravagé par la dégénérescence du mana, l’espoir repose sur un ancien rituel de régénération. Mais très vite, la mission de foi se mue en une odyssée plus vaste, faite de fausses vérités, de mondes miroirs et d’alliances brisées.
Symphonia déroule un récit d’une ambition rare pour son époque. Dualité des mondes, identités multiples, guerre idéologique, génocide silencieux, corruption divine… Le jeu prend soin de détruire chaque dogme qu’il construit, jusqu’à plonger ses protagonistes dans une spirale de doutes et de reconstructions. L’illusion de départ — un road trip manichéen — vole en éclats dès le second tiers de l’aventure. Et ce qui semblait acquis devient sujet à suspicion.
Les personnages sont nombreux, mais aucun n’est décoratif. Chacun est défini par un traumatisme, une lutte intérieure, un choix difficile. Du stoïque Kratos Aurion à l’exubérante Sheena, du comique Genis à l’ambivalente Pronyma, tous participent à cette symphonie morale où le bien et le mal ne sont plus des repères, mais des masques.
Mais la plus grande force du récit tient dans sa structure rétrospective. Une fois la partie terminée, les révélations finales redessinent la totalité de l’expérience. Les scènes anodines deviennent glaçantes, les dialogues secondaires prennent un sens nouveau, les personnages secondaires se révèlent au prisme de ce que vous savez désormais. C’est un jeu qui se relit plus qu’il ne se rejoue.
Rien ici n’est figé. Le récit évolue avec vous, et chaque retour en arrière éclaire d’une lumière plus trouble les choix accomplis. Loin d’être un simple monument de nostalgie, Tales of Symphonia reste, sur le plan narratif, un chef-d’œuvre de déconstruction masquée sous les habits du classicisme.
Un système hybride figé dans ses fondations
En 2003, Tales of Symphonia introduisait pour la première fois dans la série un système de combat en arène 3D, rompant avec les affrontements strictement en deux dimensions des épisodes précédents. À l’époque, cette évolution représentait une avancée audacieuse. En 2023, elle apparaît comme un premier essai brut, une expérimentation dont les limites techniques et l’inertie structurelle éclatent au grand jour.
Le système repose sur un Linear Motion Battle System désormais dépassé. Vous combattez en temps réel, sur un axe unique, en enchaînant attaques de base, artes magiques, esquives et contres. Mais la latence des animations, la rigidité des déplacements, l’absence de mobilité libre brident toute sensation de fluidité. On sent une formule encore en gestation, loin des raffinements apportés par Graces F, Xillia ou Berseria.
Les affrontements, bien que stratégiques dans leurs intentions, deviennent vite répétitifs, avec des ennemis peu variés, des comportements stéréotypés, et des sorts qui peinent à rendre lisible l’action lorsque l’écran sature d’effets visuels. La caméra, capricieuse, peine à suivre le rythme, et l’absence de lock dynamique aggrave cette impression d’instabilité permanente.
La progression suit un schéma classique : villes, donjons, boss. Les donjons, linéaires et remplis d’énigmes datées, offrent peu de verticalité, peu de renouvellement, peu de surprises. Ils ne racontent rien. Ce sont des couloirs habillés, des obstacles mécaniques, des temps morts avant les révélations narratives. Même les cartes du monde, autrefois gage de liberté, sont ici réduites à des zones creuses, vidées de tout mystère.
Le système de compétences repose sur des Ex-Skills à combiner, une bonne idée sur le papier, mais dont l’impact reste flou, mal équilibré, souvent peu perceptible dans le déroulé réel des combats. L’équipement, lui, suit une logique strictement linéaire, sans choix marquant ni spécialisation réelle.
Vingt ans plus tard, Symphonia ne tient plus sur le terrain mécanique. Il fatigue. Il grince. Il résiste à la modernisation comme une architecture figée dans le béton de ses années GameCube. On ne le joue plus pour son système. On l’endure pour son héritage.
Un vernis lisse sur des textures fanées
Le remaster 2023 de Tales of Symphonia revendique une mise à jour visuelle. Dans les faits, il s’agit d’un recyclage sans raffinement de la version Chronicles parue sur PlayStation 3. Le cell-shading originel, signature esthétique de la version GameCube, a été gommé par un lissage automatisé, opéré par intelligence artificielle. Le résultat ? Une image plus propre, mais dévitalisée, privée de son grain, de ses contours, de sa personnalité.
Les visages perdent leurs lignes expressives. Les décors affichent des textures plus homogènes, mais aussi plus ternes. Les modèles 3D restent figés dans leurs animations rigides, les effets de lumière sont absents, et la direction artistique peine à émerger d’une technique appauvrie. Ce n’est pas un retour en grâce, c’est un effacement discret.
Pire encore, le jeu tourne à 30 images par seconde, là où la version GameCube atteignait les 60 FPS constants. Aucune amélioration de fluidité. Aucun patch de performance. Rien ne justifie cet effondrement, si ce n’est un désintérêt manifeste pour l’optimisation.
La bande-son, composée par Motoi Sakuraba, reste une réussite incontestable. Thèmes orchestraux épiques, mélodies mélancoliques, moments de tension ponctués par des motifs nerveux : l’ossature sonore de Symphonia conserve toute sa puissance émotionnelle. Mais le remaster n’apporte aucun travail de remasterisation audio. Aucun remix. Aucun ajustement de mixage. La musique revient intacte… et donc sans surprise.
Les doublages anglais sont inclus, mais leur direction d’acteurs trahit une époque révolue, entre excès caricatural et diction mécanique. Le jeu propose toutefois les voix japonaises, bien plus justes, mais elles restent cantonnées aux scènes principales. Le reste du jeu demeure largement silencieux, ponctué de lignes muettes ou non jouées.
Ce remaster aurait pu raviver une identité visuelle forte. Il se contente de l’aplanir, jusqu’à rendre floue l’empreinte de ce qu’il prétend préserver.
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