Développé par DuCats Games Studio et publié par Sometimes You, Swordbreaker: Origins est sorti sur Xbox Series le 5 mai 2023. Présenté comme un roman interactif à embranchements multiples, ce préquel du premier Swordbreaker tente de marier jeu de rôle textuel et narration illustrée, dans un univers d’heroic fantasy où chaque mauvais choix peut s’avérer fatal. Le système repose sur une mécanique de survie stricte : trois vies, aucun retour arrière, et un monde impitoyable où les erreurs s’impriment dans le sang.
Mais cette promesse d’immersion cruelle par le texte peut-elle tenir face à l’exigence ? Swordbreaker: Origins tient-il réellement sa parole de destin forgé par nos décisions… ou n’est-il qu’un livre à choix rigide déguisé en épopée ?
Un labyrinthe de destins
L’ambition de Swordbreaker: Origins est claire : vous confronter à un récit à ramifications, où chaque choix redéfinit votre trajectoire, où chaque détour peut être la clef d’une issue ou d’une mort subite. Vous incarnez un aventurier à la mémoire floue, plongé dans un univers de fantasy brute, entre citadelles, bandits, sorcières, créatures oubliées et promesses trahies. Le passé est une énigme, le futur une menace.
L’écriture est dense. Trop. Les dialogues s’enchaînent dans de longs blocs de texte, sans modulation, sans respiration. Le style, souvent plat, empile les descriptions fonctionnelles, les clichés narratifs et les constructions rigides. Ce n’est pas une écriture au service du souffle épique : c’est une écriture procédurale, plus proche d’un manuel que d’un récit.
Et pourtant, sous cette couche de lourdeur littéraire, il y a un monde. Ou plutôt des fragments de mondes. Chaque embranchement révèle un pan de l’univers : une faction oubliée, un culte caché, un artefact maudit. Le jeu regorge de micro-histoires, d’embranchements secrets, de situations absurdes ou mortelles. Mais ces idées restent souvent mal exploitées, faute de dialogues bien construits ou de personnages vraiment incarnés.
Le protagoniste, figé dans son rôle de barbare amnésique, n’évolue jamais. Les personnages secondaires, réduits à leurs fonctions narratives, ne laissent aucune empreinte. L’ennemi est là parce qu’il doit l’être, l’allié surgit parce que le scénario l’ordonne. Pas de tension dramatique, pas de vraie ambivalence. Tout semble forcé, contraint, verrouillé.
Le seul véritable enjeu devient mécanique : jusqu’où puis-je aller avant de perdre mes trois vies ? L’histoire devient un puzzle. Elle n’émeut pas, elle se déplie. Ce n’est plus une fresque, c’est un arbre de décision. Un jeu de société solo, sans chair.
Trois vies pour régner sur le chaos
Swordbreaker: Origins ne se joue pas. Il se lit, il se tente, il se meurt. Le gameplay repose sur un concept radical : un arbre décisionnel géant, parcouru à coups de clics et d’instinct. Chaque choix vous conduit vers une bifurcation, une rencontre, une récompense… ou une exécution brutale. Trois vies. Pas une de plus. La moindre erreur se paie. Cash.
Ce système impose un rythme singulier. À chaque écran, deux à quatre options. Certaines mènent vers un combat, d’autres à une embuscade, d’autres à un objet ou à une révélation. Le jeu ne vous explique rien. Vous apprenez par l’échec. Et souvent, par l’humiliation. Mourir pour avoir ouvert la mauvaise porte devient une routine. Recommencer depuis le début aussi.
C’est à la fois la force et la faiblesse du système : cette tension constante génère un stress de chaque instant… mais elle se heurte à l’absence de checkpoints manuels. Vous ne pouvez sauvegarder où vous voulez. Revenir sur vos pas est impossible. Il faut tout retenir. Ou tout recommencer.
Ajoutez à cela quelques mécaniques secondaires — gestion d’inventaire basique, sélection d’armes, sorts utilisables en combat — et une logique de progression fondée sur l’exploration exhaustive. Les objets que vous ramassez peuvent sauver votre vie… ou n’avoir aucune utilité. Le jeu ne vous dit rien. C’est à vous de faire les liens.
Mais à trop vouloir complexifier le parcours, Swordbreaker: Origins oublie une règle essentielle : un bon choix doit être intelligible. Ici, nombre de décisions reposent sur un arbitraire total. Avancer ou reculer ? Parler ou frapper ? Croire ou douter ? L’issue ne dépend pas de votre logique, mais de l’humeur invisible du scénariste. Le jeu devient alors une suite de tentatives, non une réelle aventure interactive.
L’intention est noble, la structure ingénieuse. Mais sans feedback lisible, sans logique narrative claire, la liberté devient une impasse. Le game design punit plus qu’il ne récompense.
Couleurs de papier pour vies éphémères
Dans un jeu qui repose sur le texte, l’illustration est un pacte de confiance. Elle promet de donner chair à ce que les mots échouent à incarner. Swordbreaker: Origins prend ce parti, et le tient… à moitié. Chaque scène est accompagnée d’un visuel fixe, parfois somptueux, souvent bancal. Le style oscille entre inspirations comics occidentaux et fantasmes de fantasy générique.
Certaines planches saisissent. La mise en scène d’un duel, la présence d’une créature tapie dans l’ombre, l’apparition d’un village maudit : ces moments ont un impact. Mais l’ensemble reste inégal, et parfois bâclé. Les visages manquent d’expressivité, les arrière-plans paraissent flous ou vides, certaines proportions sont bancales. Ce n’est jamais grotesque, mais rarement marquant.
Les transitions visuelles trahissent également un manque de finition. Aucune animation fluide, aucune dynamique entre les scènes. Tout s’enchaîne par cut sec, comme dans un roman photo interactif. Même les moments de tension, de combat ou de révélation se heurtent à une rigidité visuelle frustrante.
Côté interface, l’effort est louable mais limité. Le système de cartes d’inventaire et de choix multiples est fonctionnel, mais pas toujours lisible. Les couleurs ne tranchent pas suffisamment, les icônes manquent de lisibilité, et la navigation peut devenir confuse lorsqu’on doit gérer armes, sorts, objets et statistiques sans le moindre tutoriel clair.
Sur le plan sonore, le constat est plus sobre : ambiance musicale discrète, quelques nappes atmosphériques, peu de variations. L’univers sonore reste en retrait, sans véritable habillage dynamique des événements. Les bruitages sont rares, génériques, et aucun doublage ne vient soutenir les dialogues. Un silence pesant, qui sied au genre, mais nourrit peu l’immersion.
Le style de Swordbreaker: Origins se veut brut, stylisé, à mi-chemin entre livre de jeu et bande dessinée. Mais ses limites techniques l’empêchent de s’imposer. Il esquisse plus qu’il ne donne à voir. Une esthétique d’intention, sans la puissance de réalisation.
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