Sorti le 27 juillet 2023 sur Nintendo Switch, Sword and Fairy Inn 2 débarque dans un Occident qui, à défaut de connaître la saga, commence tout juste à en deviner la silhouette. Véritable mastodonte vidéoludique en Chine, Sword and Fairy s’est déployé depuis plus de deux décennies à travers RPG, adaptations télévisées, et spin-offs en cascade. L’épisode qui nous occupe aujourd’hui, développé par Softstar Entertainment et édité par Eastasiasoft, troque les combats épiques pour la douce routine d’un jeu de gestion culinaire teinté de fantasy.
Plus qu’un simple ovni vidéoludique, Sword and Fairy Inn 2 est un produit culturel unique : héritier d’un panthéon narratif colossal, mais pensé comme une parenthèse légère, joyeuse et quotidienne, dans un univers riche de figures mythologiques et de nostalgie populaire. Il s’agit de gérer une auberge, certes, mais aussi de plonger dans une fresque douce-amère, où les héros d’hier deviennent des cuisiniers, serveurs, ou maraîchers du jour.
Pour ceux qui ne connaissent rien de la saga, est-ce une entrée accessible dans cet univers foisonnant ? Et pour les habitués, ce spin-off mérite-t-il sa place dans l’immense lignée de Xianjian Qixia Zhuan ? Une seule manière de le savoir : il est temps de passer en cuisine.
Chroniques douces d’un royaume en tablier
Loin des épopées dramatiques et des affrontements célestes de la série principale, Sword and Fairy Inn 2 opte pour une tonalité bien plus apaisée, presque domestique. Vous y incarnez Xiaoman, figure secondaire devenue pilier central, entourée d’une poignée de compagnons hauts en couleur, tous engagés dans la gestion d’une auberge quelque peu brinquebalante. Ce n’est plus la destinée du monde qui est en jeu, mais bien la satisfaction du client affamé, et ce glissement narratif s’avère étonnamment rafraîchissant.
L’intrigue, volontairement minimaliste, se construit autour de petites tranches de vie, de rêves de divinités protectrices et d’ustensiles légendaires à récupérer. Plutôt que de chercher l’intensité, Sword and Fairy Inn 2 choisit l’attachement : à une équipe, à un lieu, à une atmosphère. Les événements se déploient lentement, entre une corvée de nettoyage, une récolte dans le potager ou une exploration discrète de villages voisins. La narration s’imprègne de simplicité volontaire, et c’est justement là qu’elle trouve son charme.
Les dialogues, toujours légers, prennent parfois une tournure mélancolique, rappelant les anciens combats et les jours d’errance des héros aujourd’hui convertis à la restauration. Les références aux épisodes passés, nombreuses, seront un festin pour les connaisseurs, mais parfois absconses pour les non-initiés. Cela n’entrave jamais la compréhension de l’histoire présente, mais instille une certaine distance pour le néophyte, comme une conversation à demi-devinée entre vieux amis.
L’univers de Sword and Fairy conserve ici sa dimension spirituelle et poétique, mais la condense dans un décor réduit à taille humaine. Ce n’est plus l’épée et la guerre, mais le plat du jour, les liens du quotidien et la quiétude d’une auberge vivante. Un choix audacieux, assumé, et qui trouve sa voix dans la tendresse plutôt que dans le fracas.
Le sabre, la louche et la routine bien huilée
Sous ses airs de jeu de gestion classique, Sword and Fairy Inn 2 cache une mécanique douce et modulaire, conçue avant tout pour le confort. Vous ne bâtissez pas un empire, vous entretenez une auberge. Et à ce titre, l’expérience mise sur l’enchaînement fluide de micro-gestes plutôt que sur une complexité croissante. Chaque journée commence avec le réveil des personnages, leur assignation à diverses tâches – service, cuisine, nettoyage – puis l’arrivée des clients… et le ballet peut commencer.
Le cœur du gameplay repose sur la planification fine et l’efficacité discrète : stocker les bons ingrédients, placer les bons employés aux bons postes, et adapter les ressources à la demande fluctuante. Le système d’alerte basé sur des icônes de satisfaction est limpide, et chaque interaction, chaque commande devient une micro-décision stratégique. La courbe de difficulté est presque imperceptible, tant le jeu offre des outils pour anticiper, simplifier ou déléguer.
Car ici, le joueur peut choisir de tout automatiser : gestion du service, envoi des plats, interactions clients. Cette option, loin d’être un aveu de facilité, s’impose comme une proposition cohérente pour les joueurs souhaitant avant tout profiter de l’univers sans pression. On peut ainsi transformer l’expérience en simulation contemplative, presque narrative, où l’on supervise sans intervenir. À l’inverse, ceux qui choisissent de garder la main trouveront dans le timing et l’optimisation une forme de tension discrète mais stimulante.
L’auberge n’est pas le seul espace de jeu. L’exploration, bien que limitée, permet d’acquérir de nouveaux ingrédients, d’améliorer ses équipements ou de recruter des personnages secondaires. Les mini-jeux ponctuent l’ensemble d’interludes légers, tandis que la gestion du potager, la sélection des recettes et le développement du personnel viennent enrichir l’expérience par couches successives. Rien n’est complexe, mais tout est cohérent. Le système de progression, basé sur des niveaux de satisfaction et de réputation, repose plus sur le soin apporté au quotidien que sur l’efficacité brute.
Il en résulte une forme d’addiction douce, où l’on prolonge une session pour tester une nouvelle recette, accueillir un invité rare ou revoir la décoration du restaurant. Un jeu de gestion, oui, mais avant tout une chronique culinaire poétique, portée par un gameplay sans tension inutile, où chaque détail a été pensé pour apaiser.
Pinceaux célestes et bruits de vaisselle
Sword and Fairy Inn 2 est un véritable écrin visuel pour les amateurs de productions asiatiques légères, douces et chatoyantes. Le choix du style « chibi » ne sert pas seulement l’esthétique, il épouse la philosophie même du jeu : l’accessibilité, la tendresse, la bienveillance. Chaque personnage, héros ou simple client, affiche des animations expressives, des mimiques soignées, et une palette de couleurs harmonieuse qui rend les scènes vivantes sans jamais les surcharger.
Les décors intérieurs, riches et détaillés, évoquent une Chine de carte postale, entre tradition fantasmée et folklore coloré. Chaque pièce de l’auberge — cuisine, hall, jardin — se distingue par ses éléments graphiques et sa micro-ambiance propre. À l’extérieur, les villages et marchés apportent une diversité bienvenue, avec leurs étals, leurs ruelles, leurs architectures modulées par les régions. Un travail minutieux, porté par une direction artistique cohérente et assumée.
Techniquement, la Nintendo Switch tient étonnamment bien la cadence. Grâce à des compromis visuels habilement répartis, la console évite les ralentissements, même lors des journées les plus chargées à l’auberge. En mode portable, le rendu reste clair, lisible, précis. En mode docké, quelques effets de lissage ou aliasing peuvent apparaître sur les bords des modèles 3D, mais ils ne parasitent jamais la lisibilité de l’ensemble. Les temps de chargement, eux, sont plutôt courts et parfaitement maîtrisés.
Côté bande-son, le jeu privilégie la discrétion à l’ostentation. Les thèmes musicaux, inspirés des sonorités chinoises traditionnelles, accompagnent les moments de gestion sans jamais les envahir. Flûtes, guzheng, percussions légères composent une ambiance feutrée, idéale pour une session prolongée. Chaque action déclenche un petit effet sonore : une clochette pour un client satisfait, un bruit de pas lorsqu’un employé change de poste, un « ploc » discret quand la soupe est servie. Rien ne crispe l’oreille, tout épouse la lenteur du quotidien.
Les doublages sont rares, mais chaque dialogue bénéficie d’un affichage dynamique, avec les visages des personnages qui s’animent comme dans un drama animé. Le jeu est intégralement en anglais, ce qui pourrait freiner les plus jeunes ou les francophones exclusifs, mais les textes sont simples et les menus limpides. L’ensemble offre donc une expérience sonore et visuelle d’une douceur rare, qui sait rester humble tout en étant séduisante.
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