Le 3 mai 2023, un étrange volatile s’est posé sur la Nintendo Switch. Super Dungeon Maker, premier jeu du duo allemand Firechick, composé de Julian et Linda Treffler, propose une idée aussi évidente qu’inexploitée : transposer le concept de Super Mario Maker dans l’univers des Zelda en 3D isométrique. Édité par Rokaplay, ce titre aux allures de projet de passionnés promettait aux joueurs la liberté de concevoir, partager et explorer leurs propres donjons dans une ambiance de pixel art colorée, avec pour seul héros… un poulet à crête rose.
Entre hommage décomplexé, bricolage rétro et outil de création semi-professionnel, le jeu cherche à répondre à une attente longtemps murmurée par les fans de Nintendo : “Et si Zelda Maker existait vraiment ?”. Mais derrière cette promesse en or, se cache-t-il une aventure solide, ou simplement un éditeur bancal posé sur un socle d’œufs cassés ?
Chronique d’un œuf annoncé
L’univers de Super Dungeon Maker se construit sur un concept minimaliste assumé : vous incarnez un poulet jaune, armé de bravoure (et d’un solide appétit de loot), chargé de traverser des donjons à la recherche d’œufs dorés. Il ne s’agit pas d’une quête initiatique ni d’un récit épique ; ici, le scénario n’est qu’un décor de carton-pâte, un prétexte jeté avec malice pour donner un semblant de continuité entre les différentes zones. Le jeu ne cherche pas à vous raconter une histoire, il vous tend simplement les outils pour que vous en construisiez les contours, salle après salle.
Les personnages non-joueurs sont rares, presque décoratifs. Ils offrent quelques lignes de texte, parfois humoristiques, mais ne prennent jamais part à un monde narratif structuré. Ce choix, bien que cohérent avec la nature créative du titre, limite toute forme d’attachement ou de progression dramatique. Vous n’avancez pas pour sauver un royaume, mais pour tester les limites d’un moteur de jeu ludique et fonctionnel.
Pourtant, dans cette absence même, on retrouve une forme d’humilité artisanale : Super Dungeon Maker ne prétend pas être autre chose que ce qu’il est. Il se présente comme une boîte à outils, une cour de récréation isométrique pour rêveurs pixelisés. L’univers mis en place, aussi léger soit-il, parvient à esquisser un ton plaisant, porté par un humour discret et une iconographie absurde assumée.
lLarchitecte au plumage doré
C’est dans sa dimension créative que Super Dungeon Maker expose ses véritables entrailles. Le titre propose un éditeur de donjons accessible et robuste, qui permet de concevoir des niveaux inspirés par les classiques du genre, avec une interface simple, mais fonctionnelle. Bombes, interrupteurs, leviers, plateformes mobiles, coffres piégés… tout y est pour imaginer des parcours retors ou ludiques, à mi-chemin entre le puzzle et l’affrontement.
Le jeu se positionne clairement comme un hommage à la série Zelda, notamment ses épisodes 2D en vue isométrique. Les mécaniques, objets et ennemis sont calqués avec une fidélité à peine dissimulée sur ceux des aventures de Link. Grappin, bouclier, bottes de saut, lancers de projectiles : tout évoque un royaume bien connu, sans que le jeu ne tente de masquer l’emprunt. Ce mimétisme, s’il est attendu, devient parfois presque gênant, tant il confine à la reproduction pure.
En termes de contenu, les possibilités sont solides mais vite circonscrites. Trois biomes (donjon, désert, jungle), une poignée d’éléments interactifs, et une palette d’objets limitée, qu’on épuise assez rapidement en termes de variété. Le cœur de l’expérience réside alors dans la communauté, dans les niveaux conçus par les autres joueurs — avec des résultats inégaux. Quelques perles brillent çà et là, mais la majorité des créations oscillent entre prototype maladroit et pastiche volontaire.
L’absence de progression scénarisée ou de structure de campagne renforce cette impression de bac à sable sans objectif. Les défis proposés sont fonction du talent et de l’imagination des créateurs, mais le jeu ne guide jamais, ne structure rien. Il vous tend une brique, vous laisse le mur à bâtir, mais oublie le plan.
Reste alors l’expérimentation, la curiosité et la satisfaction de poser ses propres pièges, d’ajuster une salle, de tester un rythme. Ceux qui y verront un terrain de jeu infini pourront y passer des heures. Les autres décrocheront, une fois l’éditeur exploré.
Crête rose et murs en pixels
Super Dungeon Maker arbore un pixel art rond et lumineux, volontairement épuré, qui s’inscrit dans une tradition graphique accessible et colorée. Le jeu cultive une ambiance légère, presque enfantine, portée par des animations simples mais lisibles, et des teintes chaleureuses qui tranchent avec la rudesse de certains puzzles. Ce style graphique, sans prétention ni éclats techniques, sied parfaitement à la nature modulaire du titre.
Les décors sont limités à trois environnements thématiques — donjon classique, jungle luxuriante, désert poussiéreux — qui reviennent en boucle avec peu de variantes. Malgré cette répétitivité visuelle, chaque salle reste lisible, et les éléments interactifs se détachent clairement du décor. Le manque de diversité finit néanmoins par peser sur la durée, et le charme initial laisse place à une certaine monotonie.
Les animations du personnage principal, un poulet ventru à crête rose, apportent une touche d’absurde bienvenue. Son design improbable donne au jeu une identité visuelle unique, entre le clin d’œil humoristique et l’hommage parodique. Les ennemis, eux, reprennent les codes esthétiques des Zelda 2D avec une fidélité déconcertante, parfois au détriment de la créativité propre.
Côté son, les musiques accompagnent l’action sans jamais la dominer. Elles alternent entre boucles tranquilles et nappes plus dynamiques, mais peinent à marquer durablement. Les effets sonores, eux, remplissent leur rôle sans briller : portes qui grincent, bombes qui explosent, interrupteurs qui claquent — tout est là, fonctionnel, sans fausse note mais sans grande originalité.
La localisation française, bien que manifestement artisanale, s’en sort avec les honneurs. Quelques formulations maladroites et coquilles persistent, mais l’essentiel est là : une compréhension fluide, qui permet de profiter pleinement de l’interface et des rares dialogues proposés.
0 commentaires