Sorti le 27 juin 2023 sur Xbox Series, Story of Seasons: A Wonderful Life marque le retour d’un pan entier de la simulation agricole japonaise, entre tendresse rustique et quotidien millimétré. Développé et édité par Marvelous, ce remake convoque les souvenirs de Harvest Moon: A Wonderful Life, cinquième épisode culte d’une série autrefois fusionnée avant le grand schisme qui donna naissance à deux entités rivales : Story of Seasons et Harvest Moon.
Dans le sillage d’un Pioneers of Olive Town inégal, ce nouvel opus puise dans le passé pour retrouver la sérénité d’une formule éprouvée. Face à l’ombre écrasante d’un Stardew Valley devenu référence du genre, Marvelous choisit de remonter le fil des émotions et de restaurer une œuvre charnière. Ce retour aux sources n’est cependant pas une simple restauration graphique : il s’agit d’une réécriture partielle, d’un lissage émotionnel, d’une tentative de réinjecter du sens et du soin dans un monde vidéoludique rural qui a longtemps été leur royaume.
Mais cette revisite d’un classique peut-elle encore séduire au-delà de la nostalgie ? A Wonderful Life retrouve-t-il l’éclat de son titre, ou reste-t-il prisonnier d’un héritage devenu trop lourd à porter ?
La vallée des souvenirs fanés et des jours à apprivoiser
Dans les premiers instants de votre nouvelle vie, tout semble figé dans un silence lourd. Vous arrivez dans la Vallée Oubliée, un fragment de campagne japonaise où le temps se dilue dans les cycles des saisons, et où l’on hérite moins d’une ferme que d’un passé. L’histoire, familière, vous confie les clés d’un domaine délaissé, jadis tenu par votre père, et désormais confié à vos mains inexpérimentées.
À vos côtés, Takakura, figure austère, pose d’emblée une tension sourde. Il ne vous guide pas : il vous jauge. Ses remarques sèches sur la fertilité du bétail, son insistance à évoquer le mariage comme condition de survie, son regard dépourvu de chaleur parentale brisent d’emblée la douceur attendue. Cette tonalité plus rugueuse, ce regard utilitaire sur la vie rurale, forment un contraste inattendu avec la tendresse généralement associée au genre. La magie, d’ordinaire si prégnante, se dissipe un temps, emportée par une injonction à produire, à vous justifier, à réussir.
Mais Takakura n’est pas toute la Vallée. Très vite, d’autres figures émergent, lumineuses, étranges, accueillantes ou réservées, et l’ancien monde reprend ses droits. Les personnages secondaires, nombreux et bien caractérisés, viennent étoffer un récit du quotidien. Des histoires d’amitiés, d’attentes, d’attachements, se nouent lentement, au fil de dialogues soignés et de scènes inédites. Chacun porte en lui un fragment d’histoire, une blessure, un espoir, une manière unique d’habiter la Vallée.
Le système relationnel se construit avec douceur : il ne s’agit pas d’amasser des points, mais de cultiver une présence. Vos interactions prennent du poids, débouchent sur des confidences, des événements, des rituels intimes. Les prétendants — au nombre de six, quel que soit votre genre — ne sont pas de simples archétypes romantiques. Leurs récits personnels, retravaillés avec subtilité, révèlent des trajectoires plus nuancées, enrichies de scènes inédites et de dialogues plus denses que dans la version GameCube.
Tout autour, les esprits anciens veillent. Les lutins, les animaux, les saisons. A Wonderful Life conserve cette structure narrative sans enjeu dramatique majeur, mais emplie d’une intensité émotionnelle discrète. Ce n’est pas un récit de conflit, mais un récit d’enracinement, où l’on épouse le rythme de la terre et des cœurs.
Semer l’oubli, récolter la mémoire
À la croisée des chemins entre tradition patinée et améliorations fonctionnelles, Story of Seasons: A Wonderful Life reconduit le rythme lent et mesuré de ses origines. Loin de toute frénésie moderne, il propose un cycle de vie rural où chaque geste, chaque saison, chaque rencontre s’inscrit dans une continuité douce, parfois contemplative, mais jamais passive.
La structure générale reste inchangée : vous cultivez, élevez, explorez et tissez des liens. Mais sous ce canevas bien connu, le remake insuffle de nombreuses améliorations de confort. L’ergonomie de l’inventaire a été entièrement repensée, facilitant les allers-retours entre outils, graines et objets. Une simple pression sur la touche « L » suffit désormais à basculer entre les éléments essentiels du quotidien, tandis que le bouton « B » permet de ranger votre matériel en un geste. Ce détail, en apparence anodin, fluidifie de manière spectaculaire les routines agricoles.
Les cultures reprennent la logique ancienne : préparer la terre, planter, arroser. Ce rituel immuable, sans mini-jeu ni automatisation excessive, privilégie la régularité et la patience. Vous observez la croissance jour après jour, avec cette satisfaction rare de voir le fruit de votre labeur sans filtre mécanique. Les animaux, eux aussi, s’intègrent à ce rythme : vaches, moutons, poules, chacun demande soin, attention, régularité.
L’ajout d’un appareil photo vient renforcer cette impression de vie vécue. Vous immortalisez des instants, des regards, des situations inattendues, et chaque cliché devient un marqueur personnel, un ancrage visuel dans le flot des saisons. C’est une touche purement contemplative, mais qui résonne avec la logique du titre : figer l’éphémère, faire mémoire de l’infime.
Les festivals, revus et enrichis, offrent des moments d’excentricité bienvenus. Certaines célébrations anciennes ont été retravaillées, d’autres entièrement inventées pour l’occasion. Ces parenthèses, souvent absurdes ou poétiques, brisent la routine sans jamais la dérégler. Les croisements de plantes, nouveauté plus technique, viennent ajouter une dimension expérimentale à la gestion des cultures, incitant à tester, à croiser, à créer des variétés uniques selon vos découvertes.
Le level design de la Vallée Oubliée reste volontairement compact, mais dense. Chaque zone est accessible à pied, sans chargement intrusif, et la géographie du lieu se dessine naturellement au fil des saisons. Les mines, les forêts, les rivières : tout est à portée de pas, sans jamais forcer l’exploration. C’est un monde clos, mais accueillant, qui n’aspire pas à la grandeur mais à la cohérence.
À l’inverse des titres plus récents ayant misé sur la vitesse ou la prolifération d’activités, A Wonderful Life conserve un tempo lent et intentionnel, pensé pour être habité, pas consommé. Chaque outil a son poids, chaque journée sa courbe. Ce n’est pas une course, mais un cycle. Et dans ce choix radical de continuité, Marvelous retrouve la justesse qui avait fait la grandeur de l’original.
Entre champs fanés et souvenirs délavés
Visuellement, Story of Seasons: A Wonderful Life ne cherche pas l’éblouissement. Il reconduit une approche plus réaliste que les opus récents, renouant avec l’esthétique originale de la version GameCube. Ce choix artistique, assumé mais déconcertant, impose une rupture nette avec la patte colorée, presque sucrée, des derniers volets de la série. Les personnages, aux silhouettes douces et expressives, bénéficient d’un lissage discret, d’une palette plus sobre, d’un dessin moins caricatural. Pourtant, cette retenue dans le trait ne parvient jamais tout à fait à masquer l’austérité des environnements.
La Vallée Oubliée, lieu central de votre renaissance, affiche des tons pâles, des textures parfois ternes, des paysages privés de cette exubérance florale qui faisait la joie de Friends of Mineral Town ou Olive Town. Même les zones autrefois féériques, comme la forêt des lutins, semblent ici perdre en éclat, comme si un voile gris avait été déposé sur le monde. La campagne n’a plus la même lumière, et le rendu général, bien que propre et stable, manque de cette chaleur visuelle qui habitait autrefois la série.
Côté technique, le jeu reste parfaitement fluide, quelle que soit la densité des activités à l’écran. Les temps de chargement sont courts, les animations simples mais lisibles, et aucun bug notable ne vient troubler le déroulement des saisons. Marvelous ne pousse pas ici les capacités de la Xbox Series, mais livre un socle technique fiable et fonctionnel.
La bande-son, en revanche, retrouve avec justesse l’ADN de la série. Les thèmes musicaux, discrets, parfois mélancoliques, s’accordent au cycle des saisons. Loin des orchestrations tapageuses ou des boucles répétitives, chaque mélodie accompagne sans alourdir, dessine un climat, soutient les silences. On reconnaît dans cette retenue une volonté de laisser parler les bruits de la vallée : les pas sur le sol meuble, le ruissellement de l’eau, le bêlement des chèvres, la rumeur du vent dans les feuillages.
Les effets sonores, précis et sobres, renforcent cette impression d’intimité. Le choix d’un mixage tout en douceur renforce l’attachement à cet espace clos, où chaque action produit une résonance feutrée. Ce paysage sonore, moins spectaculaire que dans d’autres productions, épouse ici la lenteur des gestes, la régularité des jours, l’épure d’une vie simple.
Cadence rurale et confort retrouvé
Si A Wonderful Life repose sur une structure résolument classique, Marvelous a pris soin d’intégrer une série de petites améliorations discrètes mais bienvenues qui modernisent l’expérience sans en trahir l’esprit. Le jeu ne cherche pas à introduire des systèmes exogènes ou à superposer des couches artificielles de complexité. Il se contente de réaffirmer les fondations de la série tout en polissant ses angles les plus saillants.
L’interface, revue en profondeur, affiche une ergonomie bien plus lisible que celle des opus précédents. La navigation entre les menus est fluide, l’accès aux objets et aux outils immédiat, et les actions contextuelles répondent avec précision. Cette lisibilité s’étend également à la gestion de la ferme, où les icônes, les marqueurs et les retours visuels accompagnent l’évolution de vos cultures ou le moral de vos animaux avec une clarté appréciable.
L’ajout de l’appareil photo, bien qu’anecdotique en apparence, joue le rôle d’un ancrage sensible : immortaliser un moment, capturer un échange furtif ou une floraison inattendue permet de créer un album de vie personnel, qui devient un prolongement du cycle agricole. C’est une fonction simple, mais qui s’inscrit parfaitement dans la philosophie douce et introspective du titre.
La progression temporelle, quant à elle, conserve le découpage saisonnier habituel, mais accompagne votre personnage au fil des années, jusqu’à son vieillissement. Ce choix scénaristique, rare dans les simulations de vie, donne au temps un véritable poids. Les amitiés évoluent, les enfants grandissent, et certaines présences s’éteignent. La vie ne se contente plus de tourner en rond : elle avance, doucement, inexorablement.
Le contenu post-mariage, souvent marginalisé dans les productions concurrentes, bénéficie ici d’un traitement soigné. Vos choix de partenaire influencent certains dialogues, certaines scènes, et la relation parent-enfant est progressivement développée, jusqu’à influencer le devenir de votre progéniture. Ce fil narratif, tout en finesse, donne une profondeur supplémentaire à la notion de transmission qui irrigue tout le jeu.
Aucune fonctionnalité multijoueur n’a été intégrée, et le jeu reste centré sur une expérience strictement solo. Ce parti pris renforce la cohérence du cadre intimiste et renvoie à l’ADN fondamental de la série : une vie à échelle humaine, où les choix prennent sens dans l’intimité des jours.
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