Vous incarnez la princesse Elizabeth, à la tête de l’Ordre du Grifon, dont la forteresse volante survole un monde menaçant. Stones Keeper promet une épopée tactique mêlée à l’exploration et à la construction stratégique : recruter des guerriers, équiper votre armée, défendre le ciel contre citadelles ennemies mouvantes. Le jeu décrit 45 missions, plus de 15 h de campagne solo, des artefacts anciens à découvrir, des factions à affronter ou convaincre, et l’évolution d’une forteresse volante – un mélange d’éléments RPG et stratégie au tour par tour.
Mais derrière ce pitch ambitieux, l’expérience Switch est-elle à la hauteur ? Ce classifier narratif se traduit-il par une immersion véritable, un challenge à la hauteur, une direction artistique assumée ou seulement une suite de mécanismes calorimétriques ? Peut-on faire vivre une forteresse volante, ou n’est-ce qu’un concept desséché sans souffle ?
Lignage déclamé sur cendres figées
Le récit de Stones Keeper s’ouvre sur un monde en ruine et un nom : Elizabeth, héritière de l’Ordre du Grifon, portée malgré elle au sommet d’une forteresse volante. Le prétexte narratif est là, classique : un royaume effondré, des ennemis en maraude, une princesse qui doit fédérer les siens pour survivre. Mais dès les premières lignes, l’écriture trahit une faiblesse fondamentale : celle du cliché figé, du dialogue fonctionnel, du contexte effleuré sans jamais être vécu.
L’univers tente d’évoquer une guerre de factions anciennes, des cultes dévoyés, des vestiges magiques oubliés. Mais ces éléments ne sont jamais incarnés. Chaque personnage rencontré — allié, mercenaire, érudit, traître — parle avec la même voix mécanique, le même rythme monocorde. Aucune intonation, aucune tension. Pas de relation à construire, pas de trahison marquante, pas de révélation. Le lore est récité, non exploré. Chaque mission déroule son texte introductif, puis disparaît sans écho.
Elizabeth elle-même reste une silhouette abstraite. Ni doublage, ni système de choix, ni cinématique ne viennent donner chair à son combat. Elle commande, mais ne réagit pas. Elle recrute, mais ne dialogue pas. Elle traverse la campagne comme une figurine de plomb glissée sur une carte de jeu — dirigée, non investie. Son identité, son histoire, sa transformation restent hors champ.
Et pourtant, quelques éléments intriguent. Le concept d’une forteresse volante, mobile, évolutive, aurait pu servir de métaphore politique ou tactique. Mais là encore, le potentiel reste lettre morte. Aucune scène ne la décrit de l’intérieur, aucun rituel de commandement n’est montré, aucun lien symbolique n’est tissé entre l’héroïne et son bastion. Tout ce qui aurait pu constituer une mythologie s’efface derrière la routine.
Stones Keeper échoue à construire un récit. Il empile des fragments d’univers, sans souffle, sans affect, sans construction progressive. L’aventure reste extérieure au joueur, comme si tout se déroulait dans un manuel de jeu oublié sur une étagère.
Commandement figé dans des hexagones sans feu
La promesse ludique de Stones Keeper repose sur un tronc classique : un jeu de stratégie au tour par tour, sur cartes quadrillées en hexagones, avec unités à recruter, bâtiments à gérer et compétences à déclencher. Une structure familière, qui évoque autant King’s Bounty que Battle for Wesnoth, mais sans jamais atteindre leur tact. Car ici, tout est fonctionnel, tout est raide, tout est froid.
Les combats s’enchaînent sur des terrains statiques, aux objectifs répétitifs : détruire un camp, défendre une zone, escorter une unité. Mais la variété n’est qu’apparente. Les cartes manquent de relief, les décors sont recyclés, l’environnement n’intervient jamais dans la tactique. Pas de hauteurs, pas de couverts, pas de conditions dynamiques. Seuls comptent la position, les points d’action, et les bonus de portée. Le cœur stratégique devient vite une routine : avancer, tirer, reculer, attendre.
La gestion de l’armée suit la même logique. Vous recrutez des unités via votre forteresse volante, que vous déplacez sur une carte du monde segmentée. Mais chaque progression est linéaire. Les choix sont minimes, les recrutements limités, les arbres de compétences maigres. Aucune spécialisation profonde, aucun dilemme d’évolution. La progression est lente, encadrée, et jamais vraiment gratifiante.
Le système de ressources repose sur quelques artefacts à récolter entre les missions, mais là encore, l’impact est marginal. On ne construit pas une économie, on débloque des objets. L’aspect “gestion de forteresse” est une interface, pas un système : on débloque une caserne, une forge, une bibliothèque, mais sans mécanique d’entretien, sans équilibre à maintenir, sans priorité à définir. Les choix sont plats, les conséquences nulles.
Même la difficulté se fait inconsistante. L’intelligence artificielle oscille entre passivité molle et pics absurdes : certaines unités ignorent le joueur, d’autres ciblent avec une précision inhumaine. Aucun système ne vient doser la montée en tension. On ne subit pas une pression tactique : on avance jusqu’à épuisement, ou on recule par lassitude.
La formule aurait pu fonctionner — si elle avait été approfondie, stylisée, rythmée. Mais Stones Keeper préfère l’inertie à l’intensité. Il déroule son gameplay comme un automate fatigué, où chaque clic produit le même mouvement, sans surprise, sans poussée, sans montée.
Esthétique glacée pour partitions sans souffle
Sur Nintendo Switch, Stones Keeper affiche une direction artistique volontairement austère, presque monastique. Les décors, rendus en 2D isométrique figée, rappellent les plateaux de wargame traditionnels : cases géométriques, unités stylisées, éléments de terrain minimalistes. Mais là où certains titres tirent de cette rigueur une puissance visuelle, le jeu ne fait que révéler ses limites. Le style n’est pas sobre, il est appauvri. Le dessin n’est pas épuré, il est rudimentaire.
Les cartes, souvent ternes, recyclent les mêmes éléments de roche, de ruine ou de sol corrompu. Les effets climatiques sont absents, les animations sont réduites à quelques gestes mécaniques — attaque, déplacement, disparition. Les unités, pourtant nombreuses dans l’encyclopédie, manquent de lisibilité : silhouettes semblables, palettes ternes, aucun feedback clair sur leur statut, leur posture, ou leurs actions en cours. Même les icônes manquent d’élégance, comme issues d’un prototype non finalisé.
L’interface pâtit d’un portage peu soigné. Textes trop petits sur écran portable, options cachées dans des menus rigides, défilement peu ergonomique : tout semble pensé pour une version PC, puis compressé sans adaptation. Les couleurs se mélangent mal, les barres de vie se confondent, et certaines fenêtres se superposent inutilement. Aucun travail d’optimisation pour la Switch ne semble avoir été engagé.
La bande-son, quant à elle, fonctionne en mode veille. Quelques nappes discrètes, sans thème distinctif, accompagnent les phases de combat. Elles n’évoluent jamais, ne s’adaptent pas à l’intensité, ne marquent ni victoire ni défaite. On joue dans un souffle blanc, entre orgue discret et silence de cathédrale. Les effets sonores — coups portés, pas sur le sol, sorts lancés — sont plats, réverbérés sans nuance, souvent noyés dans le mix général.
Il n’y a pas de doublage, pas de voix. Chaque échange narratif passe par des blocs de texte immobiles, sans mise en scène, sans rythme. On ne lit pas des dialogues, on lit des instructions. Et l’univers, faute d’acoustique propre, s’effondre dans le mutisme.
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