D’abord pensé pour Apple Arcade, Star Trek: Legends tente le grand saut. Tilting Point transpose ici un tactical-RPG mobile sur Nintendo Switch, dans un format condensé, accessible, calibré pour les fans de la première heure comme pour les recrues récentes. Vous prenez le commandement de l’USS Artemis, une frégate perdue entre anomalies spatio-temporelles, conflits diplomatiques et escarmouches interstellaires. Un prétexte à rassembler plus de soixante-dix figures mythiques de la franchise dans un système de combat au tour par tour.
Mais cette miniaturisation d’un monument de science-fiction conserve-t-elle l’élan narratif, la rigueur tactique et l’éthique exploratoire qui définissent l’univers de Star Trek ? Ou ne s’agit-il que d’un skin de licence plaqué sur une mécanique déjà éprouvée ?
Des légendes sans destin dans un multivers en veille
Le récit de Star Trek: Legends tient dans une mécanique narrative plus que dans une ligne dramatique. Chaque mission est un fragment, un prétexte, une anomalie. Vous naviguez à bord de l’USS Artemis, dans un vortex spatio-temporel qui justifie tous les croisements, tous les mélanges, tous les visages. Kirk croise Burnham. Worf combat aux côtés de Spock. La Fédération devient une galerie. Le scénario, un alibi.
Les arcs narratifs ne construisent pas une intrigue. Ils connectent des personnages. On choisit une mission, on exécute une série d’actions, on observe un résultat. Les décisions influencent parfois l’issue, mais ne tissent jamais un fil durable. Pas de tension cumulative. Pas de mémoire. Chaque événement s’efface derrière le suivant.
Et pourtant, certains dialogues surprennent. Quelques échanges, rares, laissent entrevoir une conscience du matériau. Des clins d’œil. Des références bien posées. Des moments où le joueur sent la cohérence sous la mécanique. Ces éclats ne suffisent pas. L’univers ne se déploie jamais. Il est convoqué, jamais réécrit.
Les personnages, eux, ne vivent que dans leurs fiches. Le casting est vaste, prestigieux, mais l’écriture reste superficielle. Chaque figure possède des compétences, pas un arc. Une posture, pas une trajectoire. Le plaisir vient de la reconnaissance, pas de la redécouverte. Ce ne sont pas des héros en situation. Ce sont des entités jouables.
Star Trek: Legends reproduit la silhouette de la franchise. Il en isole les figures. Il n’en capte jamais la structure. Pas de prime directive. Pas de crise diplomatique. Pas de saut moral. Un musée interactif. Pas une mission d’exploration.
Un pont de commandement réduit à une chaîne d’ordres
Le système de combat de Star Trek: Legends repose sur un schéma classique : une escouade de trois personnages affronte des vagues d’ennemis dans des affrontements au tour par tour. Chaque officier dispose de compétences propres, et la clef réside dans la synergie — entre rôles, séries d’origine, ou bonus de faction. Sur le papier, la promesse est limpide : composer, adapter, anticiper. Dans les faits, le système fonctionne, mais finit par se répéter.
Les premiers combats exigent un minimum de réflexion : coordonner une attaque spéciale, anticiper une faiblesse, enchaîner une séquence. Mais à mesure que les missions s’enchaînent, la routine s’installe. Les ennemis varient peu. Les schémas se répètent. La tactique devient séquence.
La progression par amélioration reste, elle, satisfaisante. Chaque personnage gagne en efficacité, débloque de nouvelles compétences, ouvre des possibilités de combinaison. Le jeu incite à varier les équipages, à tester, à optimiser. Mais cette richesse potentielle est contenue par la structure même du jeu : des objectifs courts, des missions segmentées, peu de rupture. On affine une mécanique, sans jamais la voir déborder.
Le rythme est fluide, l’interface propre, la prise en main immédiate. Le portage Switch conserve l’accessibilité d’origine. Mais les temps de chargement rallongent les sessions, ralentissent les transitions, rappellent la structure mobile sous-jacente.
Les mécaniques empruntées aux RPG mobiles sont omniprésentes : énergie limitée, courbes d’expérience calibrées, loot systématique. Rien de toxique, rien d’intrusif. Mais une couche de familiarité qui bride l’originalité. L’expérience devient un déroulé maîtrisé. Jamais une aventure.
Star Trek: Legends propose une stratégie allégée, une progression continue, un équilibre pensé pour l’accessibilité. Il ne propose pas un défi, ni un système capable de se réinventer. Une mécanique lissée, fluide, sans aspérité.
Des holodecks en boucle sous une lumière irréprochable
Visuellement, Star Trek: Legends exploite au mieux son héritage mobile. Les modèles 3D des personnages sont nets, stylisés, immédiatement reconnaissables. Les uniformes, les gestes, les visages : tout est calibré pour flatter la mémoire du fan, sans jamais heurter l’œil du néophyte. La direction artistique joue la carte du respect : rien n’étonne, mais tout est à sa place.
Les environnements varient selon les missions : planètes végétales, bases hostiles, ponts de vaisseau. Chaque zone possède une palette, un motif, un éclairage propre. Mais la diversité s’épuise rapidement. Après quelques heures, les décors se répètent, les ambiances s’émoussent. Ce n’est plus un voyage. C’est une rotation.
Les animations sont fluides. Les effets visuels lisibles. Les affrontements restent clairs, même lors des séquences chargées. Mais la mise en scène demeure statique. Pas de panoramique, pas de recadrage, pas de dramaturgie. Le jeu montre. Il n’oriente jamais le regard. L’image est stable. Elle est aussi sans vertige.
Côté sonore, le travail est respectueux, mais discret. Les bruitages — portes, tirs, transporteurs — sonnent juste. La bande-son utilise des motifs orchestraux cohérents avec l’univers, mais sans emprunter aux thèmes fondateurs. Rien ne reste. Rien ne hante. L’ambiance fonctionne, mais n’imprime rien.
Le manque de doublage vocal pour une partie des dialogues tranche avec la qualité de la restitution sonore globale. On entend les canons phasiques, mais pas les voix. Un choix économique sans doute, mais un manque flagrant dans un univers aussi porté sur la parole, les débats, la rhétorique.
Sur Switch, la stabilité est correcte, mais les temps de chargement dégradent l’immersion. Chaque mission devient un enchaînement segmenté, chaque transition un frein. Le jeu ne rame pas. Il attend.
Star Trek: Legends maîtrise son esthétique. Mais cette maîtrise finit par lisser tout relief. Un hommage formel. Pas une réinterprétation visuelle.
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