Il y a des jeux qui répondent à une tendance, et d’autres qui tentent de s’en extraire tout en la célébrant. Spirit Hunters: Infinite Horde, premier titre du jeune studio Creature Cauldron, appartient résolument à cette seconde catégorie. Sorti en juillet 2023 sur Nintendo Switch, ce rogue-lite à arène fait immédiatement penser à Vampire Survivors, dont il reprend les fondations mécaniques. Mais plutôt que de singer servilement son illustre modèle, le jeu choisit d’élargir la formule, d’y injecter de la stratégie, de la personnalisation, et surtout une structure de progression nettement plus ambitieuse.
Le résultat est à la fois convaincant, dense, mais parfois étrangement contre-productif. Car en voulant enrichir chaque élément de son gameplay, Spirit Hunters prend aussi le risque de ralentir l’intensité, de freiner la frénésie qui faisait tout le charme de son aîné. Plus complet, oui. Plus élégant, sans doute. Plus addictif ? Rien n’est moins sûr.
Huit visages pour une infinité de sorts
Spirit Hunters: Infinite Horde ne raconte pas d’histoire. Il n’en a pas besoin. Son univers tient dans une boucle : vous entrez, vous survivez, vous tombez, vous recommencez. Mais là où d’autres titres du genre se contentent de faire de votre personnage une coquille vide, ici chaque chasseur d’esprits possède une identité mécanique claire, définie non pas par une arme ou une statistique, mais par une interaction précise avec les systèmes du jeu.
Huit héros sont disponibles, et chacun transforme votre manière d’appréhender une run. Magnus, mage noir, récupère des points de vie à chaque montée en niveau de la boule de feu. Vivian, sorcière expérimentée, gagne plus d’expérience à chaque ennemi brûlé par le même sort. Conrad frappe plus fort, Maxine génère plus d’or, Hugo attire les bonus… Ce ne sont pas des variations cosmétiques. Ce sont des modificateurs structurels, des catalyseurs de gameplay.
Mieux encore, chaque personnage dispose d’un second passif distinct (dégâts, régénération, gain d’or…), ainsi que d’un pool de statistiques initiales (vitesse, portée, santé) qui conditionne vos premières minutes de jeu. Certains héros disposent même d’une barre de vie segmentée, réduisant la marge d’erreur mais incitant à des choix d’équipement plus agressifs. En pratique, cela signifie qu’aucune partie ne se joue de la même manière selon votre avatar — et que votre choix n’est jamais neutre.
Là où Vampire Survivors vous permettait d’improviser une stratégie en fonction des armes ramassées, Spirit Hunters vous impose, dès la sélection du héros, de construire votre run autour de ses affinités. Ce n’est pas un jeu d’incarnation. C’est un jeu de lecture. Et dans cette optique, chaque chasseur devient un angle d’attaque sur un système complexe, un prisme à travers lequel l’action prend une teinte différente.
Ce choix de conception est doublement payant : il pousse à l’expérimentation, et il valorise la redondance. Rejouer une carte avec un autre personnage n’est jamais un simple recyclage : c’est une nouvelle ligne de faille, une nouvelle courbe de risque.
Dans un genre qui repose souvent sur la surabondance de contenu pour masquer l’usure mécanique, cette structure claire, lisible et pleinement assumée suffit à donner corps à l’expérience. L’absence de scénario ne pèse jamais. Les héros n’ont pas besoin de parler pour exister : ils s’imposent par ce qu’ils permettent.
Une spirale d’améliorations dans un labyrinthe de lenteur
Spirit Hunters: Infinite Horde reprend la formule désormais codifiée par Vampire Survivors : un personnage, des vagues infinies, des armes évolutives et une montée en puissance sur fond de chaos ambiant. Mais là où son modèle brillait par sa nervosité organique, ici l’accent est mis sur la stratégie, la structure, la progression entre les parties. Un choix assumé, ambitieux… mais dont les conséquences nuisent parfois au cœur de l’expérience.
La boucle de gameplay reste familière. Vous commencez avec un unique sort. À chaque montée de niveau, vous choisissez une nouvelle capacité ou améliorez l’existante. Boule de feu, faux circulaire, nuage toxique, spirale de shuriken, invocation d’un djinn… les quatorze armes disponibles offrent un éventail de styles qui couvre tout le spectre de l’attaque automatique, du zoning au burst, de l’impact direct à la saturation d’écran.
Mais la vraie profondeur se joue ailleurs : dans les interactions entre armes et passifs, dans les synergies avec votre personnage, et surtout dans l’arbre de progression permanente. Chaque partie vous rapporte des gemmes (classiques ou sombres) permettant de débloquer des personnages, des armes, des pets, des bonus passifs, voire de nouvelles zones. Cet arbre est immense, déroutant, presque labyrinthique. Il pousse à l’investissement, au long cours, à la planification.
À cela s’ajoute la présence de familiers — ou “pets” — qui vous accompagnent en combat, chacun offrant des bonus spécifiques (régénération, gain d’or, XP, etc.). Ce simple ajout suffit à densifier considérablement les stratégies viables. Construire un build optimal ne se résume plus à empiler les sorts les plus puissants, mais à anticiper les interactions, à lire votre personnage et votre adversité.
Le contenu, lui, est généreux : quatre biomes principaux, déclinés chacun en plusieurs zones, un bestiaire riche, des dizaines de boss, une courbe de difficulté bien maîtrisée sur la première moitié du jeu. Le tout servi par une interface propre, lisible, et des commandes parfaitement adaptées à la Switch.
Mais au cœur de cet échafaudage : une faille. Le rythme.
Là où Vampire Survivors misait sur la montée en tension dès les premières secondes, Spirit Hunters étire. Le début de partie est lent. Les premiers ennemis sont peu nombreux. Les armes mettent du temps à s’enchaîner. La montée en puissance est étouffée, bridée, presque retenue. Il faut attendre plusieurs minutes pour que le jeu s’anime réellement — et même à son pic, Spirit Hunters ne parvient jamais à égaler l’intensité viscérale de ses concurrents.
Ce ralentissement est d’autant plus perceptible que le jeu complexifie à l’excès une formule fondée sur la simplicité. Là où chaque décision dans Vampire Survivors est immédiate, ici elle est souvent le fruit d’une mécanique préalable, d’une interaction secondaire, d’un effet conditionnel. Le tout est riche, certes. Mais parfois au détriment du plaisir brut.
Spirit Hunters a le cerveau. Il manque parfois de nerfs. Et dans un genre fondé sur la survie, la lecture intuitive du chaos et l’adrénaline du pic de puissance, ce choix de design crée une distance émotionnelle. Le jeu devient un chantier. Une planification. Une stratégie plus qu’un choc.
La ronde des esprits sur un parchemin numérique
Dans un genre souvent dominé par le pixel art ou les visuels rétro minimalistes, Spirit Hunters: Infinite Horde choisit un autre chemin. Oubliés les clins d’œil 8-bit et les clignotements nostalgiques : le jeu de Creature Cauldron opte pour un style graphique plus moderne, à base d’illustrations 2D nettes, de palettes douces, et d’animations fluides. Le résultat est immédiatement lisible, presque élégant… mais jamais spectaculaire.
Chaque personnage bénéficie d’un design différencié et identifiable, avec une silhouette claire, des couleurs marquées, et une animation cohérente, même dans le feu de l’action. Le choix d’une esthétique moins bruitée que celle de ses concurrents permet une visibilité optimale, surtout dans les derniers instants d’une run, lorsque l’écran est saturé d’ennemis, de projectiles et d’effets élémentaires.
Les environnements sont variés, mais relativement épurés : plaines empoisonnées, temples antiques, steppes nocturnes… Chaque biome possède son ambiance propre, mais aucun ne cherche à voler la vedette au gameplay. L’arrière-plan est un support, pas un décor. On est ici dans une logique de lisibilité avant tout, de fond servant la forme, au détriment parfois de l’identité artistique.
Côté technique, c’est un sans-faute. Le jeu tourne parfaitement sur Nintendo Switch, sans ralentissement ni problème d’affichage, même dans les phases les plus chargées. Les effets spéciaux (explosions, déflagrations magiques, halos de projectiles) restent discrets et précis. Aucun bug. Aucun accroc. Un confort qui mérite d’être souligné, tant la stabilité n’est jamais acquise dans ce type de production.
La bande-son, en revanche, joue la carte de la discrétion. Quelques boucles musicales accompagnent chaque carte, mais sans jamais chercher à se rendre mémorables. Ce sont des ambiances de fond, des nappes d’ambiance destinées à maintenir la tension sans jamais la porter. Ce choix, s’il préserve la concentration du joueur, n’offre aucun thème marquant, aucun leitmotiv susceptible de s’ancrer en mémoire. Les effets sonores, eux, sont fonctionnels, percussifs, efficaces : les projectiles claquent, les sorts vibrent, les boss rugissent. Rien ne détonne. Rien ne brille.
Spirit Hunters fait le choix de l’effacement maîtrisé. Un jeu qui ne vous submerge jamais, qui se met au service de sa lisibilité, et qui préfère l’ergonomie à l’audace. Dans un genre qui supporte mal l’illisibilité, c’est une décision fondée. Mais dans un paysage où l’identité visuelle devient un facteur de différenciation, cela peut aussi lui coûter une part de sa singularité.
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