Depuis l’explosion fulgurante de Vampire Survivors, une myriade de clones, variantes, dérivés et ersatz ont tenté de capturer la même étincelle. Un gameplay épuré, une esthétique rétro minimaliste, un effet boule de neige addictif : la recette semblait si simple, si duplicable, qu’elle a engendré une industrie parallèle du “survivor-like”. Certains titres, à l’image de Spirit Hunters: Infinite Horde, ont su s’éloigner du moule avec subtilité. D’autres, hélas, s’enlisent dans une paresse créative absolue, allant jusqu’à effacer toute distinction entre inspiration et contrefaçon.
Et puis, au fond de ce marécage de duplications numériques, il y a Spellbound Survivors.
Prévu pour le 29 décembre, ce titre qui s’affiche sans détour comme un nouveau venu du genre ne cache même plus son intention mercantile. Plus qu’un simple hommage maladroit à son modèle, il s’impose comme une imitation si transparente qu’elle en devient presque fascinante par sa propre impudence. Est-ce un jeu ? Une parodie involontaire ? Un produit cynique dépourvu d’âme ?
La question mérite d’être posée. Et la réponse, vous l’aurez deviné, n’augure rien de bon.
Narration absente, identité dissoute
Dans Spellbound Survivors, il n’y a ni récit, ni personnage, ni univers à habiter. Vous incarnez une silhouette quelconque, sans nom, sans histoire, surgie de nulle part dans un monde généré pour accumuler des vagues d’ennemis. Pas d’introduction, pas de contexte, pas même un prétexte scénaristique pour justifier la présence de squelettes et de chauves-souris dans un décor de fantasy vue de dessus.
Ce n’est pas simplement un oubli. C’est une désertion narrative complète.
Là où Vampire Survivors, malgré sa simplicité graphique, esquissait des identités à travers des noms, des classes, des pouvoirs distinctifs et un folklore aussi étrange qu’intrigant, Spellbound Survivors s’efface méthodiquement, jusqu’à devenir anonyme. Les “héros” jouables ne sont que des modèles recyclés, dépourvus de personnalité, de lore, ou même de la moindre variation esthétique marquante. Aucun n’a d’histoire. Aucun ne parle. Aucun n’existe.
Résultat : aucun attachement possible, aucune projection, aucune tension dramatique. Vous ne survivez pas pour sauver un monde, ou pour vaincre une entité maléfique. Vous survivez pour faire grimper un compteur numérique, dans le vide le plus absolu.
Dans un genre où l’on pourrait penser que la narration est secondaire, Spellbound Survivors démontre par l’absurde que même l’absence totale de récit est un choix, et qu’il peut être délétère lorsqu’il est motivé uniquement par l’économie de moyens. Ce n’est pas un univers qui vous absorbe. C’est une coquille générique qui vous recrache aussitôt la partie terminée.
Simulacre mécanique, gouffre ludique
Sur le papier, Spellbound Survivors reprend les codes essentiels du genre popularisé par Vampire Survivors : une arène en vue top-down, une boucle de gameplay centrée sur la survie face à des vagues d’ennemis, des armes qui s’activent automatiquement, et une montée en puissance fondée sur l’expérience et les synergies. Mais à la différence de son modèle, ce clone ne propose aucune variation digne de ce nom. Tout ce qui faisait le sel du jeu de Poncle – l’ingéniosité des combinaisons, la gestion de l’espace, l’effet crescendo – est ici raboté, plat, dénué d’âme.
Les premières minutes suffisent à révéler le vide du système. Les ennemis sont lents, sans patterns clairs, générés en masse mais sans logique. Les armes – dagues, haches, arcs – sont strictement identiques à celles de Vampire Survivors, jusque dans leur comportement. Les évolutions sont paresseusement calquées sur le même modèle, sans la moindre tentative de réinvention ou de twist mécanique. Aucun équilibrage n’est perceptible, aucun build ne semble offrir d’approche réellement différenciante. Le gameplay est non seulement simpliste, mais surtout inutilement redondant.
Le game design souffre également de décisions absurdes, à commencer par l’ajout de zones étroites, de ponts, d’escaliers ou de goulets, qui vont frontalement à l’encontre de la philosophie du genre. Ces éléments brisent la lisibilité, bloquent la fuite et nuisent à la circulation — alors même que la mobilité est l’un des piliers fondamentaux de ces jeux. Loin d’enrichir l’expérience, ces gimmicks nuisent à la fluidité et introduisent une rigidité artificielle, presque punitive.
Autre étrangeté : l’ajout d’une “attaque ultime”, déclenchable via une jauge de charge. Visuellement spectaculaire, elle balaye l’écran, tuant des dizaines d’ennemis en une seule frappe. Mais là encore, cette mécanique va à l’encontre des principes du genre, où la montée en puissance est censée être progressive, et où la tension réside dans la gestion du surnombre. Ici, elle est désamorcée par un bouton “panique” surpuissant, vidé de sens.
Spellbound Survivors n’est pas seulement une imitation servile. C’est une trahison des fondements mêmes du genre qu’il plagie, incapable de comprendre ce qui faisait la richesse mécanique de son modèle. Le gameplay, censé être la clé de voûte de cette expérience minimaliste, se réduit à une répétition morne, sans impact ni tension.
Pixel mort, silence creux
Visuellement, Spellbound Survivors échoue à capitaliser sur le charme rétro que le genre affectionne. Là où Vampire Survivors tirait parti de ses graphismes rudimentaires pour convoquer une esthétique pseudo-16-bit volontairement saturée, expressive et immédiatement lisible, Spellbound Survivors opte pour une palette terne, mal animée, sans cohérence ni style identifiable.
Les sprites des ennemis sont copiés sans vergogne : chauves-souris, zombies, squelettes — tous issus d’un bestiaire vu, revu, et ici mal redessiné. Les animations sont raides, souvent inexistantes. Aucun feedback visuel ne vient souligner l’impact des attaques. Les effets de lumière ou de particules sont absents, rendant l’ensemble visuellement atone. Même la lisibilité des projectiles et des collisions est compromise par des choix de design maladroits.
Les environnements, censés varier pour rythmer la progression, ne font qu’étaler des décors recyclés, vaguement différenciés par des filtres colorimétriques ou des éléments génériques (ponts, arbres, rochers). Pire encore : les quelques tentatives d’ajout de verticalité ou de relief via des escaliers ou des plateformes introduisent des confusions de perspective, nuisibles à la lecture de l’espace.
Côté sonore, le constat est tout aussi navrant. Aucune identité musicale. Aucun thème marquant. Aucun travail sur l’ambiance. Les rares bruitages présents — tirs, impacts, activation de compétences — semblent issus d’une banque de sons libre de droits, sans mixage, sans cohérence, sans intention. Il n’y a ni montée en tension sonore, ni travail rythmique pour souligner les moments critiques. Le silence ambiant, ponctué de sons plats, ne renforce pas l’atmosphère : il la rend inexistante.
Résultat : Spellbound Survivors échoue à provoquer la moindre immersion, là où un simple fond musical dynamique ou une esthétique cohérente aurait suffi à captiver. C’est un jeu visuellement et auditivement amorphe, comme vidé de sa substance.
Contenant vide, contenu néant
Au-delà de son absence de narration et de sa pauvreté ludique, Spellbound Survivors ne propose strictement rien pour étoffer ou diversifier l’expérience. Aucun mode de jeu alternatif, aucun système de progression hors des parties, aucune personnalisation des personnages ou des builds en dehors des choix imposés à chaque montée de niveau.
Il n’y a aucune traduction française, malgré un contenu textuel minimal. Un détail ? Pas vraiment. Car même si les quelques lignes affichées sont en anglais basique, l’absence totale d’effort de localisation confirme la logique de développement minimaliste : produire le strict nécessaire pour commercialiser un produit, sans la moindre volonté d’accessibilité ou de finition.
Du côté technique, Spellbound Survivors a au moins le mérite de fonctionner correctement. Pas de crashs, pas de bugs bloquants. Le jeu tourne, mais cela reste un minimum syndical, insuffisant pour compenser la vacuité de sa proposition. Aucune option graphique ou de confort n’est disponible. Aucun système d’accessibilité. Aucun indicateur de qualité ou de finition.
La structure générale, souvent porteuse de profondeur dans les rogue-lite (déblocage progressif de personnages, arbres de talents, monnaie persistante…), est ici inexistante ou purement cosmétique. Finir une partie ne débloque rien de réellement motivant. L’ensemble du contenu semble disponible dès le départ, rendant la boucle de jeu caduque dès les premières heures.
Enfin, le tarif demandé dépasse celui de Vampire Survivors. Et c’est peut-être là le coup de grâce : un prix plus élevé pour moins de contenu, moins de finition, moins d’idée. Une stratégie qui trahit une seule volonté : capitaliser rapidement sur une mode, sans s’investir dans une œuvre digne de ce nom.
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