Longtemps reléguée au rang de relique pour archivistes du JRPG, la sous-série Devil Summoner: Soul Hackers revient d’entre les limbes. Abandonnée depuis les années 90 malgré un portage 3DS resté confidentiel, elle renaît aujourd’hui sous une forme entièrement neuve, portée par Atlus et SEGA, et lancée sur toutes les plateformes modernes le 25 août 2022.
Mais cette renaissance, très attendue par les amateurs de Megaten, n’a de suite que le nom. Ni remake, ni suite directe, Soul Hackers 2 choisit de repartir de zéro : nouveau monde, nouveaux personnages, nouveaux enjeux. Le studio opère un virage clair, troquant le dungeon crawler claustrophobe contre un JRPG néon-cybernétique taillé pour les fans de Persona 5 Royal. Plus clinquant, plus digeste, mais aussi… plus convenu ?
Car en tentant de réconcilier deux décennies de mutation ludique avec une formule qui n’a jamais eu le temps de mûrir, Soul Hackers 2 se retrouve coincé entre deux héritages. Le sien, qu’il écarte. Et celui de Persona, qu’il imite avec zèle. Une fusion bancale, dont l’équilibre vacille sans jamais totalement rompre.
Algorithmes d’extinction et esprits résiduels
Vous incarnez Ringo, émissaire d’une entité numérique omnisciente nommée AION, envoyée dans un Japon dystopique pour empêcher une extinction imminente. Une catastrophe, prévisible par calculs, dont les points d’origine sont quelques humains aux destins gravitationnels. Ringo, construite mais non née, est chargée de sauver ces nœuds critiques. Et pour ce faire, elle hacke leur âme, les ramène à la vie, et les entraîne dans une chasse aux artefacts divins appelés Covenants.
Le point de départ, d’une grande richesse symbolique, convoque les fantômes de Blade Runner et les questions existentielles des meilleures œuvres cyberpunk. Qui mérite d’être sauvé ? Qu’est-ce qu’un libre arbitre programmé ? Pourquoi une intelligence censée observer se met-elle soudain à intervenir ? Malheureusement, Soul Hackers 2 ne pousse jamais cette réflexion jusqu’au bout.
Au lieu d’interroger la froideur mathématique d’AION ou la distance émotionnelle de Ringo et sa sœur Figue, le scénario opte pour un récit manichéen et balisé, où les méchants sont très méchants (ils veulent tout détruire), et les gentils très gentils (ils veulent l’empêcher). Le dilemme fondamental du cyberpunk — interférer ou observer — est rapidement balayé au profit d’un canevas plus classique, et bien trop bavard.
Heureusement, les personnages eux-mêmes sauvent l’ensemble. Non par leur rôle dans la trame principale, mais par leurs dialogues, leurs quêtes personnelles, leurs fêlures bien écrites. Chaque membre de l’équipe, ramené à la vie par le Soul Hack, se reconstruit lentement, explore ses regrets, ses liens perdus, ses trahisons passées. Ce sont ces récits secondaires, discrets mais poignants, qui donnent corps à l’univers. Ce sont eux qui vous accrochent.
L’écriture d’Atlus est là. Subtile, acide, souvent plus juste dans le détail que dans la fresque. Et comme souvent chez le studio, le sous-texte est plus riche que la surface. Le consumérisme, la foi technologique, l’aliénation urbaine : tout est là, en filigrane, jamais lourdement asséné. À condition de creuser, de parler aux PNJ, de suivre les quêtes annexes — là où l’intelligence narrative se cache.
Enfin, il faut saluer l’excellente traduction française, fine, nuancée, oscillant entre néologismes bien sentis, phrasé doux-amer et dialogues parfaitement localisés. Loin d’un simple travail technique, cette localisation offre une véritable voix propre à l’univers, comme rarement dans un JRPG japonais.
Persona.exe – Exécution sans modification
En quittant les souterrains labyrinthiques de son ancêtre pour embrasser la forme plus lissée d’un JRPG moderne, Soul Hackers 2 adopte l’ossature complète de Persona 5 — sans y greffer la moindre nouveauté de fond. Exploration de donjons segmentés, gestion d’équipe, enchaînements tactiques à base de faiblesses élémentaires, fusion de démons, menus stylisés… Tout est là. Mais tout semble déjà vu, déjà maîtrisé ailleurs, dans un écrin bien plus généreux.
Les combats reposent sur le système classique de Shin Megami Tensei : exploiter les faiblesses pour prendre l’avantage. Sauf qu’ici, pas de Press Turn, pas de One More : chaque affinité exploitée génère une “pile” de sabbat. En fin de tour, ces piles se convertissent en une attaque de groupe. Une idée intéressante, mais lente, moins dynamique, moins tranchante que le modèle dont elle s’inspire.
La progression dans les donjons souffre du même manque de nerf. Vous parcourez des couloirs linéaires sans interaction notable, où chaque détour mène à un coffre générique ou un raccourci attendu. Les lieux se suivent sans surprise, souvent construits selon une logique architecturale incohérente, même au sein du monde “réaliste” proposé. Qu’on explore une centrale électrique ou un vieux bâtiment désaffecté, la structure reste la même : successions d’embranchements sans inspiration.
Pire encore, l’absence de carte dynamique dans les donjons nuit gravement à la lisibilité de l’espace. Et chaque affichage de la carte en ville vous expulse immédiatement de la zone, vous obligeant à relancer l’exploration depuis l’entrée. Des choix d’UX incompréhensibles, surtout pour un studio ayant tant progressé sur ces points depuis Persona 4.
Le recrutement de démons — élément central de tout Megaten — est ici remplacé par une collecte passive. Les démons partent en éclaireurs, reviennent avec objets ou recrues. Plus de négociations, plus d’intimidation, plus de tension. Là où Persona avait peaufiné une mécanique de dialogue aussi absurde que brillante, Soul Hackers 2 opte pour une automatisation sans charme ni contrôle.
Même le système de “Soul Matrix”, sorte de palace intérieur lié à vos compagnons, rappelle les Palaces de Persona — sans l’ingéniosité narrative ni les mécaniques symboliques. Ces zones, censées explorer la psyché de vos alliés, ne sont en réalité que de simples donjons recyclés, peuplés d’ennemis identiques, de dialogues prévisibles, et de bonus à débloquer sans implication réelle.
L’ensemble n’est pas désagréable à jouer. La formule fonctionne. Les combats sont lisibles, les builds variés, la difficulté bien dosée. Mais l’absence d’évolution — pire, l’abandon de mécaniques pourtant passionnantes dans l’épisode original — laisse en bouche un goût d’économie. Soul Hackers 2 semble avoir débranché son identité pour se greffer au succès de son cousin, sans jamais retrouver son souffle propre.
Lumières de néon sur interfaces noires
Visuellement, Soul Hackers 2 adopte une esthétique synthwave affirmée, mêlant néons froids, surfaces métalliques et aplats de couleurs saturées. La direction artistique, si elle s’éloigne du baroque flamboyant de Persona 5, opte pour une stylisation cybernétique à la fois séduisante et plus contenue. Le chara-design, signé Shirow Miwa (DOGS: Bullets & Carnage, RWBY), confère aux protagonistes un look immédiatement reconnaissable, à la croisée de la J-pop, du cyberpunk et du minimalisme digital. Ringo, avec sa chevelure mentholée et ses lentilles d’interface, impose une présence visuelle unique, à mi-chemin entre avatar IA et idole post-humaniste.
Les environnements, eux, oscillent entre la rigueur géométrique des donjons et le grouillement tamisé des zones urbaines. Chaque quartier de la ville dispose d’un cachet propre, soutenu par une palette chromatique contrastée et une composition lumineuse souvent très réussie. L’animation reste fluide, avec un moteur maîtrisé, même si l’ensemble manque parfois de variété et de verticalité. Certains lieux peinent à se distinguer les uns des autres, et la répétitivité des structures souterraines devient vite perceptible.
En revanche, l’interface est une vraie faute de goût. Entièrement noire, à typographie blanche minimaliste, elle s’inscrit dans la continuité d’un Persona 5, mais sans justification esthétique ou ergonomique. Là où le rouge et le noir de Royal incarnaient une thématique visuelle cohérente, le noir pur de Soul Hackers 2 jure avec son esthétique néon, nuit à la lisibilité, et offre aucune alternative visuelle ou option d’accessibilité. C’est un contraste inutile, d’autant plus cruel pour les joueurs à la sensibilité visuelle spécifique.
Côté son, le constat est plus nuancé. Les musiques composées par MONACA (le collectif derrière Nier, Blue Reflection ou Astral Chain) oscillent entre électro ambiante, synthwave rêveuse et nappes industrielles discrètes. La bande-son accompagne l’action avec efficacité, mais peine à imprimer des mélodies fortes ou des morceaux mémorables. Les combats bénéficient de thèmes dynamiques, mais l’exploration reste musicalement timide, presque trop retenue.
Les voix japonaises et anglaises sont disponibles, toutes deux bien interprétées, même si le doublage français fait cruellement défaut. Heureusement, la traduction intégrale en français est d’une qualité rare, à la fois précise, fluide et audacieuse, avec de réelles trouvailles lexicales qui renforcent l’ambiance et la personnalité des personnages.
En somme, Soul Hackers 2 séduit par sa direction artistique posée et maîtrisée, mais reste prisonnier de choix techniques discutables. Là où l’univers visuel est inspiré, l’interface est punitive. Là où l’ambiance sonore est raffinée, la musique reste trop discrète. Des contrastes révélateurs d’un jeu encore en quête de sa voix propre.
De bugs mineurs en décisions discutables
Techniquement, Soul Hackers 2 propose une expérience stable et fluide sur Xbox Series, avec des temps de chargement rapides, une fluidité constante à 60 fps, et aucun bug majeur bloquant à signaler. Le moteur maison, réutilisé avec parcimonie depuis Tokyo Mirage Sessions, tient encore la route malgré des animations parfois un peu raides et une rigidité dans les transitions entre exploration, dialogues et combat.
La structure du jeu, assez classique, repose sur l’alternance entre des donjons fermés, des hubs sociaux (bars, repaires, boutiques) et un menu de navigation centralisé. Malheureusement, la carte générale reste rigide et punitive : afficher la carte en ville vous expulse immédiatement du lieu, forçant un rechargement complet pour revenir. Une décision absurde, toujours pas corrigée via mise à jour, et d’autant plus frustrante que le jeu repose fortement sur les allers-retours.
Le design des ennemis visibles est un autre point de crispation. Tous les adversaires hors combat sont représentés par les mêmes formes abstraites, sans distinction de type ou de famille. Impossible donc de savoir à qui vous vous attaquez sans lancer le combat — une contrainte d’autant plus lourde que de nombreuses quêtes reposent sur des monstres spécifiques. Un système qui rappelle les limitations de la Wii U (Tokyo Mirage Sessions), mais qui paraît totalement dépassé sur Xbox Series ou PC.
Côté qualité de vie, Soul Hackers 2 pèche par son absence de filtres dans les menus, peu de raccourcis efficaces, et une ergonomie figée. Le jeu ne propose aucun vrai système de personnalisation de l’interface ou d’options d’accessibilité graphique. Pas de mode daltonien, pas de taille de police ajustable, pas d’alternatives de contraste. Le strict minimum, là où des productions bien moins ambitieuses font aujourd’hui beaucoup mieux.
Enfin, notons que malgré l’apparente richesse de son univers, Soul Hackers 2 reste exclusivement solo. Aucune composante en ligne, pas de fonctionnalités communautaires, ni de système de ranking, de partage ou d’asynchrone. Ce choix, cohérent avec la narration fermée du jeu, renforce aussi le sentiment d’un titre en vase clos, très agréable à parcourir… mais qui laisse peu de traces une fois la console éteinte.
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