Songs of Silence s’avance comme un jeu de stratégie hybride, mêlant 4X allégé, gestion de héros, deck-building et affrontements automatisés. Un mélange dense, pensé pour séduire un public curieux d’expérimentations tactiques sans tomber dans la lourdeur des mastodontes du genre.
Mais entre direction artistique soignée, promesse narrative sombre et mécaniques enchevêtrées, ce cocktail tient-il sur la durée ? L’assemblage impressionne au premier regard, mais la structure supporte-t-elle vraiment le poids de ses ambitions ?
Des royaumes désaccordés dans un monde menacé
Songs of Silence articule sa trame autour d’un univers dual, construit sur deux mondes en équilibre instable, rongés par une entité surnaturelle nommée le Silence. Le postulat est classique, mais il fonctionne grâce à une écriture structurée et un effort réel de caractérisation des factions et des héros.
Le récit suit plusieurs protagonistes aux trajectoires distinctes. Chaque héros incarne un point de vue idéologique et stratégique : certains cherchent à préserver l’ordre, d’autres à exploiter le chaos. Ces figures ne se réduisent pas à des archétypes fonctionnels. Leurs dialogues, parfois chargés de sous-entendus politiques ou mystiques, donnent du relief à une narration qui assume son ton grave sans sombrer dans le bavardage.
L’univers, bien que chargé en lieux communs de la fantasy épique, évite le recyclage pur. Il pose des enjeux clairs, insère des dilemmes à travers les choix de dialogue, et relie ses arcs narratifs à la structure ludique : certaines décisions ont des conséquences directes sur la progression, l’état des forces, ou même le sort de personnages secondaires. Rien de révolutionnaire, mais une application sérieuse des mécaniques de narration interactive.
L’ensemble évoque plus un RPG stratégique qu’un pur 4X : l’histoire avance par ramifications discrètes, sans jamais rompre le rythme de jeu. Le monde reste en arrière-plan, mais ses secousses sont palpables. Les tensions politiques, les dissensions internes et la menace du Silence forment une toile de fond crédible, au service d’un récit qui assume sa cohérence plus que son originalité.
Un système composite qui prend forme sans jamais trancher
Songs of Silence repose sur une structure en deux temps : gestion territoriale libre d’un côté, batailles semi-automatisées de l’autre. Entre les deux, une couche de deck-building pensée comme levier tactique. Le résultat est cohérent, mais l’ensemble ne tranche jamais. Il fonctionne. Il tourne. Il reste au seuil.
La carte stratégique, d’abord, impose un rythme rapide. Pas de cases, pas de tours figés : on déplace, on capte, on déploie. Le joueur contrôle ses héros, collecte trois ressources clés et étend son emprise par étapes. L’approche est fluide, lisible, presque élégante. Mais cette souplesse s’accompagne d’un manque de rigueur. Le pathfinding est erratique, la gestion des unités manque de feedback. On s’adapte, mais on ne maîtrise jamais totalement. Chaque action stratégique finit par ressembler à un mouvement d’intention plus qu’à une décision exacte.
Les affrontements s’ouvrent sur une phase de déploiement puis passent en pilotage automatique. Vos troupes avancent seules, engagent, encaissent, tombent. Le joueur reste en périphérie, réduit à jouer ses cartes — buffs, sorts, interruptions — selon ce que le tirage propose. Ce système n’est pas paresseux, mais volontairement distant. Il impose un rapport froid au champ de bataille. Prépare bien, ou regarde perdre.
La mécanique de deck-building s’insère correctement dans cette boucle. Les effets sont lisibles, les cartes ont un poids réel. Mais l’ensemble reste trop sage. On gère un outil, pas un arsenal. Les choix se réduisent vite à une poignée de dominantes. Pas de réelle courbe tactique, pas d’évolution structurelle : ce que vous faites à l’heure une, vous le ferez encore à l’heure dix.
Le jeu ne cherche pas à créer de tension dans l’action. Il cherche l’équilibre global, le tempo stratégique. Et il le trouve — au détriment de l’implication immédiate. Pas d’urgence, pas d’éclats. Juste une mécanique qui déroule, bien huilée, jamais brillante.
Une esthétique de fresque piégée dans son propre cadre
Visuellement, Songs of Silence frappe fort. Pas par la technique, mais par le trait. L’inspiration Art Nouveau est claire, assumée, rigoureuse. Chaque écran se présente comme une illustration, chaque interface comme une gravure. L’ensemble impose une identité graphique rare, immédiatement reconnaissable.
Les factions se distinguent par une palette, une gestuelle, une mise en scène. Le jeu construit une cohérence visuelle qui tient du théâtre figé : rien ne déborde, rien ne trahit. L’univers est cadré, maîtrisé, presque trop propre. Lorsqu’on zoome sur les unités ou les décors, la limite s’impose. Les textures flanchent, les animations deviennent mécaniques, le style s’efface au profit d’un rendu plus brut. L’illusion se fissure, le vernis craque.
En combat, la lisibilité reste correcte, mais la répétition visuelle affaiblit la tension. Les batailles finissent par se ressembler. L’iconographie compense partiellement, mais la mise en scène manque d’impact. Le spectaculaire est retenu. Pas de débordement, pas d’excès. Le système visuel suit la ligne du gameplay : précis, efficace, mais sans fulgurance.
La bande-son, elle, est au-dessus. Composée par Hitoshi Sakimoto, elle porte le jeu à elle seule sur certains segments. Les thèmes orchestraux imposent une gravité immédiate, une respiration ample. Chaque morceau accompagne sans étouffer, renforce sans surligner. Les transitions sont fluides, les montées bien placées, les silences jamais vides.
Les bruitages assurent le minimum syndical. Le fracas des armes, les incantations, les effets de sorts : tout fonctionne, rien ne surprend. Les doublages, rares mais bien posés, injectent un peu de matière aux dialogues sans surjouer. Le mixage est propre. Rien ne déborde. Rien ne marque durablement non plus.
Le jeu trouve sa plus grande cohérence dans cette identité visuelle et sonore : une direction forte, canalisée, jamais trahie. Mais à force de maîtrise, il oublie parfois de frapper.
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