Il est des œuvres que l’on reconnaît d’instinct, dès la première image, dès le premier accord musical, dès le premier pixel. Skautfold: Usurper, fruit solitaire du britannique Steve Gal, appartient à cette caste rare des titres façonnés à la main, où chaque idée semble avoir été taillée dans le marbre d’une obsession intime. Édité par Red Art Games et sorti sur Nintendo Switch le 23 juin 2023, ce Metroidvania gothique est le second volet de la série Skautfold, mais aussi le premier à oser s’aventurer sur console.
Ce que vous tenez entre vos mains n’est pas seulement un jeu indépendant : c’est un cri solitaire, un testament de développeur animé par une foi sans faille dans ses visions. Dans la lignée d’un Symphony of the Night ou d’un Blasphemous, Usurper tente d’apporter sa propre pierre à l’édifice du genre, entre ambition littéraire, austérité esthétique et mécaniques rugueuses.
Mais un homme seul peut-il affronter les titans de la 2D gothique ? À l’heure où tant de productions indépendantes noient leurs prétentions dans des excès de style ou des hommages trop appuyés, Skautfold: Usurper parvient-il à exister par lui-même ? La réponse, vous la trouverez peut-être au sommet de la Citadelle…
Citadelle de l’oubli et spectres du passé
Londres, 1898. Une faille s’ouvre sur le monde. Les événements de Shroud of Sanity ont laissé place à un monde dévasté par les forces d’une Citadelle surnaturelle. L’Impératrice Eleanor, flanquée de ses quatre chevaliers les plus fidèles, tente une ultime percée pour défendre l’humanité. Vous incarnez Waltham, chevalier déchu, ramené à la vie par une entité surnaturelle qui partage désormais votre corps. Possédé, conscient, mais sans repère, vous gravissez les étages de la Citadelle dans l’espoir de défier le Navigateur, être énigmatique en charge du destin de cette forteresse tentaculaire.
Ce qui frappe immédiatement dans l’écriture de Skautfold: Usurper, c’est l’absence presque totale de préambule. L’univers est dense, nourri par des références littéraires et historiques, mais l’introduction est abrupte. Si vous n’avez pas joué au précédent opus, les événements qui ont conduit à votre résurrection demeureront volontairement flous, et c’est un choix assumé. Le jeu se vit comme un fragment, une incantation lancée dans un monde déjà en ruines, et le joueur ne peut qu’en deviner les contours.
Ce parti-pris narratif est à double tranchant : d’un côté, il évoque les silences riches en symboles d’un Dark Souls, où le monde se dévoile lentement, à force d’attention. De l’autre, il crée une distance réelle entre vous et votre avatar, Waltham, qui semble toujours en savoir plus que vous. Le joueur est spectateur d’un univers trop vaste pour lui, étranger à sa propre quête, contraint d’écouter sans comprendre, de lire entre les lignes.
Et pourtant, l’ambiance fait mouche. À travers une galerie de personnages secondaires tour à tour grotesques, tragiques ou flamboyants – dont un jeune Lovecraft accompagné d’un démon – le jeu tisse un imaginaire baroque où la folie se mêle au mythe, et la mort à l’ironie. Le style « chibi macabre » des visages contraste avec la gravité du propos, formant une dissonance visuelle qui étonne mais intrigue.
L’ensemble donne naissance à un univers cohérent, riche et abscons, qui laisse une impression durable. Un monde rongé par ses propres horreurs, où chaque rencontre ressemble à un poème funèbre écrit à la hâte par un scribouillard de la fin du monde.
Un ballet macabre de lames et d’ombres
Dans Skautfold: Usurper, l’ossature de gameplay se découpe en deux éléments essentiels : la gestion d’un large éventail d’armements et l’utilisation d’une mécanique de “garde” que l’on pourrait presque qualifier de signature du jeu. L’expérience commence comme un Metroidvania classique : des salles interconnectées à explorer, des pouvoirs et compétences à débloquer, mais l’ajout de la mécanique de garde apporte une dimension tactique nouvelle et singulière qui sépare Skautfold des autres titres de la même veine.
L’arsenal mis à votre disposition dans Skautfold: Usurper est impressionnant. Pas moins de 90 armes sont disponibles, classées en 15 catégories, de l’épée à deux mains aux dagues, en passant par l’arc et les armes magiques. Chaque arme possède des caractéristiques uniques et demande une adaptation constante à chaque situation. Les armes lourdes, par exemple, infligent de lourds dégâts mais sont lentes, tandis que les dagues nécessitent une approche plus agile, mais infligent moins de dégâts par coup. Ces nuances sont appréciables et ajoutent une certaine variété au gameplay, même si, au final, la mécanique de « garde » reste l’élément clé de l’expérience.
La garde, concept central du jeu, vous permet de bloquer les attaques ennemies et de prendre des coups sans subir de dommage immédiat. Cette jauge de garde se recharge lentement, mais elle peut se remplir instantanément si vous réalisez une esquive parfaite. Plus étonnant encore : en maîtrisant cette mécanique, vous pouvez même renverser le cours d’une bataille, ce qui transforme le jeu en un véritable duel de patience et de précision. L’astuce réside dans l’observation des ennemis, leur timing d’attaque, et la gestion des fenêtres d’esquive. Bien maîtrisée, la garde peut rendre votre personnage pratiquement invincible, tout en vous offrant un sentiment de puissance et de contrôle sur le combat.
Mais, à mesure que vous progressez, une réalité s’impose : Skautfold: Usurper est un jeu au gameplay complexe, difficile à maîtriser. Les sauts sont imprécis, parfois frustrants, et les ennemis ont souvent des patterns qui nécessitent une étude minutieuse pour être combattus efficacement. L’intention est claire : il ne s’agit pas d’un jeu de plateforme agile, mais d’un jeu où chaque mouvement doit être parfaitement contrôlé. Les allers-retours dans le niveau sont fréquents, et la répétition devient vite un facteur d’épuisement. Certains trouveront cet aspect stimulant, mais pour les autres, cela peut devenir une tâche fastidieuse.
D’un point de vue level design, Skautfold: Usurper fait parfois preuve de redondance. Les zones se ressemblent et la structure du jeu manque parfois de diversité, ce qui réduit l’excitation d’explorer de nouvelles régions. Le level design, bien que fonctionnel, pourrait être amélioré pour offrir une plus grande variété dans l’expérience de jeu. Si le jeu se distingue par son atmosphère et ses combats, la progression dans le monde semble être parfois trop linéaire, avec une difficulté croissante qui repose essentiellement sur l’ajustement de vos compétences et de vos réflexes.
L’ombre et la lumière : graphismes et ambiance sonore
Visuellement, Skautfold: Usurper parvient à capturer l’essence d’une époque révolue, mais ne parvient pas à briller autant que d’autres productions contemporaines dans le genre. Les décors, bien que riches en atmosphère, souffrent d’un manque de clarté, particulièrement lorsque l’on s’attarde sur les personnages. Les portraits sont expressifs et dotés d’un design chibi séduisant, mais les sprites des personnages manquent de détails et sont parfois flous, rendant difficile l’identification rapide des différents protagonistes. En dépit de l’univers sombre et gothique, les textures semblent parfois inachevées, ce qui nuit à l’expérience immersive que l’on attend d’un jeu à la direction artistique aussi soignée.
Cependant, malgré ces faiblesses graphiques, l’esthétique générale, inspirée des grands classiques de la PS1 et PS2, parvient à créer une ambiance qui, tout comme Castlevania, parvient à transporter le joueur dans un monde de ténèbres et de créatures mythologiques. Les décors sont variés – citadelles en ruine, forêts obscures et autres lieux malfamés – et malgré leur simplicité, ils contribuent à créer une atmosphère lourde et oppressante, parfaitement en phase avec l’ambiance du jeu.
Sur le plan sonore, Skautfold: Usurper bénéficie d’une bande-son efficace, mais loin d’être mémorable. Les musiques, bien qu’en phase avec l’ambiance gothique, manquent de variation et de profondeur. Elles ne réussissent pas à se démarquer et peuvent rapidement devenir répétitives, ce qui diminue l’impact émotionnel du jeu. En revanche, les effets sonores, tels que les bruits de combats ou les attaques spéciales, sont réussis et contribuent à la dynamique des affrontements. L’absence d’une composition musicale plus variée ou mémorable pourrait laisser les joueurs un peu sur leur faim, surtout ceux qui s’attendent à une expérience immersive à tous les niveaux.
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