Dans l’univers des Dungeon-RPG japonais, rares sont les séries qui peuvent se targuer d’une aussi longue lignée que Shiren the Wanderer. Initiée dans les années 90 et fondatrice du genre “Mystery Dungeon” — que beaucoup d’occidentaux connaissent surtout à travers ses spin-offs Pokémon — la licence de Spike Chunsoft revient enfin avec un sixième opus inédit, treize ans après son dernier épisode original.
Sorti le 27 février 2024 sur Nintendo Switch, Shiren the Wanderer: The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island se veut à la fois un retour aux sources et un hommage à son héritage. C’est également le premier épisode principal développé spécifiquement pour la console hybride, après un simple portage de l’épisode DS (The Tower of Fortune and the Dice of Fate) paru quelques années plus tôt.
Mais le contexte a changé. Le roguelite a évolué. Le Mystery Dungeon aussi. Et malgré la nostalgie que suscite la série, une question s’impose : cet épisode est-il le renouveau attendu d’une licence historique, ou juste un mirage pour fans inconditionnels ?
La légende continue, sans relief nouveau
Avec The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island, Shiren et Koppa reprennent la route dans un scénario inédit, situé chronologiquement entre les opus 3 et 4. Cette décision narrative surprend au premier abord — surtout après le succès du portage de l’opus 5 sur Switch — mais elle permet aux développeurs de retrouver un ton plus traditionnel, ancré dans le folklore japonais, et fidèle à l’esprit de la saga.
Le pitch est simple : hantés par un rêve récurrent, Shiren et son compagnon furet entendent l’appel d’une jeune fille enfermée au cœur d’un monstre géant, sur une île lointaine. Le prétexte est posé, l’aventure peut commencer. Entre la promesse d’un trésor mythique et la libération d’une entité mystérieuse, l’enjeu narratif se veut plus mystique que dramatique. Et il ne décolle jamais vraiment.
Le récit principal reste volontairement effacé, au profit de la structure roguelite. Le jeu mise avant tout sur la multiplicité de petites histoires secondaires : villages de ninjas, batailles de pirates, légendes locales… Des vignettes plus qu’un récit structuré. Sympathiques, parfois bien écrites, mais jamais suffisamment développées pour ancrer durablement un fil rouge émotionnel.
On reconnaît là la patte Spike Chunsoft : une écriture à l’ancienne, simple, accessible, mais qui refuse l’intensité ou le tragique. Le ton est léger, parfois même désuet, comme figé dans un autre temps. Ce qui n’est pas nécessairement un défaut, mais qui tranche avec les standards narratifs actuels, plus denses et investis.
Le plus grand frein reste l’absence de traduction française. Si les textes sont relativement limités par rapport à un JRPG classique, ils n’en sont pas moins essentiels à l’immersion. Et voir un épisode aussi attendu de la licence, intégralement en anglais en 2024, relève d’un manque de considération regrettable. Surtout quand le public ciblé est déjà restreint.
Serpentcoil Island prolonge l’univers de Shiren sans rien en bouleverser. Loin de toute ambition narrative, il se contente d’installer une toile de fond fonctionnelle, mais sans souffle ni ampleur. Un choix assumé, mais qui ne convaincra que les fans les plus indulgents.
Une formule intacte… à la faute près
En matière de gameplay, Shiren the Wanderer: The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island n’innove pas — il conserve. Et c’est à la fois sa force… et sa faiblesse la plus criante.
Le cœur du jeu repose sur une mécanique immuable : exploration de donjons générés procéduralement, système de déplacement case par case, action par action, où chaque mouvement, attaque ou interaction fait avancer le tour d’un cran. Le concept de base reste d’une limpidité redoutable, inchangé depuis les années 90 : vous entrez dans un donjon au niveau 1, sans équipement, et devez survivre jusqu’au sommet… ou périr, et tout perdre.
Chaque run se relance sans amélioration persistante, sans progression passive, ni capacité à renforcer votre village ou augmenter vos statistiques à long terme. Aucun système de méta-progression n’est présent, sinon la possibilité de stocker des objets dans des coffres à condition d’avoir la chance — et les ressources — d’en sortir vivant ou de croiser un PNJ “livreur” à temps. Une philosophie 100 % roguelike, pure et dure, mais cruelle et datée.
Car cette absence d’amortisseur rend le jeu volontairement punitif. Contrairement aux standards modernes du roguelite — qui offrent une forme de montée en puissance transversale (cf. Dead Cells, Hades, Darkest Dungeon) — Serpentcoil Island vous remet systématiquement à zéro, sans concessions. Le défi repose donc quasiment uniquement sur la chance de loot, la prudence, et la connaissance des systèmes.
Ce serait acceptable si Serpentcoil Island apportait, après 13 ans, de vraies évolutions mécaniques. Or ce n’est pas le cas. Pas de nouvelles classes, pas de dynamique stratégique repensée, pas même de confort d’interface modernisé. L’inventaire, la gestion des objets, l’encombrement, le système de faim, le ramassage, l’équipement : tout est repris tel quel du cinquième opus, avec des ajustements cosmétiques à peine perceptibles.
Certes, quelques rares nouveautés existent : l’affichage du nombre d’objets dans l’inventaire et de l’argent sur soi, plus lisible, ou encore une carte plus structurée avec des embranchements entre les donjons au lieu d’un unique escalier vertical. Mais cela reste insuffisant pour masquer l’impression d’un titre figé, presque fainéant dans sa proposition.
Le système de “sauvetage” (où d’autres joueurs peuvent venir vous secourir) pourrait apporter un contrepoids, mais il est trop mal pensé, trop contraignant, trop peu utilisé. La récompense n’est pas à la hauteur de l’effort, et la communauté quasi inexistante rend cette fonctionnalité théorique.
Le level design, quant à lui, reste fidèle à la tradition Mystery Dungeon : biomes variés, pièges planqués, ennemis à comportements spécifiques, et objets mystérieux aux effets parfois dramatiques. Cela fonctionne toujours… mais on aurait espéré plus.
En l’état, Shiren the Wanderer propose exactement la même expérience qu’en 2010, pour le meilleur et surtout pour le pire. Les puristes seront ravis. Les autres auront de bonnes raisons de regarder ailleurs.
Un pas en arrière pour un monde figé
Avec The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island, Spike Chunsoft prend un virage inattendu — et incompréhensible — en matière visuelle. Exit la 2D soignée, expressive et typée qui faisait le charme du précédent épisode. Cette fois, place à une 3D minimaliste et désuète, plus proche d’un titre PlayStation 2 que d’une production Switch de 2024.
Le rendu est propre, fonctionnel… mais froid, plat, sans éclat. Le moteur utilisé donne l’étrange impression d’un portage lointain d’un jeu pensé pour la Nintendo 3DS, avec des textures basiques, des modélisations anguleuses et une absence quasi totale de mise en valeur des environnements. Rien ne semble moderne. Rien ne capte l’œil. Et surtout, rien ne justifie cette transition technologique ratée, là où une 2D retravaillée aurait suffi à préserver l’identité forte de la licence.
Heureusement, la direction artistique rattrape un peu les dégâts. L’île de Serpentcoil, bien que terne techniquement, propose une belle variété de biomes, chacun avec ses codes, ses couleurs, ses ambiances. Forêts de bambous, plages volcaniques, temples en ruines… L’exploration conserve un certain charme grâce à un découpage thématique clair et des transitions bien pensées.
Les animations, elles, sont correctes : les personnages et les monstres disposent d’un éventail de mouvements plus riches qu’auparavant, apportant un minimum de vie à un monde autrement figé. Quelques effets de sort ou d’objet viennent dynamiser l’ensemble, mais cela reste léger, souvent daté.
Sur le plan sonore, le jeu s’en sort mieux. Les musiques, sans être mémorables, sont bien composées, cohérentes avec les atmosphères traversées, et respectueuses du folklore japonais qui inspire la série. Les bruitages, eux, restent classiques mais efficaces, contribuant à l’immersion sans se faire remarquer.
Mais au fond, le sentiment persiste : Serpentcoil Island aurait pu — et dû — être un jeu plus beau, plus audacieux visuellement, plus en phase avec son époque. Ce n’est pas une question de moyens, mais de choix. Et ici, le mauvais a été fait : celui d’abandonner une esthétique forte pour une 3D sans âme.
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