Paru le 18 avril 2017, Shiness: The Lightning Kingdom est un jeu d’action-RPG développé par le défunt studio Enigami, porté à bout de bras par une équipe française passionnée mais inexpérimentée. Prometteur sur le papier, soutenu par un financement participatif, le projet a su séduire par sa direction artistique séduisante et son ambition débordante. Mais l’ambition ne fait pas un bon jeu. Et à trop vouloir tout faire, Shiness finit par tout éparpiller.
Entre combats confus, écriture opaque et mécaniques superposées, le titre se révèle être un concentré de bonnes intentions mal maîtrisées, porté par un univers foisonnant mais jamais digéré. Une œuvre sincère, sans filtre ni recul, dont chaque atout semble aussi vite sabordé qu’introduit. Retour sur un mirage vidéoludique aussi fascinant qu’irritant.
Trop de monde pour un seul monde
L’univers de Shiness: The Lightning Kingdom est dense. Excessivement dense. Dès les premières minutes, le jeu vous assène des dizaines de noms, de peuples, de lieux, de concepts originaux, sans jamais prendre le temps de les contextualiser. Vous incarnez Chado, un jeune Waki, accompagné de son esprit tutélaire Shiness, dans un monde fragmenté par la guerre, parcouru de tensions géopolitiques complexes et peuplé de races anthropomorphes aux noms imprononçables. En théorie, tout cela est prometteur. En pratique, c’est étouffant.
Le jeu multiplie les termes exotiques — Shelk, Waki, Adorya, Kimpao, Maherian, etc. — sans jamais offrir de repères narratifs clairs. Aucune phase d’exposition progressive, aucun glossaire intégré, aucun système d’annotation ne vient aider le joueur à s’orienter dans cette encyclopédie brute. On se retrouve rapidement à avancer en diagonale, détaché des enjeux, faute de pouvoir en comprendre la structure.
Et c’est dommage, car le lore semble travaillé, l’univers pensé avec cohérence, le tout soutenu par une langue fictive intégralement inventée, y compris pour les doublages et certaines chansons. Une richesse linguistique et culturelle admirable, mais qui aurait mérité d’être distillée, pas déversée.
Quant au scénario lui-même, il repose sur une structure archétypale vue mille fois : la guerre menace d’engloutir le royaume, un groupe de héros marginaux doit renverser l’ordre établi, et seuls les liens d’amitié peuvent sauver le monde. Une base simple qui aurait pu fonctionner si elle n’était pas constamment interrompue par un humour bancal, mal rythmé, qui désamorce toute tentative dramatique sans jamais vraiment faire mouche.
Les personnages, bien que visuellement distincts et animés par des intentions sincères, manquent de profondeur psychologique. Ils existent en surface, définis par une posture ou une gimmick, mais ne s’incarnent jamais pleinement. On peine à s’attacher à eux, non par rejet, mais parce que le jeu ne nous laisse pas respirer assez longtemps avec eux pour qu’ils deviennent familiers.
À trop vouloir raconter, Enigami oublie de construire. L’univers foisonne, mais il n’existe pas. Il est là, partout, et donc nulle part.
Un système éclaté sous son propre poids
Shiness: The Lightning Kingdom ne manque pas de références. Ses mécaniques de combat évoquent les affrontements en arène d’un Tales of Xillia, ses éléments de gameplay rappellent les systèmes de chakra ou de ki d’un Magna Carta, et certaines séquences d’aventure semblent calquées sur le rythme de progression d’un Solatorobo. Malheureusement, ces influences ne fusionnent jamais. Elles coexistent, mal assemblées, comme si chaque partie du jeu avait été pensée indépendamment des autres.
Le système de combat, en apparence nerveux, s’effondre rapidement sous une surcharge de commandes, d’enchaînements, de mécaniques élémentaires et de coups spéciaux. Chaque personnage possède un style de jeu radicalement différent, avec ses propres priorités, rendant la transition d’un héros à l’autre contre-productive. Et si l’intention est louable — donner de la profondeur — la mise en œuvre est désastreuse. Les affrontements deviennent confus, brouillons, plombés par une caméra catastrophique, un ciblage capricieux et des hitboxes incohérentes.
Pire encore, le déséquilibre global du système pousse à l’abus. Une seule technique — le coup de pied tournoyant de Chado — suffit à désintégrer la majorité des ennemis, y compris certains boss, grâce à sa portée, sa rapidité et ses dégâts disproportionnés. Tout effort de build ou de stratégie devient alors superflu : le jeu récompense le bourrinage mécanique plutôt que la maîtrise.
Hors des combats, le constat n’est pas plus réjouissant. Shiness multiplie les idées sans jamais les finaliser. Phases de plateforme rigides, contrôles flottants, sauts imprécis, collision hasardeuse : tout ce qui relève de l’exploration semble inachevé. Le jeu essaie d’alterner exploration, énigmes, affrontements, sans jamais trouver de rythme. Tout est là, mais rien ne fonctionne pleinement.
Le level design, quant à lui, illustre une vision typiquement “jeu vidéo” de l’espace : chaque zone est conçue pour déclencher une mécanique précise ou mettre en valeur une capacité spécifique, au détriment total de la cohérence diégétique. Pourquoi un village est-il structuré en plateforme suspendue au-dessus du vide ? Pourquoi faut-il activer trois orbes magiques pour ouvrir une simple porte en bois ? Réponse : parce que cela crée du contenu. Mais jamais parce que cela a du sens.
Il est évident qu’Enigami voulait livrer un RPG complet : avec des donjons, des secrets, des zones à revisiter, des puzzles environnementaux, un système de magie, des factions, des compétences passives… Mais sans trame directrice, le jeu se dilue dans ses propres ambitions.
Shiness ne manque pas d’idées. Il manque d’édition, de hiérarchisation, et surtout d’un vrai directeur de jeu capable de dire non. Le résultat, c’est un A-RPG passionné mais fracturé, dont les mécaniques s’annulent mutuellement au lieu de se soutenir.
L’éclat des images, la force des sons
S’il est un domaine où Shiness: The Lightning Kingdom parvient à imposer sa patte sans réserve, c’est bien dans sa direction artistique. Visuellement, le titre est un petit bijou d’inventivité pour un projet indépendant. Le Cell Shading, maîtrisé avec justesse, donne vie à des environnements lumineux, vastes, richement colorés, qui évoquent autant le style de l’animation japonaise que celui de la bande dessinée européenne.
L’univers regorge de détails visuels — architecture hybride, faune imaginative, diversité ethnique des races — qui témoignent d’un monde pensé dans ses moindres recoins, même si l’interface et l’ergonomie générale n’exploitent jamais vraiment cette richesse. Chaque nouvelle zone, chaque village suspendu ou ruine en lévitation, est un plaisir pour l’œil, malgré des limitations techniques visibles : textures datées, animations faciales rigides, cutscenes parfois figées. Mais pour un jeu de 2017 développé par une équipe réduite, le niveau d’exécution est remarquable.
En revanche, qualifier la direction artistique de « manga », comme le fait la communication officielle, est inexact. Shiness emprunte des codes esthétiques au Japon, oui — mais les filtre à travers une culture franco-belge bien plus tangible, ce qui lui donne un charme atypique mais aussi une identité moins lisible à l’international.
Mais c’est surtout la bande-son qui surprend par sa qualité. Les compositions de Hiroki Kikuta (compositeur de Secret of Mana) apportent une chaleur et une mélodie rare, à la fois épiques, contemplatives et organiques. Chaque morceau soutient avec élégance les ambiances de terrain, de combat ou de cinématique, sans jamais lasser. C’est une musique qui raconte, qui prolonge la narration, et qui mérite d’être écoutée hors du jeu.
Plus encore, Enigami pousse le soin jusqu’à concevoir une langue fictive complète, parlée dans les doublages et chantée dans certaines pistes musicales. Ce choix audacieux, quoique déroutant, apporte une cohérence linguistique et culturelle à un monde déjà foisonnant. Un effort rare dans une production de cette envergure, et qui témoigne d’une volonté sincère d’immersion — même si, comme tout dans Shiness, l’excès d’ambition peut se retourner contre lui.
Techniquement, le jeu reste fluide, stable, sans bugs majeurs ni ralentissements notables sur Xbox Series. Il conserve toutefois les limitations de son moteur d’origine, hérité de la génération précédente, et ne propose aucune amélioration spécifique ni refonte HD.
Un monde trop vaste pour son propre squelette
Derrière sa générosité formelle, Shiness: The Lightning Kingdom reste marqué par les contraintes de son époque et de sa structure de production. Développé par une petite équipe, financé en partie via Kickstarter, le jeu n’a jamais eu les moyens de ses ambitions — et cela se ressent à tous les niveaux périphériques.
La maniabilité générale, en dehors des combats, est inégale. La caméra reste capricieuse, parfois bloquée dans les angles, parfois trop lente à suivre l’action. Les sauts sont flottants, l’inertie étrange, et l’ensemble donne la sensation d’un moteur d’exploration bricolé, où chaque saut semble relever plus du hasard que de la maîtrise.
Les phases de plateforme, très présentes, constituent sans doute la partie la moins aboutie du jeu. Elles souffrent d’une précision catastrophique, de placements douteux, et de feedbacks sonores ou visuels absents. On avance à l’aveugle, dans des environnements pourtant magnifiques, mais vides de lisibilité ludique.
Le rythme de progression, quant à lui, est cassé par des pics de difficulté inexplicables, des boss mal équilibrés et des passages où l’unique solution est de “grinder” jusqu’à l’épuisement. Ce qui aurait pu être une aventure fluide devient parfois un enchaînement de pics et de creux, où l’on avance par à-coups, porté plus par la curiosité du décor que par le plaisir du jeu.
Enfin, le jeu n’a jamais bénéficié de patchs de contenu majeurs, ni de mises à jour correctives significatives. En l’état, l’expérience reste celle de 2017, avec tous les défauts non résolus d’un premier jet trop ambitieux. Aucune compatibilité optimisée pour Xbox Series, aucun lissage des textures, aucun ajout de confort : le portage est brut, presque archivé tel quel.
Il reste malgré tout, dans Shiness, une sincérité de geste, une envie de bien faire. Ce n’est pas un jeu cynique. C’est une œuvre sincère, imparfaite, parfois douloureuse, mais toujours honnête. Et cela, aussi, mérite d’être souligné.
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