Avec Shadows of Doubt, ColePowered Games propose une plongée ambitieuse dans un univers rétro-futuriste dystopique, où la ville devient un labyrinthe vivant et chaque citoyen une pièce d’un puzzle procédural. Sorti en septembre 2024 sur Xbox Series X|S, PlayStation 5 et PC, le titre promettait une expérience d’enquête immersive et sans contraintes, mêlant exploration totale et libertés méthodiques.
Mais sous cette ambition démesurée se cache une question : cette utopie du détective virtuel parvient-elle à tenir ses promesses, ou se perd-elle dans l’océan de ses propres systèmes ?
Un détective sans nom dans une ville sans fin
Dans Shadows of Doubt, vous incarnez un détective privé anonyme, livré à lui-même dans une mégalopole générée procéduralement. Ici, pas de campagne scénarisée, ni de protagoniste doté d’un passé riche : le joueur est volontairement réduit à un simple rouage d’un système où les habitants, leurs routines et leurs crimes forment un théâtre permanent.
Ce choix narratif radical mise tout sur l’immersion sandbox. Chaque citoyen a un emploi, une adresse, des habitudes quotidiennes, et devient potentiellement une victime, un suspect ou un témoin. Le monde semble vivre indépendamment de votre présence, donnant l’impression d’un écosystème autonome.
Mais cette absence de fil rouge a un prix. L’absence de véritables arcs narratifs ou d’interactions significatives entre le détective et les habitants finit par vider la ville de substance émotionnelle. Les dialogues, limités à des échanges utilitaires, se répètent vite et réduisent ces milliers de citoyens à des silhouettes procédurales sans âme. Ce choix assumé d’une narration minimale sert l’illusion de liberté, mais prive le joueur d’un ancrage scénaristique qui aurait pu rendre chaque enquête plus viscérale.
Une enquête à ciel ouvert entre génie procédural et frustrations mécaniques
Le cœur de Shadows of Doubt repose sur une promesse ambitieuse : laisser le joueur évoluer dans une ville tentaculaire où chaque appartement peut être fouillé, chaque habitant interrogé, et chaque crime élucidé selon une infinité d’approches. Le gameplay mêle exploration libre, collecte d’indices et déduction méthodique, le tout articulé autour d’un tableau d’enquête où vous reliez suspects, témoins et preuves pour reconstituer la vérité.
À première vue, cette liberté est grisante. Vous pouvez forcer des serrures, intercepter des communications, poser des pièges ou espionner des citoyens dans l’ombre d’un immeuble crasseux. La moindre empreinte digitale ou ticket de caisse peut devenir une pièce centrale d’un puzzle complexe. Mais cette richesse procédurale révèle vite ses limites : les enquêtes se répètent, les indices se ressemblent d’un crime à l’autre, et les scènes de crime perdent leur singularité au fil des heures.
La mécanique des implants cybernétiques ajoute une couche de personnalisation appréciable. Sauter depuis un toit sans se briser les jambes, convaincre un témoin réticent ou pirater des systèmes de sécurité transforme la manière d’aborder une enquête. Mais leur acquisition aléatoire et la pauvreté des options d’équipement finissent par restreindre l’impact stratégique de ce système.
Sur Xbox Series X|S, les ambitions du jeu se heurtent à des contraintes techniques. La navigation à la manette manque de précision : sélectionner des éléments sur le tableau d’enquête, fouiller des pièces ou scanner des indices devient laborieux. Dans un titre où chaque seconde compte, cette lourdeur mécanique peut transformer une enquête captivante en une succession de frustrations.
Un cauchemar néon entre brume et synthétiseurs
Shadows of Doubt réussit à imposer une identité visuelle forte grâce à son esthétique rétro-futuriste. La ville, entièrement générée procéduralement, déploie un dédale de rues pluvieuses, d’immeubles crasseux et de néons crépitants qui rappellent les visions dystopiques des années 80. Chaque appartement exploré, chaque bureau poussiéreux et chaque recoin d’égout respire une authenticité froide, accentuée par une météo capricieuse et des éclairages oppressants.
Pourtant, cette ambition visuelle est tempérée par des limites techniques. Sur Xbox Series X|S, les environnements souffrent de ralentissements occasionnels et d’un aliasing prononcé dans les zones les plus denses. Les intérieurs, bien qu’innombrables, finissent par révéler des modèles répétitifs, trahissant la nature procédurale du monde.
La bande-son, en revanche, porte l’expérience avec brio. Composée de nappes de synthétiseurs sombres et de basses vrombissantes, elle enveloppe le joueur dans une atmosphère hypnotique à la croisée de Blade Runner et des thrillers cyberpunk. Les bruitages — gouttes d’eau, grincements de portes, bourdonnements d’ordinateurs — enrichissent cette immersion sonore, créant une tension permanente lors des phases d’exploration.
Seul bémol : les voix et dialogues, qui manquent de variété et deviennent rapidement répétitifs. Ce manque de diversité verbale fragilise la crédibilité des citoyens censés donner vie à la ville.
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