Développé par Crea-ture Studios et édité par Nacon, Session: Skate Sim est sorti pour la première fois en septembre 2019 sur PC et consoles. Après plusieurs années d’ajustements techniques et d’évolutions de gameplay, le simulateur de skate arrive finalement sur Nintendo Switch dans une version qui prétend conjuguer la rigueur de la simulation à la souplesse de la portabilité.
Mais cette descente technique en terrain contraint laisse-t-elle intacte la philosophie exigeante du jeu, ou transforme-t-elle l’élan en chute ralentie ?
Une légende sans visage et un décor sans récit
Session: Skate Sim n’essaie jamais de raconter une histoire. Vous n’incarnez pas un champion déchu, un prodige en devenir ou un punk désœuvré en quête de reconnaissance. Vous créez un avatar sans identité, un prétexte de chair pour projeter votre style et vos tentatives sur les bancs de New York ou de Philadelphie. Le jeu vous propose de choisir un modèle parmi une sélection maigre de visages, de coupes de cheveux et de tenues sans fantaisie. L’essentiel est ailleurs, et l’habillage narratif tient du strict minimum fonctionnel.
Il n’y a pas de mise en scène, pas de cinématique, pas d’ancrage scénaristique. Session vous propulse dans un monde existant déjà, peuplé de PNJ figés et de boutiques symboliques, sans autre ambition que de vous laisser rouler librement. L’illusion d’un cadre urbain vivant est rapidement dissipée. Les villes sont des terrains d’essai, les passants des décors, et les interactions se limitent à des quêtes mécaniques, livrées par des silhouettes sans voix ni mémoire.
Même les lieux, pourtant nombreux, ne racontent rien. Les spots sont réels, parfois mythiques, mais sans contextualisation, sans historique, sans cette trace documentaire ou sensible que la discipline du skate porte pourtant en elle. Il n’y a ni communauté, ni traces du passé, ni tension narrative dans la progression. Pas d’émotion, pas d’ambition dramatique, juste un enchaînement de défis à cocher.
L’univers de Session reste donc en surface, comme si le jeu ne voulait surtout pas alourdir son exigence mécanique par une quelconque volonté de fiction. Un choix assumé, mais qui le prive d’une dimension essentielle : celle du mythe, celle de la légende urbaine qui transforme une rampe en histoire et un trick en témoignage.
Une planche entre science et douleur
Session: Skate Sim ne se joue pas. Il s’apprend. Là où tant d’autres titres de skateboard flattent l’instantanéité et le spectaculaire, Session choisit l’angle opposé : celui de l’inertie, du poids, de l’approximation maîtrisée. Vous ne réalisez pas un trick, vous construisez un mouvement. Et chaque geste devient une équation, une tension entre deux sticks qui miment les pieds, entre deux gâchettes qui déplacent la caméra. L’analogique remplace le réflexe, et le style émerge du contrôle, pas de l’impulsion.
Le jeu repose sur une cartographie radicale : stick gauche pour le pied avant, stick droit pour le pied arrière. Le ollie, figure de base, réclame déjà deux temps : charger la pression sur l’un, libérer la poussée avec l’autre. Tout est là. Tout est logique. Et tout est, au départ, déroutant. Même descendre de sa planche devient une décision consciente. L’élan est un calcul. La courbe, un engagement.
Mais une fois ces logiques assimilées – après plusieurs heures de heurts, de lenteurs, d’incompréhension méthodique – quelque chose se débloque. Le gameplay devient fluide, tactile, d’une cohérence presque troublante. L’abstraction laisse place à une forme d’instinct. Vous sentez la planche. Vous anticipez les rebonds. Vous composez vos lignes non plus pour réussir, mais pour les sentir justes.
L’environnement n’est pas ouvert à la manière d’un monde libre, mais morcelé en cartes accessibles par un système de transport. Une quarantaine de spots répartis dans trois villes : New York, Philadelphie, San Francisco. Chacun offre ses reliefs, ses marches, ses rampes, ses creux. Vous êtes libre d’explorer, de répéter, de construire vos propres défis. Aucun chrono, aucune contrainte. Le monde est une aire d’essai.
Les missions secondaires, confiées par des PNJ ou apparaissant sous forme d’objectifs, poussent à la précision. Mais ici, pas d’indicateur dynamique : le jeu vous dit « fais un manual et termine par un trick », et vous laisse vous souvenir du comment. Le jeu ne tient pas la main, il vous pousse dans la rampe.
Le système de housing, quant à lui, permet de redessiner les lieux : déplacer des modules, ajouter des obstacles, inventer ses propres lignes. Même en pleine rue. Une vraie réussite, modeste mais puissante, qui prolonge l’acte de création au-delà du corps, dans l’espace.
Mais cette exigence a ses angles morts. La liste des tricks est incomplète. Le tutoriel ne peut pas être relancé. Et certaines mécaniques restent opaques si vous n’êtes pas prêts à plonger dans les menus ou les forums. Session récompense l’acharnement. Mais il ne pardonne pas l’hésitation.
Un monde qui glisse sur le regard
La version Nintendo Switch de Session: Skate Sim est un paradoxe mobile : un moteur exigeant, transplanté dans un écrin modeste, sacrifiant l’apparence pour préserver l’expérience. Le premier choc visuel est brutal. Les modèles de personnages sont flous, les artefacts graphiques nombreux, et les textures baveuses ne laissent aucun doute sur les concessions techniques opérées. Les surfaces vibrent, les ombres se fragmentent, l’aliasing ruisselle sur chaque mur.
L’environnement urbain, déjà sobre sur les autres supports, devient ici pâle, vide, désincarné. Pas d’ambiance lumineuse soignée, pas de vie urbaine. Les rues sont muettes, les passants décoratifs, les boutiques fermées sur elles-mêmes. Le monde existe, mais il n’habite pas l’écran. Tout semble suspendu, comme figé dans une carte postale inachevée.
Et pourtant, malgré ce minimalisme aride, un miracle discret opère : le jeu reste fluide. Aucun ralentissement. Aucun gel. Même sur les cartes les plus vastes, même en mode portable, Session conserve une stabilité constante, rare sur Switch pour un titre aussi lourd techniquement. Les développeurs ont préféré la jouabilité à l’esthétique. Et ce choix, s’il choque d’abord, finit par convaincre.
Mieux encore : Session vous propose des options graphiques internes, rares sur cette plateforme. Ajout de PNJ passifs, ajustement de la densité des éléments visuels, désactivation d’effets pour gagner en lisibilité. Cette modularité rend possible un compromis personnel entre lisibilité et immersion. Vous n’ajustez pas un jeu, vous modelez votre version.
La bande-son, elle, remplit son rôle sans éclat. Quelques morceaux bien choisis viennent ponctuer les sessions, avec ce mélange de hip-hop, de rock lo-fi et de beats feutrés typique de la culture skate. Rien de marquant, rien de raté. Une ambiance de fond, plus utilitaire que galvanisante.
Pas de doublage, peu de bruitages contextuels. Les roues ne chantent pas. Les grinds ne crissent pas. Le son ne vibre pas dans la rue. L’environnement acoustique reste sous-mixé, comme si le silence devait souligner la concentration. Un choix cohérent, mais qui prive le jeu d’un supplément d’âme.
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