Il s’avance en bondissant, le regard bravache et la mâchoire carrée, comme échappé d’un pixel jauni des années 90. Risky Chronicles and the Curse of Destiny, développé par Consulog, entend ressusciter l’âge d’or du jeu de plateforme à travers une fresque bondissante pleine de pièges rouillés, de temples secrets et de boss aux gros sourcils. Sorti sur Nintendo Switch en avril 2024, ce projet rétro-nostalgique prend racine dans les souvenirs poussiéreux de Rick Dangerous ou Pitfall, en y greffant quelques ambitions modernes.
Mais si l’amour des vieux codes est palpable, il peine à ranimer l’étincelle. Derrière les ruines exotiques, les pièges mécaniques et les roulades acrobatiques, quelque chose résiste. Une maladresse structurelle, un décalage générationnel, une copie d’époque sans son grain d’âme. La promesse d’un retour triomphal se transforme peu à peu en parcours du combattant, où chaque idée se heurte à sa propre exécution. Alors, que reste-t-il de cette quête aux accents rétro ? Une aventure pleine de bonne volonté, certes… mais qui trébuche avant même le premier totem.
Les grimoires poussiéreux d’un scénario sans voix
Le monde de Risky Chronicles and the Curse of Destiny s’ouvre comme un vieux parchemin froissé : un héros sans passé, une malédiction ancestrale, des artefacts à rassembler… et puis, le vide. Vous incarnez Risky, archétype de l’explorateur solitaire lancé dans une chasse aux reliques mystiques, censée lever une énigmatique malédiction. Le point de départ aurait pu évoquer les grandes heures de l’aventure pulp, entre humour second degré et péril exotique. Il n’en retient finalement qu’un canevas fatigué.
Aucune mise en contexte ne vous est donnée. Aucune introduction scénarisée ne balise les premiers pas. Risky surgit à l’écran, équipé et déjà prêt à sauter, sans parole, sans motivation exposée, sans raison tangible de se lancer dans son périple. Les dialogues sont inexistants, les écrans de transition mutiques, et les rares tentatives d’humour se résument à quelques animations ou éléments visuels datés, incapables de provoquer autre chose qu’un haussement d’épaules.
Chaque décor — qu’il s’agisse de pyramides antiques, de manoirs hantés ou d’usines rouillées — aurait pu s’accompagner d’un fragment narratif, d’un mystère, d’un détail qui enrichit l’univers. Il n’en est rien. L’enchaînement des niveaux se fait mécaniquement, sans lien apparent, comme si le jeu compilait des hommages sans chercher à construire un monde cohérent. Même les ennemis et boss semblent surgir du néant, animés par des routines basiques, sans nom ni fonction dans le récit.
Les boss de fin de monde, d’ailleurs, auraient pu redonner un peu de souffle dramatique. Leur mise en scène visuelle, certes soignée, ne masque pas leur inertie mécanique : patterns simplistes, IA statique, impact ludique minimal. Ces affrontements se déroulent sans tension, sans enjeu, et surtout sans aucune montée narrative. On les traverse, on les coche, et on passe à la suite, en oubliant leur existence à peine l’écran éteint.
Dans sa volonté d’émuler les jeux de plateforme de l’époque 16 bits, Risky Chronicles s’inspire des plus génériques. Il reprend le squelette d’un certain passé vidéoludique, mais sans y injecter le souffle narratif ou l’autodérision qui permettrait d’actualiser la formule. Le silence du jeu, loin d’être un choix artistique, devient une carence : il n’y a pas d’histoire à vivre, juste un décor à traverser.
La mémoire qui trébuche et les pièges qui grincent
À première vue, Risky Chronicles and the Curse of Destiny semble vouloir célébrer les souvenirs du joueur plateformeur : des sauts au bord du précipice, des énigmes mécaniques, des véhicules délirants, des pièges alignés au pixel près. Le jeu alterne entre phases en 2D classiques et séquences en fausse 3D à la Space Harrier, ajoutant des courses à moto, des fuites sur des chariots, des descentes aquatiques. L’intention est claire : offrir un rythme soutenu, une diversité de gameplay, et un déferlement de nostalgie.
Mais ce que l’on retient surtout, c’est une inertie globale dans l’exécution. Les niveaux sont piégeux, oui, mais rarement bien conçus. Les hitbox hasardeuses sabotent toute tentative de maîtrise, transformant l’apprentissage en supplice. Un saut réussi devient un hasard, un ennemi évité, un coup de chance. La difficulté, mal calibrée dès le premier écran, évoque plus le chaos que l’exigence. Il ne s’agit pas ici d’un défi stimulant, mais d’un parcours semé d’obstacles dont les règles fluctuent à chaque instant.
Le joueur dispose d’un nombre de vies limité. Les checkpoints sont rares. Et chaque erreur — souvent liée à un détail visuel ambigu, une plateforme glissante ou une collision imprécise — oblige à tout recommencer. Loin de convoquer le plaisir punitif d’un Celeste ou d’un Super Meat Boy, Risky Chronicles propose un die & retry désordonné, où le game design ne suit pas la rigueur nécessaire pour équilibrer l’effort et la récompense.
Les gadgets de Risky, censés varier les approches, se limitent à des variations de projectile ou de vitesse. La moto file droit, la torpille zigzague, la roulade évite les pics… mais ces mécaniques, plutôt que de renouveler l’expérience, l’alourdissent par leur manque de précision et leur faible intégration aux niveaux. Chaque séquence spectaculaire devient ainsi une épreuve de patience plus qu’un moment d’adrénaline.
La structure des niveaux, en dépit de leur variété esthétique, obéit à une logique répétitive : avancer, éviter, mourir, recommencer. Aucun level design ne surprend par sa construction, aucun puzzle ne stimule la réflexion, aucun moment ne bouleverse le rythme. Le gameplay s’ancre dans une routine de contraintes mal domptées, où la frustration prend vite le pas sur la curiosité.
Risky Chronicles ne manque pas de bonne volonté. Il tente des choses. Il empile des idées. Il multiplie les clins d’œil. Mais il oublie l’essentiel : dans un jeu de plateforme, chaque saut doit être un acte de confiance. Ici, c’est souvent un pari malheureux.
Les mirages colorés d’une époque révolue
Dans ses meilleurs instants, Risky Chronicles and the Curse of Destiny ressemble à une carte postale délavée des années 90. Les décors, aux couleurs vives et aux contours volontairement exagérés, tentent d’évoquer les classiques de la Super Nintendo ou de la Mega Drive. Chaque monde — temple aztèque, maison hantée, désert brûlant, usine mécanique — bénéficie d’un traitement visuel soigné dans sa composition statique. La palette de couleurs fonctionne, les arrière-plans fourmillent de détails, et certains panoramas dégagent même un charme désuet assumé.
Mais cet éclat superficiel cède rapidement sous le poids de ses limites techniques. Les animations, réduites à l’essentiel, trahissent une économie de moyens criante. Risky ne bouge qu’à travers deux ou trois trames, les ennemis se répètent jusqu’à l’absurde, et les boss recyclent leurs mouvements sans ambition. L’œil repère vite les doublons, les boucles grossières, et cette absence de fluidité finit par rendre chaque déplacement rigide, presque mécanique. Le dynamisme espéré est étouffé par la raideur de l’ensemble.
La direction artistique souffre également d’un manque d’identité forte. Chaque zone évoque un lieu connu, mais aucune ne se distingue réellement. L’univers, bien qu’hétéroclite, semble assemblé comme un collage de clichés visuels sans liant esthétique. Les effets de lumière, les transitions, les menus — tout manque d’unité et de finition, comme si chaque niveau avait été développé séparément, puis regroupé sans vernis global.
La bande-son, en revanche, se démarque avec netteté. Les compositions musicales, sans révolutionner le genre, accompagnent l’action avec justesse. Chaque ambiance possède sa propre tonalité : percussions tribales dans les jungles anciennes, nappes synthétiques dans les zones mécaniques, claviers mélancoliques dans les environnements hantés. L’équilibre entre hommage rétro et clarté moderne y est bien mieux maîtrisé que dans la partie visuelle. Et même si les morceaux tendent à se répéter en boucle, ils parviennent à maintenir une atmosphère agréable, parfois même envoûtante.
Les bruitages, eux, remplissent leur fonction sans éclat : explosions sourdes, bonds feutrés, impacts métalliques. Rien de marquant, mais rien de dissonant non plus. On regrette toutefois l’absence de voix, de cris, d’effets dynamiques, qui auraient pu renforcer la personnalité du héros et l’intensité de certains moments.
Au final, Risky Chronicles propose un enrobage nostalgique qui capte la forme des anciens sans en raviver l’âme. Il y a de la couleur, du rythme, quelques mélodies entêtantes… mais trop peu d’originalité ou de soin pour marquer durablement la rétine ou l’oreille.
0 commentaires