Développé par Abbey Games et édité par Firesquid, Reus 2 débarque sur Nintendo Switch avec la même ambition titanesque que son aîné : vous placer dans la peau d’êtres cosmiques capables de modeler la vie, la terre et les civilisations à leur image. Héritier direct du premier Reus, ce second chapitre transforme la planète en terrain d’expérimentation divine, où chaque décision, chaque souffle, chaque élan créatif façonne un équilibre fragile entre nature et humanité.
Dans cette nouvelle itération, la lenteur méditative du premier épisode cède la place à une dynamique plus fluide, où la réflexion stratégique épouse désormais un sens du rythme et de la beauté organique rarement vu dans le genre.
Mais au-delà de la fascination visuelle et de la promesse d’un monde vivant, Reus 2 parvient-il réellement à donner un sens à la toute-puissance ? Ou n’est-il qu’un rêve de dieu perdu dans sa propre création ?
La mémoire des mondes
Reus 2 ne raconte pas une histoire au sens classique du terme. Ici, pas de héros, pas de quête ni de dialogues : seulement le murmure du temps et la trace de vos choix gravés dans la terre. Chaque partie devient une chronologie miniature, une succession d’ères où les civilisations naissent, prospèrent, déclinent et disparaissent sous votre regard divin. Ce que le jeu appelle « scénario » n’est en réalité qu’un prétexte à la contemplation du vivant, une invitation à observer la fragilité des mondes que l’on prétend maîtriser.
Le cœur narratif repose sur les géants, ces colosses élémentaires qui façonnent la planète selon leur nature : l’Océan, la Forêt, la Montagne, le Marais. Chacun d’eux incarne une forme de volonté primitive, un souffle créateur qui exprime autant la puissance de la vie que sa limite. Ensemble, ils tissent une histoire sans mots, faite de rythmes, de cycles et de contrastes. Abbey Games transforme ainsi le mythe de la création en un ballet silencieux où chaque geste divin est un acte de narration.
Là où le premier Reus évoquait la découverte, Reus 2 y ajoute la mémoire. Le jeu garde la trace de vos mondes précédents, de leurs succès comme de leurs échecs, et construit peu à peu une mythologie personnelle. Vos anciennes civilisations deviennent des légendes, des fragments d’un récit cosmique que vous seul pouvez relier. Cette approche confère au jeu une profondeur rare : vous ne jouez plus seulement à créer, mais à comprendre ce que la création vous dit de vous-même.
Et derrière cette apparente sérénité, une tension demeure. Chaque monde vous rappelle que toute puissance divine porte en elle une part d’imperfection : donner la vie, c’est aussi condamner à la perte. Dans Reus 2, le drame n’est pas raconté ; il se devine dans le silence entre deux battements de planète.
Le tisseur d’écosystèmes
Reus 2 transforme la création du monde en un rituel aussi majestueux que déroutant. Le principe semble simple : modeler une planète, invoquer des géants, et guider la vie jusqu’à l’équilibre. En pratique, chaque geste compte, chaque erreur se paie. Abbey Games a troqué la rigueur sèche du premier opus contre une structure plus fluide, presque contemplative; mais ce relâchement s’accompagne d’une complexité qui frôle l’opacité. Là où l’on attendait une évolution du concept, on découvre un labyrinthe de mécaniques qui fascine autant qu’il épuise.
La boucle de jeu conserve pourtant une beauté rare. L’enchaînement création-réaction-conséquence garde cette musicalité propre à la série : on plante, on observe, on rectifie, jusqu’à trouver la respiration idéale de son monde. Le plaisir vient de cette alchimie fragile, de ces micro-équilibres qu’on arrache au chaos, de ces civilisations qu’on voit s’élever avant de s’effondrer par excès d’avidité. Mais cette perfection organique se mérite. Les menus restent denses, les interactions multiples, et la moindre synergie manquée peut réduire des heures d’efforts à néant.
Sur Switch, la transposition impressionne autant qu’elle agace. Le studio a su préserver la lisibilité générale et la fluidité du cycle planétaire, mais certaines manipulations perdent en précision : sélectionner, déplacer ou moduler un biome exige parfois plus d’attention qu’il n’en faudrait. Les contrôles analogiques peinent à restituer la finesse stratégique que la souris rendait instinctive. Ce défaut ne brise pas l’expérience, mais il la rend moins méditative, plus mécanique, surtout sur de longues sessions.
Malgré cela, Reus 2 conserve une force d’attraction indéniable. C’est un jeu qui vous apprend à échouer avec grâce, à recommencer sans amertume, à voir dans chaque effondrement une nouvelle chance d’harmonie. Mais derrière cette philosophie du recommencement, on devine aussi une certaine fatigue : celle d’un système si riche qu’il finit par se refermer sur lui-même. Le génie d’Abbey Games, c’est d’avoir su construire un écosystème cohérent ; sa faiblesse, c’est de vous y perdre jusqu’à l’épuisement.
La beauté des cycles
Visuellement, Reus 2 surprend par sa sobriété. Abbey Games abandonne les textures grossières du premier opus pour une direction artistique plus fine, presque picturale. Chaque biome respire, chaque transformation du sol semble peinte à la main, et la lumière agit comme un instrument de narration. L’ensemble évoque un conte cosmique animé, calme et harmonieux. Mais derrière cette élégance se cache une retenue qui divise : la lisibilité y gagne, la personnalité y perd.
Le style graphique, plus lisse, plus sage, gomme une partie du charme rugueux du jeu originel. Le monde paraît parfois trop parfait, trop contrôlé, comme si la beauté avait pris le pas sur la vitalité. On admire les couleurs, on apprécie la clarté, mais on ne ressent plus tout à fait la même impression de force tellurique. C’est là la dualité de Reus 2 : un jeu sublime à contempler, mais qui peine à imposer une identité visuelle aussi marquante qu’autrefois.
La bande-son, en revanche, transcende l’expérience. Les compositions orchestrales accompagnent chaque phase de création avec une douceur hypnotique. Les nappes ambient se mêlent à des percussions discrètes, donnant au monde un souffle constant. On retrouve cette montée progressive typique d’Abbey Games : un thème qui s’épanouit à mesure que la vie s’étend, puis s’éteint doucement lorsque tout s’effondre. C’est une musique qui respire avec votre planète, qui en épouse les pulsations et la mélancolie.
Le sound design, plus subtil qu’il n’y paraît, ancre chaque action dans la matière : un frémissement d’eau, un craquement de roche, un chœur lointain d’âmes disparues. Rien n’est laissé au hasard, et c’est souvent par le son que l’on comprend ce qui échappe au regard. Seule ombre au tableau : le mixage, parfois inégal sur Switch, fait perdre en intensité certaines nuances, surtout en mode portable. Ce n’est pas rédhibitoire, mais l’expérience s’en trouve légèrement émoussée.
Reus 2 réussit ainsi là où beaucoup échouent : faire de la contemplation une émotion. Mais cette beauté, trop maîtrisée, finit par instaurer une distance. On admire plus qu’on ne ressent.
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