Le 18 juillet 2023, le studio russe Sobaka propulsait Remedium Sentinels sur Nintendo Switch, porté par l’éditeur ESDigital. Spin-off autonome du twin-stick shooter Remedium, ce roguelite auto-shooter s’inscrit dans l’héritage direct du phénomène Vampire Survivors, dont il reprend les codes avec une volonté affichée de les enrichir à la sauce post-apocalyptique. Mutants, chimères et nuées d’infectés peuplent un univers ravagé, où l’action ne s’arrête jamais… en théorie.
Derrière cette promesse d’intensité et de variété se cache une tentative sincère de mutation du genre, entre recyclage mécanique et ambitions mal calibrées. Portage Switch en main, il s’agit désormais de trancher : machine rouillée ou sentinelle d’acier ? Le verdict s’impose, pixel par pixel, au rythme d’une ferraille qu’on accumule plus qu’on ne dépense.
Les cendres d’un monde, sans récit pour les porter
Dans Remedium Sentinels, l’univers existe, mais l’histoire ne suit pas. Le jeu s’inscrit dans la continuité du premier Remedium, dont il conserve l’ambiance dystopique et les ennemis mutants, sans jamais chercher à tisser un fil narratif cohérent. Vous incarnez un golem d’acier, éveillé sans préambule, projeté dans des zones ravagées par la peste et les créatures difformes, sans explication, sans guide, sans enjeu.
Chaque niveau propose bien un court paragraphe d’introduction, égrené comme un souvenir lointain, une trace floue d’un monde oublié. Ces fragments, malgré leur tonalité sombre, n’offrent aucune perspective : ni but, ni progression, ni lien entre les niveaux ou les personnages. Les golems que vous incarnez, pourtant visuellement distincts et mécaniquement variés, n’ont aucune personnalité propre, aucun historique, aucune parole. Ils sont des fonctions, non des figures.
Cette absence de structure narrative pourrait se justifier dans un jeu d’arcade au minimalisme revendiqué, mais ici, la promesse d’un univers plus vaste — celui de Remedium — laisse entrevoir un manque d’intention, ou tout du moins, un rendez-vous manqué. Là où Vampire Survivors utilisait son absence d’histoire comme une évocation nostalgique d’un âge d’or arcade, Remedium Sentinels évoque plutôt un brouillon abandonné.
Ce silence narratif n’empêche pas le jeu d’avancer mécaniquement, mais il prive l’expérience de tout souffle mythologique, de toute tension émotionnelle. On traverse les ruines comme on racle une grille de données : sans attache, sans incarnation, sans récit à prolonger.
Rouages grinçants, boucles brisées
Remedium Sentinels reprend à la lettre les fondations de l’auto-shooter tel que Vampire Survivors l’a redéfini : déplacement libre, attaque automatisée, montée en puissance exponentielle, ennemis générés par vagues infinies. Le joueur n’a besoin que d’un seul doigt pour déplacer son golem, le reste du combat se déroulant sans intervention manuelle. Cette approche simplifiée reste immédiatement accessible, et conserve cette boucle de jeu hypnotique qui fait le succès du genre.
Le roster propose huit golems jouables, tous dotés d’une arme signature et d’un pouvoir passif : aimant, régénération, attaque tournante ou mortier. Sur le papier, la variété est bien là. Mais l’équilibrage trahit rapidement des disparités flagrantes. Certains personnages disposent d’avantages clairement déterminants, tandis que d’autres peinent à survivre au-delà des premières minutes, surtout dans les niveaux les plus étroits.
Le système de progression s’articule autour d’une monnaie unique — la Ferraille — que vous collectez pour améliorer chaque sentinelle, débloquer des améliorations globales, ou acheter deux des golems les plus puissants. Malheureusement, le rythme d’acquisition est lent, presque décourageant, et pousse le joueur à farmer les premiers niveaux encore et encore. Une méthode artificielle d’allongement de la durée de vie, qui vient alourdir une structure déjà répétitive.
Les niveaux eux-mêmes sont réduits à l’essentiel : petites cartes cloisonnées, très peu d’interactivité, et une densité d’ennemis progressive mais sans imagination. Vous devez survivre quinze minutes pour débloquer le niveau suivant, puis éventuellement tenter le mode infini. Mais à chaque session revient la même mécanique : courir, collecter, espérer tomber sur les bonnes compétences.
Le système d’évolution, basé sur trois choix de bonus aléatoires par montée de niveau, est un classique du genre. Pourtant, ici encore, l’équilibrage laisse à désirer. Certaines compétences sont essentielles — aimant, vitesse de déplacement, missiles — tandis que d’autres sont anecdotiques, voire néfastes. La diversité existe, mais la méta s’impose rapidement, et la redondance devient inévitable.
Surtout, Remedium Sentinels pèche là où son modèle brillait : dans le rythme de l’action. Tout est lent, comme englué. Le héros traîne, les ennemis rampent, les vagues s’étirent sans pression. Là où l’explosion visuelle et sonore de Vampire Survivors galvanisait chaque instant, ici tout semble ralenti, freiné, étouffé.
Rouille visuelle et dissonances sonores
Visuellement, Remedium Sentinels adopte une esthétique 3D grossière et terne, qui ne parvient jamais à installer une véritable identité artistique. Les modèles sont pixélisés, mal définis, et dépourvus de détails marquants. Chaque golem semble sculpté à la hache dans une matière numérique indistincte, et les ennemis, malgré leur nombre, finissent par se confondre dans un magma informe de textures grises.
Les environnements partagent ce même manque de relief. Les cartes, étroites et peu variées, alternent entre ruines industrielles et plaines désolées sans jamais proposer de vraie rupture visuelle. On note l’existence de quelques éléments destructibles, mais ceux-ci n’influencent ni le gameplay ni la lecture de l’espace. L’ensemble évoque plus un prototype fonctionnel qu’un monde pensé, habité, cohérent.
Du côté des performances, la version Switch souffre cruellement. Si les premières minutes d’une session restent jouables, les dix dernières deviennent un calvaire technique : ralentissements, micro-freezes, saccades — jusqu’à l’effet diaporama au-delà du quinzième tour. Le jeu peine visiblement à gérer l’affichage massif d’ennemis et d’effets visuels, ce qui étrangle totalement l’intensité de fin de partie, là où elle devrait culminer.
La bande-son, elle, est d’une monotonie presque inquiétante. Peu de musiques, peu de variations, et surtout des morceaux qui ne bouclent pas. Résultat : de longues séquences de silence pur, où seuls subsistent quelques bruitages mécaniques peu engageants. L’ambiance sonore se dissout dans l’absence, abandonnant le joueur dans un vide auditif aux antipodes de la tension promise.
Enfin, les problèmes techniques s’étendent aux périphériques : des déconnexions répétées du Joy-Con droit en mode docké viennent compléter ce tableau instable, un comportement anormal que le jeu semble générer sans explication. Une anomalie qui, sans être bloquante, renforce la sensation d’un portage non finalisé.
Ferraille, blocages et temps perdu
Au cœur de Remedium Sentinels bat une mécanique de progression lente et volontairement contraignante, articulée autour de la Ferraille — unique monnaie du jeu. Chaque session rapporte un maigre pactole, à dépenser avec parcimonie dans un système d’améliorations découpé en trois branches : les bonus universels, les améliorations spécifiques à chaque golem, et l’achat des deux sentinelles les plus puissantes.
Ce système, s’il semble complet sur le papier, devient rapidement une routine répétitive et bridée. La collecte est laborieuse, les améliorations chères, et l’ensemble repose sur un modèle économique typique du mobile… mais sans microtransactions. Ainsi, la durée de vie ne s’étire pas par densité, mais par répétition forcée. Vous devrez farmer en boucle les niveaux les plus simples, non par plaisir, mais par nécessité — et ce, pendant plusieurs heures.
La structure du contenu suit la même logique. Les six niveaux disponibles se débloquent uniquement après avoir survécu quinze minutes dans le précédent. Mais ces paliers sont moins des jalons narratifs ou ludiques que de simples grilles à cocher, et les variations d’un niveau à l’autre restent minimes. Ni nouveaux types d’ennemis, ni configurations originales : seuls quelques éléments de décor changent, accompagnés d’une vague ligne de contexte.
Les conditions de déblocage des golems, quant à elles, sont également déséquilibrées. Certains doivent être libérés dans des zones précises, d’autres achetés pour 5 000 Ferraille — un montant déraisonnable, sans raccourci ni bonus pour accélérer l’acquisition. Ce système, pensé pour forcer la longévité, se retourne contre l’expérience en instaurant des temps morts de progression, là où l’intensité devrait primer.
Enfin, si Remedium Sentinels parvient à reprendre les bases d’un genre populaire, il ne parvient pas à introduire de métasystèmes porteurs. Aucun défi secondaire, aucun mode alternatif, aucune récompense contextuelle ne vient relancer l’intérêt à long terme. Ce vide structurel contribue à faire de l’ensemble une expérience mécaniquement complète, mais structurellement creuse.
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