Il existe des jeux dont le retour suscite un sentiment mêlé de curiosité et d’appréhension. Rainbow Moon, développé par SideQuest Studios et réédité par Eastasiasoft sur Nintendo Switch depuis le 14 mars 2024, s’inscrit dans cette catégorie particulière. Premier volet d’un diptyque tactico-nostalgiques, il revient après que sa suite, Rainbow Skies, eut déjà fait son apparition sur la console hybride en 2023. Un retour aux origines donc, pour une série qui célèbre le RPG au tour par tour dans sa forme la plus artisanale, avec l’ambition de faire découvrir ses fondations à un nouveau public.
Mais lorsque l’on redescend du ciel coloré de Rainbow Skies, c’est une autre réalité qui s’impose. Moins fluide, plus rugueux, Rainbow Moon déploie une structure ancienne, patinée par le temps, portée par un contenu généreux mais lestée d’inerties profondes. En replongeant dans cette première aventure, c’est toute une époque qui refait surface, avec ses bonheurs lents, ses mécaniques pesantes, ses promesses d’antan.
Reste à savoir si la lumière de cette lune suffit encore à guider le voyage, ou si son éclat n’est plus qu’un souvenir désaturé suspendu dans le vide.
Un héros perdu dans les limbes d’un monde sans mémoire
L’histoire de Rainbow Moon suit les pas de Baldren, un héros d’acier plongé malgré lui dans une dimension parallèle. Victime d’un piège tendu par son rival Namoris, il se réveille sur une lune inconnue, peuplée d’êtres étranges, coupé de tout repère, mais résolu à regagner son monde. Ce point de départ, classique mais propice à l’évasion, ouvre pourtant sur un récit dont les ambitions se révèlent timides. L’aventure avance lentement, sans structure narrative affirmée, et demande de longues heures avant d’esquisser une quelconque montée en tension.
Les dialogues se limitent à des échanges utilitaires, sans réel développement psychologique. Baldren reste une figure monolithique, un protagoniste sans aspérités, mû plus par la mécanique de progression que par un souffle dramatique. Les personnages rencontrés sur Rainbow Moon adoptent le même profil : silhouettes fonctionnelles, rarement marquantes, dont les rôles se bornent à guider, vendre, ou assigner une quête. Le potentiel d’une galerie colorée s’efface derrière un rythme étouffé, incapable de faire émerger un attachement ou un enjeu affectif.
Ce portage sur Switch conserve la langue d’origine, entièrement en anglais. Si cela peut convenir à un public averti, l’absence de traduction française ajoute une barrière supplémentaire à une narration déjà distendue. D’autant plus que le contraste visuel entre les textes bleu ciel et le fond bleu foncé nuit à la lisibilité, rendant chaque ligne fastidieuse à suivre, même pour les lecteurs anglophones aguerris.
Le scénario, trop discret pour porter l’ensemble, se contente de jalonner l’exploration sans jamais l’habiter. Les objectifs s’enchaînent dans une logique de quête secondaire étirée, sans arc majeur pour structurer l’aventure. L’ensemble donne l’impression d’une trame-fantôme, présente en toile de fond mais jamais incarnée, incapable de soutenir le rythme imposé par les combats et les allers-retours constants.
Des pas trop lourds sur un échiquier fatigué
Le système de jeu de Rainbow Moon repose sur un enchaînement de combats au tour par tour dans des arènes quadrillées, avec une mécanique tactique inspirée des classiques du genre. Chaque affrontement vous projette sur un damier où il faut déplacer vos personnages, choisir vos actions, gérer vos compétences, tout en tenant compte des positions ennemies et des effets de zone. En apparence solide, cette formule révèle pourtant un déséquilibre profond, hérité d’une époque de design exigeant mais peu tempéré.
Baldren débute son aventure seul, exposé à une succession d’affrontements déséquilibrés où l’infériorité numérique est la norme. Les premiers chapitres forcent le joueur à multiplier les combats contre des groupes plus nombreux, avec des récompenses minimes et une montée en puissance d’une lenteur remarquable. Le grind devient rapidement une condition de survie plus qu’un choix stratégique, et structure un rythme de jeu tendu vers la répétition.
Ce déséquilibre s’explique par la nature même du projet : Rainbow Moon précède Rainbow Skies, mais leur portage inversé place ici le joueur dans une position paradoxale. Si vous avez découvert la suite en premier, vous êtes déjà familier avec les mécaniques que ce premier opus cherche encore à introduire progressivement. Ce décalage génère une sensation de régression, comme si l’on explorait une esquisse d’un système que l’on connaît déjà dans sa forme aboutie.
La progression des personnages se fait via des niveaux classiques, mais aussi à travers des points de ressources à dépenser pour améliorer vos compétences. Cependant, l’économie interne reste lente à se déployer : chaque victoire rapporte peu, chaque gain semble modeste, et l’effort à fournir pour atteindre une montée de niveau significative demande une persévérance constante.
Le level design, quant à lui, repose sur un principe d’exploration cloisonnée. De nombreuses zones visibles demeurent inaccessibles jusqu’à ce que vous trouviez un objet spécifique, souvent caché ou verrouillé derrière une suite d’événements peu intuitifs. Ces chemins bloqués forcent des détours artificiels, renforçant le sentiment d’une progression bridée plus que guidée. Ce choix de structure rappelle certains titres du début des années 2000, mais sans les contreparties de récompense ou de découverte qui justifiaient alors ces détours.
Le système de combat, bien qu’honnête dans son ossature, reste longtemps enfermé dans des bases rudimentaires. Il faut persévérer une quinzaine d’heures pour entrevoir la profondeur promise. En attendant, le jeu propose peu de variété tactique et recycle les mêmes schémas avec de légères variantes. Les ennemis frappent fort, les soins sont rares, et l’endurance du joueur devient l’unique variable d’ajustement.
Couleurs douces, visages oubliables
Rainbow Moon repose sur un moteur visuel aux accents colorés, porté par une esthétique isométrique qui évoque les RPG de l’ère PS2. Le rendu général reste agréable, avec des décors nets et bien définis, rehaussés par une montée en résolution bienvenue dans ce portage Switch. Le passage à la HD confère aux textures un éclat nouveau, sans trahir l’intention graphique d’origine. Les environnements, variés et souvent charmants, constituent l’un des atouts visuels les plus notables du jeu.
Les zones explorables alternent entre forêts luxuriantes, marécages inquiétants, villages paisibles et donjons plus sombres. Le tout s’anime avec fluidité, même si les effets d’ambiance restent discrets. L’ensemble respire la modestie d’un projet à budget maîtrisé, mais le soin apporté aux arrière-plans donne corps à un monde qui, sans être impressionnant, reste cohérent et plaisant à arpenter.
Là où l’esthétique peine à convaincre, c’est dans la conception des personnages. Le chara-design s’avère générique, avec des silhouettes qui manquent d’originalité et de relief. Baldren, comme les figures secondaires, adopte des traits sans aspérité ni marque distinctive. Ce manque de personnalité visuelle affaiblit l’identification, et dilue l’impact des scènes dialoguées, déjà rares. La lisibilité en combat reste correcte, mais certains éléments du décor, notamment les obstacles et les zones de passage, manquent de contraste ou de clarté, ce qui gêne ponctuellement la navigation.
L’interface utilisateur, quant à elle, souffre d’un choix de contraste malheureux. Les textes en bleu clair sur fond bleu foncé fatiguent la lecture, surtout sur écran portable. Ce défaut d’ergonomie aurait pu être corrigé dans cette version, mais reste inchangé.
Côté son, Rainbow Moon déploie une bande-son agréable mais discrète. Les thèmes musicaux accompagnent l’exploration sans chercher à dominer l’atmosphère. Aucune mélodie ne s’impose véritablement, mais l’ensemble soutient efficacement le rythme. Les effets sonores sont simples, parfois un peu datés, mais remplissent leur rôle sans fausse note. Aucune voix-off n’est présente, les dialogues étant intégralement textuels.
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