Dans les ruelles vides de nos souvenirs de salon, là où les cris s’élèvent autour d’un canapé, entre éclats de rire, trahisons calculées et réflexes d’urgence, naît parfois un jeu qui n’existe que pour ce moment-là. Polterguys: Possession Party, développé par Madorium et sorti sur Xbox Series le 17 avril 2025, s’inscrit précisément dans cette lignée de titres éphémères, de ceux qui embrasent une soirée puis s’éteignent à l’aube, comme une farce oubliée dès que la lumière revient.
Dans ce jeu de cache-cache spectral, huit joueurs s’affrontent dans une série d’arènes où posséder un grille-pain devient une stratégie de survie, où pousser une table dans l’escalier peut décider du sort d’une manche, et où rire plus fort que la mécanique elle-même semble parfois être la seule règle. C’est un théâtre d’absurdité assumée, un carnaval où le surnaturel ne fait pas peur, il fait diversion.
Mais sous cette couche de cartoon bigarré, de gimmicks frénétiques et de joyeusetés un peu forcées, Polterguys: Possession Party cache-t-il un véritable souffle de renouvellement ? Ou n’est-il qu’un déguisement supplémentaire dans la galerie déjà bien remplie des party games sans lendemain ?
Reste à savoir si, une fois les lampes éteintes et la manette posée, il restera autre chose qu’un sourire vague et quelques souvenirs flous — ou seulement un silence un peu gêné, dans un salon redevenu vide.
Les silhouettes sans visage d’une farce spectrale sans mémoire
Dans Polterguys: Possession Party, l’histoire tient en une ligne, et ce n’est pas un défaut : c’est un choix. Vous êtes un fantôme, un Polterguy, et votre existence ne dépasse pas les limites de la partie. Pas de mythe fondateur, pas d’univers développé, pas même de justification pour ces confrontations absurdes entre esprits en compétition. Vous êtes là, parce que vous y êtes. Et cela suffit au jeu.
Il ne s’agit pas ici de raconter une histoire, mais d’en créer l’illusion. Chaque partie devient une saynète sans lendemain, où les masques colorés remplacent les visages, où l’on se glisse dans un objet pour mieux échapper à ses semblables, où l’on pousse un camarade dans la gueule du monstre pour mieux se préserver soi-même. Le jeu ne parle pas de vous. Il parle de la logique cruelle des jeux multijoueurs, cette mécanique sociale qui transforme la complicité en rivalité et le rire en arme.
Les “personnages”, s’il faut les nommer ainsi, sont des coquilles : des avatars costumables, des marionnettes que l’on orne de chapeaux loufoques et d’accessoires ironiques, sans que jamais une personnalité ne vienne s’y loger. On incarne une présence, une silhouette. Le reste, c’est au joueur de l’inventer — ou de l’ignorer.
Même le monstre, figure centrale censée cristalliser la tension, reste abstrait. Il n’a pas d’histoire, pas de colère. Il est une règle, une pression. Il rôde. Il frappe. Il remet les pendules à zéro. Il incarne ce que le jeu ne prend jamais le temps d’expliquer : l’échec, l’élimination, la fin du tour.
Dans Polterguys: Possession Party, il n’y a ni monde, ni drame, ni progression narrative. Seulement des moments volés entre deux cris, deux pièges, deux trahisons. Ce n’est pas une épopée. C’est un bal masqué sans lendemain, où les souvenirs s’éparpillent aussi vite que les objets que l’on possède.
Le cirque invisible d’un chaos minuté, chorégraphié sous les cris
Polterguys: Possession Party est un jeu qui ne se joue pas dans le silence. Il vit dans le vacarme des soirées, dans les trahisons soudaines, les éclats de voix, les gloussements coupables. Le gameplay n’est qu’un prétexte pour ce tumulte social, un canevas souple sur lequel s’improvisent des mini-dramas de salon. Mais ce canevas, pour fonctionner, doit tenir. Et c’est là que l’expérience révèle autant ses forces immédiates que ses limites à peine dissimulées.
L’idée est limpide : incarner un fantôme, posséder des objets, se déplacer dans l’environnement en les animant pour échapper à la créature qui chasse, et piéger les autres pour qu’ils tombent à sa place. Chaque objet — une chaise, un grille-pain, un ours en peluche — devient un véhicule temporaire, une extension ridicule et rusée de votre présence. L’arène, fragmentée en pièces piégées, en coins sombres, en couloirs meurtriers, se transforme vite en champ de bataille surnaturel où le mouvement est aussi important que la dissimulation.
Le jeu repose entièrement sur la fluidité de ses interactions : entrer dans un objet, le déplacer, s’en extraire au bon moment, activer des pièges environnementaux, se saisir d’un bonus… Sur ce point, Polterguys est efficace. La maniabilité est immédiate, les commandes répondent, les niveaux sont assez lisibles pour permettre l’anticipation, mais assez denses pour créer la confusion. Chaque carte possède ses propres pièges, ses propres habitudes, mais la logique reste identique d’un décor à l’autre : fuir, manipuler, trahir.
Mais à mesure que les parties s’enchaînent, une impression de redondance s’installe. Dix cartes, oui. Mais très vite, les mécaniques se répètent, les surprises s’épuisent. Le chaos reste, mais il devient un peu mécanique. L’absence de renouvellement structurel — pas de règles alternatives, pas de modes de jeu véritables, pas d’objectifs secondaires — transforme l’expérience en boucle fermée. Fun, mais fragile.
Le système de progression tente de prolonger l’engagement : défis quotidiens, costumes à débloquer, personnalisation de son “haunt” (espace personnel). Mais ces éléments restent cosmétiques, incapables de réinjecter du sens ou de la variété au cœur de la partie elle-même. Le plaisir reste là, mais en surface.
Polterguys: Possession Party ne cherche pas la profondeur. Il cherche l’impact. Il mise sur l’instant, sur le rire volé, sur la jubilation d’une trahison bien placée. Mais il ne bâtit rien sur ces ruines. Il amuse. Puis s’évapore.
Le vernis éclatant d’un théâtre de carton-pâte
Visuellement, Polterguys: Possession Party adopte sans détour l’esthétique du cartoon contemporain : textures propres, formes arrondies, palette éclatante, lisibilité maximale. Les personnages sont des silhouettes grotesques, pastel et molletonnées, plus proches de mascottes télévisuelles que de véritables revenants. On pense à Fall Guys, à Human: Fall Flat, à tout un pan du jeu multijoueur moderne qui préfère le volume mou à la texture rugueuse, le visible à l’inquiétant.
Mais ce choix visuel, s’il est cohérent avec l’objectif du jeu — amuser, désamorcer, inviter — finit aussi par aplatir toute possibilité d’ambiance. Le surnaturel devient ici une décoration de carnaval, une imagerie kitsch où les fantômes sourient, les monstres roulent des yeux, et chaque pièce de la maison semble sortie d’un parc à thème aseptisé. Les objets à posséder, quant à eux, sont conçus pour être immédiatement reconnaissables, exagérés, presque caricaturaux dans leur gestuelle une fois animés. C’est fluide, c’est lisible, c’est fonctionnel. Mais ce n’est jamais évocateur.
Les arènes, elles, jouent sur la diversité apparente : manoir gothique, hôpital délabré, salle d’arcade néon, entrepôt poussiéreux… Pourtant, derrière le décor, la structure reste identique : pièces interconnectées, pièges contextuels, lumière douce et homogène. À force de vouloir plaire à tous, l’identité visuelle devient générique, sans aspérité. Le monde de Polterguys n’est pas un monde. C’est un terrain de jeu monté pour l’occasion, et qu’on démontera dès la fin de la fête.
La bande-son, pour sa part, se coule dans le même moule : mélodies sautillantes, percussions légères, bruitages cartoonisés à l’extrême. Tout ici sonne comme une émission pour enfants un peu turbulente : les portes grincent pour la forme, les pièges s’activent dans un tintement comique, les cris des fantômes sont filtrés pour faire sourire. Ce n’est pas une ambiance : c’est un habillage sonore qui vous prend par la main et vous souffle que tout ceci n’est qu’un jeu. Et c’est bien là le paradoxe : en cherchant à rendre l’horreur drôle, le jeu en oublie qu’elle peut aussi être étrange, fascinante, mémorable.
Dans Polterguys: Possession Party, tout est au bon endroit. Tout est lisible. Tout est bien éclairé. Et pourtant, rien ne persiste une fois l’écran éteint.
Les rouages transparents d’une machine conçue pour disparaître
Sur Xbox Series, Polterguys: Possession Party fonctionne sans accroc majeur. C’est une évidence presque banale : le jeu est fluide, les temps de chargement sont réduits à l’essentiel, les transitions entre parties s’effectuent sans friction, et l’expérience en ligne — lorsque les connexions tiennent — assure un déroulement stable. La performance n’est pas triomphante ; elle est invisible. Et dans un jeu qui vit de sa légèreté, cette discrétion est presque une qualité.
L’interface répond aux standards modernes : menus clairs, navigation rapide, sélection intuitive des personnages, des objets à débloquer, des cosmétiques. Tout est là pour que l’accès au jeu soit immédiat, sans friction. L’architecture logicielle épouse la philosophie du gameplay : aller droit au but, avec le moins d’obstacles possible entre l’envie et l’action.
Mais ce confort d’usage dissimule aussi une certaine superficialité. Aucune option d’accessibilité poussée n’est proposée : pas de réglages pour les daltoniens, pas de paramétrage de la taille des textes, pas de guidage sonore ou visuel alternatif pour les joueurs en situation de handicap. C’est une fête pensée pour ceux qui voient bien, qui entendent bien, qui saisissent vite. Le reste est exclu par omission, sans violence mais sans effort d’ouverture.
Le jeu, taillé pour le multijoueur, souffre néanmoins d’une dépendance absolue à la présence d’amis — ou à un matchmaking efficace. Et sur ce point, les premiers retours sont clairs : les parties publiques sont clairsemées, la communauté encore trop restreinte pour garantir des sessions immédiates. Sans groupe local, ou sans coordination volontaire, l’expérience devient vite silencieuse, voire inaccessible.
La personnalisation du “haunt”, votre espace personnel, ajoute une touche de progression. Mais là encore, tout reste cosmétique. Les défis quotidiens, les objets à collectionner, les récompenses de saison : autant de strates ajoutées non pour enrichir l’expérience, mais pour la prolonger artificiellement. Rien ne change le cœur du jeu. Rien ne le transforme. On accumule, on orne, on collectionne. Mais on ne redécouvre jamais.
Polterguys: Possession Party est parfaitement rodé pour ce qu’il est. Mais ce qu’il est semble avoir été pensé pour s’effacer dès la fin de la partie. Une mécanique bien huilée, destinée à tourner en rond, jusqu’à ce que l’on décide d’éteindre la lumière.
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