Avec Perennial Order, le studio indépendant Gardenfiend Games s’aventure sur un terrain où la beauté et l’horreur se confondent. Ce boss rush en 2D, publié par SOEDESCO, transpose sur Xbox Series un univers d’âge sombre envahi par des créatures monstrueuses corrompues par la nature elle-même. Inspiré à la fois par les esthétiques gothiques et les mythologies forestières, le jeu invite le joueur à incarner une figure hybride, mi-chevalier, mi-végétal, condamnée à affronter des colosses enracinés dans un monde hostile.
Ici, pas de progression classique ni de quêtes secondaires bavardes : l’expérience repose sur la confrontation brute, la mort instantanée et la nécessité d’apprendre, encore et encore, jusqu’à triompher. Perennial Order ose ce pari difficile : faire d’une mécanique punitive un vecteur d’ivresse. La question est alors simple : le jeu parvient-il à transformer l’échec répété en un plaisir renouvelé, ou se perd-il dans ses propres ronces ?
Les murmures des bois oubliés
Perennial Order ne cherche pas à enrober ses combats d’un récit bavard. Ici, l’histoire se devine plus qu’elle ne s’expose. Le joueur incarne une silhouette hybride, figure solitaire surgie d’une nature en décomposition, mi-humaine, mi-végétale, vouée à affronter des colosses enracinés dans la terre. Aucune cinématique explicative, aucun dialogue abondant : la narration se distille dans les décors, dans les descriptions fragmentées, dans les rares rencontres qui semblent plus hantées que vivantes.
Le monde que l’on traverse est une fresque de ruines et de forêts corrompues, un territoire où chaque structure semble être le vestige d’un ordre ancien englouti par les plantes. Les personnages secondaires, presque fantomatiques, apparaissent par touches brèves : silhouettes énigmatiques, voix brisées, fragments d’histoires laissés à l’interprétation. Leur rôle n’est pas de guider, mais d’entretenir une atmosphère d’incertitude, de maintenir le joueur dans cet entre-deux où la compréhension n’est jamais totale.
Le véritable récit, c’est celui qui s’écrit dans la répétition des combats. Chaque boss vaincu devient une page tournée, chaque mort une phrase interrompue. L’identité du protagoniste se forge moins par des mots que par ses épreuves, ses défaites, ses victoires arrachées de haute lutte. Dans ce silence volontaire, Perennial Order construit une narration implicite, où le joueur remplit les vides, où l’imagination devient complice de l’horreur végétale qui s’étend.
Les ronces du défi
Au cœur de Perennial Order bat un gameplay sans concession. Chaque affrontement est un duel à mort contre une créature colossale, chaque attaque manquée peut se solder par la fin immédiate de la partie. Le jeu repose sur une mécanique simple mais impitoyable : un seul coup ennemi suffit à mettre le joueur à terre. Cette fragilité extrême transforme chaque combat en rituel de concentration où l’observation des patterns, l’apprentissage par l’échec et la précision des gestes deviennent les seules armes de survie.
Le maniement s’appuie sur des contrôles jumeaux : une lame prolongée du bras, dirigée par le stick droit, et des déplacements précis dictés par le stick gauche. Cette ergonomie atypique impose un temps d’adaptation, mais elle favorise la tension et la justesse des mouvements. Peu à peu, le joueur découvre de nouvelles compétences, qui viennent enrichir un arsenal pourtant volontairement restreint pour garder intacte la pureté du défi.
La progression n’emprunte pas la structure classique d’un action-RPG. Ici, pas de longues zones d’exploration ni de quêtes annexes : l’aventure est bâtie comme une succession d’arènes où chaque boss incarne une énigme à résoudre. Les environnements qui les précèdent, faits de ruines et de clairières hantées, servent davantage d’interludes atmosphériques que de terrains d’action prolongée. Cette épure assumée donne à chaque affrontement une valeur unique, un poids qui s’imprime dans la mémoire du joueur.
La difficulté, raide et sans compromis, risque de diviser. Pour certains, elle sera synonyme de frustration, de punition injuste lorsque la lisibilité des attaques semble imparfaite. Pour d’autres, elle représentera l’essence même du jeu : une école de patience et d’endurance où chaque victoire, arrachée après des dizaines de tentatives, procure une ivresse rare. La possibilité d’affronter ces épreuves à deux, en coopération locale ou en ligne, atténue parfois la rudesse mais n’adoucit pas le fond : même à deux, le danger reste omniprésent, et les monstres se renforcent pour ne jamais céder trop facilement.
Une fresque de racines et d’ombres
L’identité de Perennial Order s’affirme avant tout par son esthétique. Chaque décor, chaque créature semble arraché à une toile peinte, où l’horreur et la nature se mêlent dans un contraste permanent. Le style 2D, travaillé comme une illustration sombre et organique, renvoie autant aux mythes forestiers qu’aux visions gothiques. Les boss, véritables cauchemars végétaux, se dressent comme des sculptures mouvantes faites de branches, de fleurs fanées et de corps déformés. Leur apparition à l’écran impose un choc visuel qui marque la rétine et nourrit l’atmosphère oppressante du jeu.
Les environnements, eux, oscillent entre ruines envahies, clairières hantées et étendues obscures. Ils ne brillent pas par leur variété, mais par la cohérence avec laquelle ils soutiennent le propos artistique. Chaque lieu semble étouffé par une végétation qui n’a plus rien de naturel, chaque couleur paraît désaturée, absorbée dans une palette de verts malades et de bruns terreux. C’est une direction artistique qui assume son côté monolithique, quitte à user.
Côté sonore, Perennial Order opte pour une partition discrète mais pesante. Les nappes ambient, les percussions sourdes et les chœurs lointains viennent renforcer le sentiment d’oppression. Le silence, souvent, se fait instrument : il précède l’arrivée d’un boss, alourdit l’attente, ou rend plus violente encore l’explosion sonore d’un combat qui s’engage. Les bruitages, eux, portent une importance particulière : le craquement d’une branche, le souffle d’une créature, la vibration d’un coup reçu suffisent à renforcer l’immersion. Si la musique peine parfois à imprimer des thèmes mémorables, l’ensemble sert efficacement la densité atmosphérique que le jeu cultive.
Les épines de l’expérience
Sur Xbox Series, Perennial Order profite d’une optimisation solide qui maintient la fluidité même lors des affrontements les plus intenses. Le style 2D, moins gourmand que des environnements en trois dimensions, permet au jeu de conserver une stabilité technique rassurante. Les temps de chargement se révèlent courts, les animations fluides, et aucun ralentissement majeur ne vient compromettre la précision indispensable à un titre où la mort peut survenir à la moindre erreur.
Le jeu mise également sur la coopération, disponible aussi bien en local qu’en ligne. À deux, l’expérience gagne en intensité : la difficulté s’ajuste, les boss deviennent plus résistants, mais la dimension partagée transforme l’épreuve en rite collectif. On regrettera cependant quelques limites pratiques : l’absence d’un système de « drop-in » fluide oblige à organiser la session dès le départ, et certaines sauvegardes ne se transfèrent pas toujours avec aisance d’un joueur à l’autre.
La rejouabilité repose avant tout sur la maîtrise des combats. Chaque victoire peut donner envie de revenir pour perfectionner sa technique, tenter un défi sans erreur, ou explorer d’autres approches en duo. Néanmoins, l’absence de modes annexes ou de variations plus marquées limite les perspectives à long terme. Le jeu s’adresse clairement à un public précis : celui qui accepte de répéter, d’échouer, et de renaître encore, pour savourer des victoires rares mais mémorables.
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