Parfois, un projet naît du croisement étrange entre une ambition mal calibrée et une compétence technique hésitante. Paperman: Adventure Delivered, premier jeu signé Secret Item Games — studio jusque-là cantonné au portage de titres PC sur consoles — incarne précisément cette collision. Derrière sa façade colorée et son concept gentiment absurde de facteurs partant récupérer des lettres d’or volées par un dragon, le titre entend poser les jalons d’une nouvelle franchise familiale, accessible, drôle et dynamique. Sur le papier, tout semble aligné : quatre personnages jouables, une quête modulaire, des îles à explorer, et un soupçon de coopération.
Mais si le papier accepte tout, la réalité vidéoludique se montre moins conciliante. Dès les premières minutes, Paperman: Adventure Delivered révèle une cascade de maladresses, de mécaniques vacillantes et de choix de design douteux. Reste alors à comprendre comment une idée aussi simple et potentiellement efficace a pu donner naissance à un titre aussi difficile à défendre. La lettre est partie, mais le contenu a visiblement été perdu en route.
Lettres d’or et scénarios au rabais
L’univers de Paperman: Adventure Delivered s’articule autour d’un concept aussi farfelu que limpide : une entreprise postale décide de créer des lettres en or massif pour des clients de luxe, ce qui attire l’attention d’un dragon cupide. Le monstre s’empare du butin, provoquant une avalanche de colis éparpillés sur plusieurs îles. C’est dans ce contexte improbable que Paperman et ses trois collègues — Express, Carl et Scrolly — prennent la route, bien décidés à remettre la main sur chaque pli égaré, entre deux feux de dragon.
Ce postulat volontairement absurde aurait pu donner naissance à une fable burlesque ou à une aventure légère et inventive. Pourtant, Paperman se contente d’un prétexte. La narration, réduite à l’essentiel, se dilue entre des échanges ponctuels avec quelques collègues non-joueurs et des fragments de dialogues méta, plus préoccupés par les tutoriels que par la construction d’un véritable monde. Les ruptures du quatrième mur, fréquentes, ne parviennent pas à masquer l’indigence d’un récit sans tension, sans enjeu ni évolution.
Les quatre protagonistes jouables, chacun doté d’une capacité unique, incarnent plus une fonction qu’un caractère. Paperman téléporte ses lettres, Express court, Carl déplace des objets lourds, Scrolly souffle des rafales d’air : ces spécificités mécaniques ne s’accompagnent jamais d’un développement narratif. Aucun échange notable, aucun arc, aucune dynamique de groupe ne vient animer cette équipe théoriquement soudée. Le joueur contrôle des avatars, non des personnalités.
Même l’univers, pourtant propice à une fantaisie modulaire — îles volantes, dragons, postes interdimensionnels — reste désespérément plat. À mesure que l’on progresse, l’absence de structure scénaristique se fait plus criante. Pas de mystère à résoudre, pas d’antagoniste à confronter, pas d’évolution thématique. Seul subsiste le geste mécanique de la collecte, vidé de toute motivation narrative.
Plateformes branlantes et facteurs en chute libre
À première vue, Paperman: Adventure Delivered reprend les bases d’un jeu de plateformes 3D à l’ancienne, façon collectathon : des niveaux semi-ouverts, des centaines d’objets à ramasser, des compétences propres à chaque personnage, et des défis environnementaux à surmonter pour atteindre le 100 %. L’hommage semble clair, entre Yooka-Laylee et les heures fastes de la Nintendo 64. Mais à la différence de ses modèles, Paperman trébuche à chaque étape de sa conception mécanique.
Le cœur du gameplay repose sur une alternance entre quatre facteurs, chacun spécialisé dans un type d’action. Express court, Carl soulève, Scrolly souffle, Paperman se téléporte via ses lettres magiques. L’idée de concevoir des énigmes et des parcours sur mesure pour chacun paraît judicieuse. En pratique, elle se transforme en contrainte laborieuse, puisque l’on ne peut changer de personnage qu’à des points précis du niveau — ces fameuses boîtes aux lettres. Résultat : de constants allers-retours frustrants, des séquences hachées, et une progression rythmée non par l’ingéniosité mais par la répétition artificielle.
Le level design, bien qu’articulé autour de trois grandes îles thématiques, manque cruellement d’inspiration. Les environnements s’enchaînent sans relief ni surprise, les placements d’objets ne proposent aucune logique d’exploration gratifiante, et les défis s’essoufflent dès les premières minutes. À cela s’ajoutent des mécaniques de saut imprécises, des collisions douteuses et une inertie mal calibrée qui rend chaque mouvement hasardeux.
Même les pouvoirs, pourtant au cœur de l’identité de chaque personnage, peinent à convaincre. Trop peu sollicités, rarement utiles hors de quelques séquences dédiées, ils finissent par apparaître comme des gimmicks sans profondeur. La téléportation de Paperman, en particulier, combine imprécision et danger, menant régulièrement à des chutes involontaires. Ce n’est pas un outil, c’est un piège.
Le jeu intègre un mode multijoueur coopératif, présenté comme un atout. Dans les faits, il se limite à partager l’écran dans des niveaux conçus pour une progression linéaire et individuelle. L’absence de synchronisation, de complémentarité ou de mécaniques collaboratives véritables rend l’option aussi gadget que le reste.
Enveloppes vives dans un nuage de brouillard
À première vue, Paperman: Adventure Delivered semble cocher les cases d’un style cartoon assumé. L’univers affiche des couleurs saturées, des personnages aux silhouettes rondes, et un monde qui évoque les dessins animés du samedi matin. Le character design, simple mais lisible, dégage une certaine sympathie visuelle. Les environnements, eux aussi, témoignent d’une intention artistique claire : variété des biomes, contrastes colorés, lisibilité des zones interactives… tout semble pensé pour accompagner une aventure familiale.
Mais très vite, la technique vient trahir cette ambition. Les textures apparaissent floues, les modèles simplifiés à l’extrême, et la distance d’affichage plonge chaque décor dans un brouillard dense qui sabote toute notion de perspective. À peine sorti du point de spawn, le joueur avance à l’aveugle, enfermé dans un tunnel visuel où le monde s’efface à moins de quelques mètres. Un choix qui altère la navigation, mais surtout l’impact visuel global du jeu.
Les animations suivent la même logique d’économie. Les personnages bougent de manière saccadée, les transitions sont abruptes, et les collisions entre éléments s’accompagnent de réactions rigides ou mal timées. L’ensemble manque de fluidité, de cohérence, et plus encore de cette légèreté nécessaire à un jeu de plateformes. Chaque déplacement paraît hésitant, chaque action donne l’impression d’un prototype figé à mi-parcours.
La bande-son, discrète mais présente, accompagne le jeu sans jamais l’illustrer véritablement. Les thèmes musicaux s’oublient presque aussitôt lancés, oscillant entre jingles électroniques génériques et fonds sonores mollement rythmés. Aucun thème ne porte l’action, aucun morceau ne caractérise une zone ou une séquence. Les bruitages, eux aussi, se contentent du minimum : quelques effets de vent, des impacts discrets, des voix caricaturales à peine audibles.
Malgré une direction artistique au ton bon enfant, Paperman échoue à faire émerger une identité visuelle ou sonore forte. La technique vacillante, les choix esthétiques peu affirmés et la réalisation globalement terne empêchent toute alchimie de se créer entre le fond et la forme.
Timbré, affranchi… et mal emballé
L’un des aspects les plus préoccupants de Paperman: Adventure Delivered reste sans conteste sa performance technique sur Nintendo Switch. Le jeu, conçu pour cette plateforme, accumule des ralentissements fréquents, des chutes de framerate brutales et des temps de chargement anormalement longs. Chaque transition entre deux zones devient une épreuve de patience, accentuée par des écrans statiques mal animés, dignes des interfaces web obsolètes.
La navigation dans les menus reste heureusement fonctionnelle, et les options de jeu, bien que limitées, permettent de reprendre sa partie facilement. Mais cela ne suffit pas à masquer la pauvreté de l’offre générale. Aucun contenu annexe, aucun système de collection motivant, pas même un tableau de scores ou une forme d’encouragement à la rejouabilité : le jeu propose son aventure principale, sans supplément ni ajustement dynamique.
Le multijoueur local, présenté comme un argument central, reste en réalité anecdotique. L’absence de complémentarité réelle entre les personnages empêche toute stratégie collective, et l’interface partagée devient vite confuse lorsque deux joueurs tentent de se déplacer librement. Même dans ses ambitions coopératives, Paperman peine à définir une intention claire.
Aucun effort particulier n’a été réalisé pour tirer parti des spécificités de la console. Pas de compatibilité tactile en mode portable, pas d’ajustement graphique ou ergonomique selon les configurations. Le jeu ignore les possibilités de la Switch, se contentant d’une version générique, rigide, peu optimisée.
Seule note plus positive : la stabilité générale du logiciel. Aucun plantage ni bug bloquant n’a été recensé lors des sessions de test, et la sauvegarde automatique fonctionne efficacement. Une base solide… pour une construction brinquebalante.
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