Dans Panzer Knights, vous ne racontez pas la guerre : vous la conduisez. D’un poste de commandement allemand, vous traversez l’Europe à bord d’un Panzer, enchaînant les campagnes comme des niveaux d’arcade. Le studio taïwanais Joy Brick propose ici une relecture étrange de la Seconde Guerre mondiale : un jeu de tanks au parfum de roman graphique, peuplé de visages juvéniles, de répliques éthérées, et d’objectifs militaires servis à la pelle.
Sorti sur PC en mai 2021, Panzer Knights ne prétend pas à la rigueur documentaire. Il ne cherche pas à expliquer, encore moins à juger. Il montre, il simplifie, il réduit. Un champ de bataille devient un damier de manœuvres. Un char, une silhouette glissant sur la plaine. L’ennemi, une cible à verrouiller, à faire disparaître.
Reste à savoir si ce dépouillement volontaire sert un système de jeu efficace… ou s’il trahit une incapacité à embrasser ce que signifie réellement mettre la guerre en scène.
Narration sous silence
Il n’y a pas d’histoire dans Panzer Knights, seulement une succession de missions. Pas de voix, pas de mémoire, pas de chair. Le jeu déroule la Seconde Guerre mondiale comme une bande chronologique sur laquelle on saute d’une escarmouche à l’autre, du front de l’Ouest à la neige soviétique, sans jamais s’attarder. Pas de souffrance, pas de morale, pas de contexte. Le joueur est dans le char, et le reste est bruit.
Les personnages ? Ils existent à peine. Des visages d’illustration, souvent féminins, toujours figés. Ils parlent par bribes, par icônes, par injonctions. Le commandant donne un ordre, un officier répond. Ce sont des fonctions, pas des figures. Aucun dialogue marquant, aucun conflit intérieur, aucune réflexion sur la guerre qu’ils mènent. Et c’est peut-être le plus troublant : ce silence. Ce refus de dire ce qu’on montre. La guerre devient un décor de gameplay, un prétexte visuel, une toile de fond vidée de sens.
Il ne s’agit pas ici d’exiger un traité d’éthique dans un jeu de tank. Mais Panzer Knights, en mettant le joueur dans la peau d’un commandant allemand sans jamais interroger ce rôle, sans jamais donner la moindre friction narrative, choisit l’amnésie. Ce n’est pas un choix neutre. C’est un effacement.
Rien ne pèse. Rien ne lie. On avance parce qu’on peut. Et derrière la carlingue du Panzer, il n’y a personne.
Lillusion du commandement
À première vue, Panzer Knights semble offrir une simulation allégée, un compromis entre arcade et stratégie. Vous pilotez différents chars allemands, de la campagne de France à l’hiver russe, en naviguant entre embuscades, percées et objectifs à capturer. Chaque mission se structure autour d’un découpage classique : détruire l’ennemi, escorter un convoi, défendre une position. Mais très vite, le vernis tactique s’efface pour révéler une boucle de jeu monotone et creuse.
La promesse d’incarner un commandant fond sur l’absence d’enjeu réel. Il n’y a pas d’escouade à gérer, pas de logistique à penser, pas de décision à peser. Le gameplay se réduit à un enchaînement de tirs, d’esquives, de repositionnements mécaniques. Le tank, censé être une bête d’acier lourde et dangereuse, glisse comme un patin à glace. Le terrain, censé influencer la stratégie, n’est qu’un tapis peint, sans relief ni menace. On traverse les champs comme on avancerait sur un circuit, en contournant les vagues ennemies qui surgissent à heure fixe.
Le design des missions entretient cette sensation de routine. Les objectifs sont interchangeables, les cartes sans âme, les vagues ennemies scriptées jusqu’à l’ennui. Il n’y a ni surprise, ni tension, ni apprentissage. Le joueur ne s’adapte pas : il répète. Il tire, il recule, il avance, et recommence, jusqu’à la fin d’un niveau sans conséquences.
Même les variations de blindés — Panzer II, III, IV, Tiger — n’apportent que peu de changement dans la sensation de jeu. La cadence, la visée, les dégâts varient, mais la méthode reste identique. Ce ne sont pas des machines à maîtriser. Ce sont des skins de plus. Pas de gestion de l’équipage, pas de panne, pas de peur : tout est fluide, fonctionnel, désincarné.
C’est là que réside la contradiction fondamentale de Panzer Knights : vouloir faire croire au poids de la guerre tout en supprimant tout ce qui en fait la réalité. Pas de lenteur, pas de fracas, pas d’incertitude. Le tank est une souris dans un labyrinthe. Et la guerre, un bruit de fond.
Silhouettes de guerre et vacarme creux
L’esthétique de Panzer Knights n’a rien de réaliste. Elle ne cherche pas la reconstitution, elle ne s’intéresse pas à l’horreur, ni même à la beauté de la guerre. Ce qu’elle propose, c’est une abstraction douce, presque indifférente. Les tanks glissent sur des plaines vides, les bâtiments explosent comme des jouets, et la ligne de front est une image lisse, sans boue, sans sueur, sans cris. Tout semble flotter dans un monde aseptisé, où même les paysages ne laissent aucune trace. Pas de vent. Pas de poussière. Juste un terrain sans vie, quadrillé pour le combat.
La direction artistique hésite. Les personnages sont dessinés dans un style anime générique, figés dans leurs portraits, sans animation ni expression. Ils ne vivent pas, ils décorent. Les chars, eux, sont modélisés proprement mais sans passion. Ils manquent de texture, de poids, de patine. Il ne reste qu’un design fonctionnel, réduit à l’essentiel. Une silhouette, un canon, un skin.
Côté son, c’est pire. La guerre est sourde. Les tirs n’éclatent pas, ils murmurent. Les explosions ne secouent rien. Même les moteurs semblent hésiter à vrombir. On entend, mais on ne ressent jamais. Il n’y a aucun fracas, aucune saleté sonore, aucune tension. Tout est propre, comme si la guerre devait être polie. Même la musique, discrète jusqu’à l’oubli, semble fuir sa propre fonction. Pas de thème, pas de montée, pas de mémoire. Le champ de bataille devient un fond sonore, et le fond sonore, un silence étiré.
Il ne s’agit pas d’une faiblesse technique. Il s’agit d’un choix — ou d’un abandon. Panzer Knights ne veut pas que la guerre soit sale, bruyante, viscérale. Il veut qu’elle passe. Comme un diorama qu’on balaye des yeux, puis qu’on oublie.
Un jeu fonctionnel, sans colonne vertébrale
Panzer Knights tourne. C’est peut-être sa seule certitude. Aucun bug majeur, pas de plantage, des temps de chargement rapides : techniquement, il fait le minimum. Mais ce minimum est vide. Le jeu se contente d’une campagne solo rigide, sans multijoueur, sans coopération, sans mode de jeu alternatif. Une fois les missions terminées, il ne reste rien. Pas de système de progression. Pas de personnalisation. Pas de corps autour de la boucle.
L’interface, elle, trahit le manque d’attention. Menus rigides, traductions bancales, manette mal reconnue. Aucun effort sur l’accessibilité, aucun réglage pour adapter l’expérience. Tout est brut, livré sans soin, sans vision.
C’est un jeu qui fonctionne. Mais qui n’offre rien d’autre que ce qu’il montre : une carcasse d’acier roulant droit, sans pensée, sans détour, sans lendemain.
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