À une époque où l’industrie du jeu vidéo s’emballe dans une surproduction frénétique, Italic Pig prend le contrepied. Ce petit studio indépendant basé en Irlande du Nord revendique une éthique rare : pas de crunch, pas de pression, et une semaine de travail de quatre jours. Avec Paleo Pines, sorti le 26 septembre 2023 et édité par Modus Games, ces artisans engagés livrent leur projet le plus ambitieux : un jeu de ferme bucolique avec des dinosaures, pensé pour les enfants, les familles, ou simplement les amateurs de calme pastoral.
L’idée est charmante. L’univers est coloré, doux, et rempli de créatures préhistoriques mignonnes à souhait. Mais derrière ce vernis pastel, Paleo Pines révèle une structure incertaine, un cœur de gameplay mal calibré, et une expérience globale qui peine à savoir à qui elle s’adresse. À force de vouloir conjuguer pédagogie, relaxation et mécaniques issues des jeux de gestion classiques, le titre finit par se perdre dans un brouillard d’intentions brouillonnes – malgré quelques idées lumineuses.
Une vallée paisible, un dinosaure nommé Lucky
Paleo Pines n’a pas besoin de mystère ni de drame pour planter son décor. L’histoire commence simplement, avec un œuf trouvé, un dinosaure apprivoisé, et un départ vers une vallée isolée nommée Paléo-les-Pins. À vos côtés : Lucky, une femelle Parasaurolophus, trop massive pour la ville mais parfaitement à sa place dans cette campagne peuplée de créatures préhistoriques miniaturisées. Vous posez vos valises dans un ranch abandonné, prêt à bâtir une nouvelle vie au rythme des saisons et des bêlements jurassiques.
L’histoire suit une trame volontairement minimaliste : rencontrer les habitants, redonner vie au ranch, s’occuper de vos dinosaures, et surtout retrouver la famille de Lucky, fil rouge tendre et bienveillant de votre périple. L’intrigue n’a rien d’épique, mais elle assume son humilité, se contentant de jalonner l’exploration de quêtes légères et de micro-événements souvent liés à l’environnement ou à vos compagnons à écailles.
Les personnages secondaires sont peu nombreux – une dizaine à peine – mais bénéficient d’un traitement soigné. Leurs dialogues sont bien écrits, leurs traits de caractère distincts, leurs routines crédibles. Contrairement à d’autres productions où les PNJ pullulent sans consistance, Paleo Pines privilégie la qualité à la quantité. Chaque rencontre devient ainsi plus marquante, plus lisible, plus facile à intégrer dans un rythme de jeu détendu.
Cette rareté a cependant ses limites. L’absence totale de romance, la quasi-absence de relations évolutives, et l’inertie générale des dialogues finissent par figer l’ensemble. Certes, le jeu s’adresse avant tout aux enfants, et ces choix sont assumés, mais ils limitent aussi la profondeur de l’expérience sur le long terme.
Côté localisation, l’ensemble est entièrement traduit en français, avec des textes fluides… à une exception près : quelques lignes visiblement oubliées, qui laissent transparaître les couches anglaises d’origine. Un détail mineur, mais symptomatique du manque de finition générale du projet.
Dans l’ensemble, l’écriture de Paleo Pines fonctionne. Elle charme sans en faire trop, évite les pièges de la narration forcée, et laisse la place à l’imagination du joueur. Un conte de dinosaures simple, sans prétention, mais sincère.
Une ferme pleine d’idées… mais les mains dans les poches
Sur le papier, Paleo Pines coche toutes les cases du genre. Vous arrivez dans un ranch délabré, nettoyez les débris, plantez vos premières graines, construisez des enclos, répondez aux requêtes du village et partez à la rencontre de dinosaures sauvages à apprivoiser. Le cœur du gameplay repose sur un cycle classique : exploration, récolte, élevage, personnalisation. Mais c’est dans l’exécution que les choses se compliquent.
Dès les premières heures, une évidence s’impose : Paleo Pines est un jeu qui aime les détours inutiles. Le moindre geste – planter une graine, arroser, utiliser un outil – nécessite un enchaînement de manipulations absurde. L’inventaire, limité à 16 emplacements au départ, ne fait aucune distinction entre outils et objets. Pire : les outils occupent des emplacements fixes, réduisant encore votre capacité. Vous souhaitez semer ? Il faut ouvrir le menu, sélectionner la binette, refermer, creuser, rouvrir, choisir les graines, refermer, planter, réouvrir, prendre l’arrosoir, refermer, arroser. Une gymnastique désuète, qui transforme chaque action simple en manœuvre fastidieuse.
Ce défaut se prolonge dans la carte du monde, l’une des moins lisibles du genre. Elle est jolie, certes, mais elle manque de repères, d’icônes, d’indications, et surtout de lisibilité. Votre position est représentée par un petit cercle rouge invisible sur fond pastel. Aucun PNJ n’est indiqué, aucun lieu nommé, aucun filtre n’est disponible. Trouver la maison de Mari ou la localisation d’un objectif devient un exercice de mémoire ou de hasard – et ce, dans un jeu censé être pensé pour les plus jeunes.
L’approche des dinosaures sauvages repose sur une idée charmante : une flûte, avec laquelle vous dialoguez en jouant des notes plus ou moins longues. Le concept est original, mais là encore, la lourdeur des commandes nuit à l’immersion. Une fois apprivoisés, vos compagnons vous aident dans vos tâches agricoles : labourer, casser des pierres, porter du matériel. Plus ils travaillent, plus ils progressent, plus ils vous aiment. Sur ce point, la mécanique d’élevage est simple, efficace, et gratifiante.
Mais l’enthousiasme retombe vite. Le journal de recherche, qui permet de consigner vos découvertes, est inutilisable à dos de dinosaure. Chaque note demande de descendre, d’ouvrir un menu, de maintenir une touche, de le ranger, de remonter… une nouvelle cascade de manipulations qui aurait pu être simplifiée d’un bouton. Cette rigidité constante donne le sentiment que chaque bonne idée a été piégée par son exécution.
Enfin, le jeu introduit une barre d’endurance aussi inadaptée que pénalisante. Elle se vide pour tout : marcher, courir, travailler. Et si elle tombe à zéro, vous ne pouvez plus rien faire. Certes, vous ne vous évanouissez pas, mais cela coupe net le rythme, sans justification pédagogique, surtout pour un jeu destiné à un public jeune. Là où tant d’autres titres ont retiré cette contrainte, Paleo Pines choisit de la maintenir – sans l’équilibrer.
Le paradoxe est cruel : sous ses airs inoffensifs, Paleo Pines affiche un game design archaïque, parfois même punitif dans sa lourdeur. Un monde adorable, mais des mécaniques coincées dans une époque où l’ergonomie était secondaire.
Une vallée peinte au pastel, bercée de flûtes
Visuellement, Paleo Pines mise sur une direction artistique douce et enveloppante, construite autour de formes arrondies, de textures pastel et de créatures aux regards bienveillants. Tout ici respire la tranquillité : prairies verdoyantes, bois feutrés, rochers arrondis, dinosaures miniatures et sans menace. Chaque zone de la vallée Verdoyante est pensée pour être accueillante, presque rassurante, et cette intention se reflète dans chaque recoin.
Le style graphique, volontairement simpliste, assume son minimalisme : les détails sont peu nombreux, les effets de lumière limités, les animations rudimentaires… mais l’ensemble conserve une cohérence visuelle constante. Il ne s’agit pas d’impressionner, mais d’apaiser. Les dinosaures, tous redessinés dans un style cartoon, sont immédiatement reconnaissables, attachants, et suffisamment variés pour alimenter la curiosité sans jamais inquiéter les plus jeunes.
Côté technique, le jeu tourne de manière stable sur Xbox Series, sans ralentissements notables ni bug majeur. Les temps de chargement restent modérés, même lors des transitions entre grandes zones. Mais cette stabilité s’accompagne d’un certain gâchis de potentiel artistique : les paysages peinent à se renouveler, les arrière-plans se répètent, et les intérieurs manquent cruellement de vie. À force de lisser ses formes, Paleo Pines finit par lisser aussi ses émotions.
La bande-son, en revanche, fait mouche. Composée de mélodies calmes, de nappes discrètes et de bruitages feutrés, elle accompagne l’exploration sans jamais la dominer. Les musiques ne cherchent pas à marquer, mais à envelopper, à se fondre dans l’ambiance générale. Un accompagnement musical doux, apaisant, et parfaitement en phase avec la philosophie du jeu.
Les effets sonores, eux, remplissent leur rôle sans éclat. Pas de doublage, pas de cris, pas de voix hors champ : tout se joue dans les petits bruits du quotidien – bruissements d’herbe, pas sur la terre, froissement des feuillages. L’immersion repose sur cette absence de sur-stimulation, qui renforce l’effet “chill” revendiqué par l’ensemble.
Côté localisation, la quasi-totalité du texte est traduite en français, avec une qualité d’écriture correcte, bien adaptée au ton léger du jeu. Quelques lignes oubliées en anglais, certes, mais rien qui vienne gâcher durablement l’expérience.
Paleo Pines est une œuvre visuelle modeste, mais sincère. Elle ne cherche jamais la performance, mais vise la cohérence. Et dans ce registre, elle réussit son pari : offrir un monde accueillant, doux, et visuellement rassurant, même si cela se fait au prix d’une certaine monotonie.
De bonnes intentions piégées dans un monde trop figé
Paleo Pines affiche une philosophie claire : zéro stress, zéro punition, zéro pression. Aucun Game Over, aucun combat, aucun échec possible. Le temps s’écoule lentement, les journées sont longues, les saisons n’apportent aucun bouleversement. Le jeu se vit comme une promenade continue, où l’on fait les choses à son rythme, sans autre impératif que celui que l’on choisit soi-même. Une idée louable, surtout pour un public jeune, mais qui se heurte à des mécaniques sous-exploitées.
L’un des exemples les plus flagrants concerne la gestion de la ferme. Si l’on peut construire, planter, déplacer des objets et personnaliser à loisir son ranch, l’absence d’évolution réelle ou de danger dilue l’intérêt de ces systèmes. Il n’y a aucun besoin économique structurant, aucune vraie dynamique d’amélioration. Les enclos ne servent qu’à loger vos dinosaures, et les cultures rapportent de l’argent… mais dans un monde où les dépenses restent marginales, la motivation faiblit.
Le jeu propose également un panneau de quêtes communautaires, façon tableau d’affichage. Les demandes sont simples : livrer du bois, retrouver un objet, faire le messager entre deux PNJ situés à trois mètres l’un de l’autre. Mais la répétitivité des tâches, combinée à l’absence de véritables récompenses structurantes, les rend rapidement accessoires. On répond aux requêtes, non par envie, mais par habitude. Et là encore, l’absence de variété ou d’aléatoire nuit à la sensation de progression.
Plus problématique encore, le jeu multiplie les bonnes idées mal exploitées. La flûte pour apprivoiser les dinosaures ? Géniale… mais rapidement répétitive, sans véritable montée en complexité. Le journal de découvertes ? Excellent principe… rendu pénible par des manipulations inutiles. Le système d’expérience des dinos ? Prometteur, mais bridé par un cycle de jeu trop lent et mal rythmé.
La maniabilité, elle, reste un obstacle constant. Placer un objet, ramasser un fruit, interagir avec un élément du décor nécessite souvent plusieurs tentatives, la faute à des collisions mal gérées, un manque de précision dans les hitboxes, et des animations qui peinent à se déclencher de manière fluide. Ces micro-irritations s’accumulent au fil des heures, ternissant peu à peu l’expérience.
Enfin, l’absence de vrai contenu en fin de jeu limite l’engagement sur la durée. Pas de donjon secret, pas de transformation du ranch, pas de grands projets à atteindre. Une fois Lucky bien installée et quelques dinos apprivoisés, l’essentiel de l’aventure a déjà été vécu. Ce qui reste : de la décoration, de la routine, et une boucle de gameplay trop mince pour nourrir les joueurs au-delà d’une quinzaine d’heures.
Paleo Pines aurait pu être un havre. Il reste un prototype charmant, plein de tendresse, de douceur, et de petites idées bienveillantes, mais prisonnier de ses maladresses structurelles.
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