Operation Serpens, développé par Ginra Tech et sorti le 22 mars 2021 sur Meta Quest 3, ne cherche pas la finesse. Il vous catapulte les deux pieds en avant dans un délire de balles, de lunettes de soleil et de clichés sur pattes, où le scénario tient sur un post-it froissé au fond d’un gilet pare-balles.
Ici, vous êtes un soldat d’élite, membre d’une escouade de justiciers stéroïdés bien décidés à éradiquer un cartel international aux intentions vagues mais manifestement hostiles : les Serpents. Tout ce qui compte, c’est de tirer — vite, souvent, et avec un sourire carnassier.
Mais derrière cette façade assumée de série B, Operation Serpens tente aussi une chose rare : reproduire l’immédiateté et la nervosité d’un rail shooter rétro dans l’espace VR, avec une logique de scoring, des mouvements automatisés et une progression à l’ancienne.
La nostalgie suffit-elle à supporter le poids d’une formule datée ? Ou la VR offre-t-elle enfin à ce genre explosif un nouveau terrain de jeu à la hauteur de ses ambitions les plus bruyantes ?
Un scénario sous stéroïdes, des visages en carton
Il y a des jeux où le scénario est un moteur narratif. Et puis il y a Operation Serpens, où le scénario est un prétexte, un éclat de rire gras balancé entre deux rafales de M16. Vous ne suivez pas une intrigue : vous traversez une caricature, à coups de bottes militaires et de punchlines surgonflées.
Vous incarnez un soldat muet, nouveau venu dans l’escouade Serpens Slayers, une unité d’élite aussi crédible qu’un film d’action direct-to-VHS. Votre mission : anéantir une organisation criminelle vaguement reptilienne, dans une succession de missions allant de la jungle stéréotypée aux centres urbains sur-armés, en passant par une base secrète où l’infiltration tient plus du jeu de massacre que de l’opération chirurgicale.
Il n’y a pas de personnage à proprement parler, mais plutôt des silhouettes — un sergent qui beugle des ordres, un médecin de terrain obsédé par ses seringues, un sniper bavard. Tous parlent avec des voix volontairement outrancières, surjouées jusqu’au burlesque. Les dialogues sont à mi-chemin entre la parodie assumée et l’écriture automatique, ponctués de “Yeah!”, “Lock and load!” et autres banalités d’actioner pixelisé.
Mais paradoxalement, c’est cette absence d’épaisseur qui fait la force du jeu. Operation Serpens ne ment pas sur ce qu’il est. Il ne cherche pas à vous émouvoir, ni à raconter un arc tragique. Il vous jette dans un théâtre de pantins armés jusqu’aux dents, et vous dit simplement : amuse-toi.
Cela dit, cette dérision permanente a aussi ses limites. À force de tourner tout en dérision, le jeu évacue toute forme de tension dramatique. Il n’y a jamais d’enjeu. Jamais de poids. Chaque mission est une variation sur le même ton — ce qui finit par rendre l’expérience monotone sur la durée, même si l’humour tente désespérément de masquer la répétition.
On aurait pu imaginer que la VR donne à ces personnages plus de présence, plus de chair, plus de regard. Mais ils restent figés, presque décoratifs, avec des animations minimales et des expressions faciales rigides. Dans un médium où la proximité et l’illusion de présence sont fondamentales, c’est une occasion manquée.
Operation Serpens ne raconte rien. Il mime. Il gesticule. Il hurle dans un mégaphone. Et dans ce chaos volontairement crétin, certains trouveront une liberté jubilatoire. D’autres, juste un vacarme sans mémoire.
Le tir, la sueur, et le surplace
Dans Operation Serpens, tout est affaire de réflexes. Vous n’avancez pas, vous êtes déplacé. Le jeu vous propulse de point fixe en point fixe, à la manière d’un rail shooter d’arcade des années 90, et à chaque arrêt : une vague d’ennemis à exterminer. Pas de tactique. Pas de détour. Juste du tir rapide, constant, jusqu’à saturation.
Votre arsenal est large : fusils d’assaut, revolvers, grenades, sniper, mitrailleuse lourde… Chaque arme est saisissable physiquement grâce aux contrôleurs du Meta Quest 3, avec un système de rechargement semi-automatisé. Le feeling des armes est convenable mais peu nuancé : les sons parfois mous, et l’absence de véritable poids ou feedback fait que chaque arme finit par se ressembler, malgré des designs variés.
Les ennemis arrivent par vagues simples, sans intelligence particulière. Ils courent, s’exposent, et tombent. Ce n’est pas une critique de leur IA : c’est la règle du jeu. Serpens ne cherche pas à simuler un affrontement crédible, mais à reproduire l’intensité binaire d’une borne d’arcade. La difficulté monte en volume, pas en complexité : plus d’ennemis, plus de balles à l’écran, plus de bruit.
Le level design suit cette logique : couloirs étroits, toits plats, zones de tir balisées, toujours organisées autour de l’idée de “séquence” plutôt que de véritable espace. On vous place, vous tenez la position, on vous déplace. Certains décors sont interactifs — explosifs, barils, éléments destructibles — mais l’ensemble reste rudimentaire. Aucune verticalité réelle, aucune approche alternative. Tout est pensé pour le front, le face, l’attaque.
Et c’est là que la critique surgit. Car si la formule fonctionne — et elle fonctionne —, elle s’épuise vite. Operation Serpens est intense pendant une mission. Deux, peut-être. Mais au bout de la troisième, vous avez déjà tout vu, tout senti, tout entendu. Le gameplay ne se renouvelle pas. Les vagues deviennent mécaniques. Le rire de l’excès se fige dans la lassitude.
La prise en main VR, elle, est propre. Les gestes sont reconnus sans latence, le calibrage fonctionne bien, et le jeu est accessible dès les premières minutes. C’est là sa force principale : l’immédiateté. Vous entrez, vous tirez, vous souriez (un peu). C’est efficace. Mais superficiel.
Pas de personnalisation poussée. Pas de progression. Les missions se débloquent, les niveaux se répètent, les scores s’accumulent. Le tout donne l’impression d’un jeu mobile gonflé à la testostérone, fun sur une session, vite oublié après.
Pixel camo et hard rock compressé
Operation Serpens n’a pas de direction artistique. Il a un ton. Un style criard, assumé, volontairement primaire. Tout est là pour évoquer les blockbusters de série B, entre soldats musclés, explosions XXL et clins d’œil constants aux films d’action des années 80. La palette est saturée, les contrastes sont durs, les décors s’étendent entre bases militaires, jungles synthétiques et villes génériques. Ce n’est pas laid — c’est bêtement fonctionnel.
Les modèles 3D sont anguleux, rigides, caricaturaux, à la limite du cartoon. Les ennemis sont des clones interchangeables, parfois délibérément absurdes : soldats à lunettes, kamikazes, clowns psychopathes. On sent que Ginra Tech n’a jamais voulu viser le réalisme : l’important, c’est l’impact visuel immédiat, la lisibilité du champ de bataille. Et là-dessus, le contrat est rempli.
Mais si ce minimalisme graphique fait parfois mouche par son second degré, il trahit vite ses limites sur Meta Quest 3. Le jeu tourne à 90 fps constants — un bon point pour le confort VR — mais les textures sont pauvres, les effets de lumière quasi inexistants, et les animations datées. Certains modèles glitchent en combat rapproché, les cadavres ennemis tombent de manière rigide et comique, et l’absence de détails dans les environnements finit par effacer toute sensation de présence réelle.
Côté sonore, le constat est le même : efficace, bruyant, mais sans nuance. La bande-son, entre rock métal synthétique et riffs électro génériques, accompagne les missions avec énergie, mais devient vite redondante, recyclant les mêmes boucles à chaque confrontation. Les bruitages des armes sont corrects, sans être marquants. L’explosion d’un baril, le claquement d’un fusil, la détonation d’un RPG : tout sonne comme un effet sonore d’archive, compressé et répétitif.
Le doublage, quant à lui, assume le surjeu. Le sergent hurle, les coéquipiers beuglent, les ennemis insultent dans des langues improbables. C’est drôle une fois. Peut-être deux. Mais l’humour sonore finit par étouffer sous son propre volume.
En VR, la réussite audiovisuelle repose souvent sur l’équilibre subtil entre immersion et clarté. Ici, Operation Serpens choisit la clarté. Il veut que vous voyez tout, entendiez tout, réagissiez vite. Mais ce faisant, il renonce à vous faire ressentir quoi que ce soit. Tout est lisible, rien n’est mémorable.
Une cartouche bien tirée, mais vite consommée
Sur Meta Quest 3, Operation Serpens se présente comme un jeu VR facile d’accès, léger à lancer, rapide à jouer. Il tient en quelques gigaoctets, se charge en un clin d’œil, et vous propulse dans l’action dès les premières secondes. Cette immédiateté est l’un de ses points forts : pas de menus complexes, pas d’options superflues, juste un QG, une map de missions, et des flingues à foison.
Techniquement, le jeu tourne de manière fluide, avec un framerate stable à 90 fps, même en pleine explosion. Le tracking est précis, les mouvements sont bien reconnus, et les interactions basiques (tir, rechargement, changement d’arme) ne souffrent d’aucune latence. C’est propre, solide, sans bavure. Mais aussi sans surprise.
Les options d’accessibilité sont quasi inexistantes. Aucune assistance visuelle, pas de paramétrage ergonomique pour joueurs gauchers, pas de filtres de confort visuel. Il est possible de choisir entre locomotion libre et téléportation, mais au-delà, le jeu ne propose aucun outil de personnalisation avancée.
Sur le plan du contenu, Operation Serpens propose trois campagnes solo, chacune constituée de plusieurs missions successives. À cela s’ajoutent un mode horde, des mini-jeux, un stand de tir et un mode coopératif en ligne, jouable jusqu’à 4. C’est là que le jeu reprend un peu d’air : le multijoueur, sans être révolutionnaire, fonctionne bien, avec un matchmaking simple, une bonne lisibilité de l’action, et un plaisir immédiat à faire le carnage à plusieurs.
Mais ce contenu, aussi honnête soit-il, s’épuise vite. Les campagnes se bouclent en 3 à 4 heures. Les missions se répètent. Le mode horde est une montée en difficulté sans fin, mais sans enjeu ni progression motivante. Pas de personnalisation d’avatar, pas de système de loot ou de progression, pas d’évolution de gameplay. Ce que vous faites à la première minute du jeu, vous le faites encore trois heures plus tard. En VR, le plaisir mécanique pur a besoin d’une enveloppe. Ici, elle manque.
Enfin, la rejouabilité repose entièrement sur le scoring, les classements en ligne et la coopération. Pour les amateurs d’arcade pure, cela suffira. Pour les autres, le jeu manque cruellement d’une deuxième couche, que ce soit narrative, structurelle, ou simplement sensorielle.
Operation Serpens est un jeu qui va droit au but. Mais une fois que vous avez tiré toutes vos balles, il ne reste qu’une douille vide, et un sourire un peu fatigué.
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