Développé par ILCA et édité par Bandai Namco, One Piece Odyssey est sorti le 10 janvier 2023 sur Xbox Series, avec une promesse ambitieuse : offrir aux fans de la saga d’Eiichiro Oda une aventure inédite, racontée sous la forme d’un J-RPG traditionnel.
Soutenu par une équipe prestigieuse, incluant le mangaka lui-même à la supervision et Motoi Sakuraba à la composition, le jeu revendique une fidélité rare à son matériau d’origine. Mais dans un genre où la forme ne suffit plus, cette traversée en eaux connues parvient-elle à faire vibrer autre chose que la corde nostalgique ?
Un théâtre bien dressé pour des acteurs que l’on connaît déjà
One Piece Odyssey s’ouvre sur un naufrage. L’équipage du Chapeau de Paille, propulsé par une tempête vers l’île mystérieuse de Waford, se retrouve privé de ses pouvoirs, confronté à une nouvelle ennemie, et engagé dans une quête de mémoire, de rédemption et de réactivation. Une intrigue inédite, mais qui s’ancre habilement dans la mythologie du manga, entre temporalité flottante et retour sur les grands arcs narratifs.
Le scénario fait le choix d’une structure en miroir : revivre les souvenirs des arcs emblématiques (Alabasta, Water Seven, Marineford…) pour mieux reconstruire l’équipage. Ce procédé, évident sur le papier, fonctionne avec justesse grâce à l’introduction de Lim, personnage original servant de pivot narratif. Amnésique du lore, elle devient le relais du joueur néophyte, légitimant chaque explication, chaque rappel, chaque émotion ressuscitée.
Mais cette efficacité cache une limite : le récit ne prend aucun risque. L’antagonisme est attendu, les retournements balisés, les archétypes réaffirmés sans nuance. On devine, dès les premières minutes, qui trahira, qui survivra, qui disparaîtra. Rien ne dépasse. Le scénario ne vise pas l’inédit, mais le réconfort de la répétition maîtrisée.
La caractérisation des membres de l’équipage reste fidèle : Luffy l’instinctif, Zoro le stoïque, Usopp l’angoissé, Nami la stratège. Tous répondent à leurs archétypes avec une rigueur presque documentaire. Mais cette rigueur fonctionne, portée par des dialogues fluides, un ton juste, et une volonté claire de ne jamais perdre le joueur, qu’il soit initié ou non.
L’ensemble est bien rythmé, jamais confus, ponctué de moments d’humour, de tension et de nostalgie parfaitement dosés. Mais à trop vouloir rassurer, le jeu évite la prise de parole propre, le risque narratif, la fissure qui fait vaciller.
C’est un récit efficace, balisé, généreux, mais jamais dangereux. Une histoire qui vous emmène exactement là où vous l’attendez.
Un RPG cousu main pour ceux qui ne veulent jamais perdre
Le système de combat de One Piece Odyssey est, sur le papier, l’une des réussites les plus notables du jeu. Tourné vers le tour par tour, il intègre avec intelligence une série de mécaniques issues des J-RPG classiques : changement de personnage à volonté, faiblesses élémentaires, types opposés en triangle (Force, Vitesse, Technique). Chaque affrontement devient une séquence de placement, de rotation stratégique, de choix optimal. Et la lisibilité est totale : toutes les informations sont à l’écran, constamment actualisées, jusqu’à faire de la victoire un simple exercice d’exécution.
Mais ce système brillant dans sa conception est anéanti par une absence totale de difficulté. Très vite, les combats s’enchaînent sans résistance. Les ennemis tombent avant même d’agir. Les boss fondent en deux tours. La mécanique du changement d’allié devient un automatisme sans enjeu. Le joueur, surpuissant, déroule sa logique sans jamais être inquiété.
L’équilibrage, ici, n’existe que pour garantir la fluidité. Pas le défi. Et c’est là le paradoxe fondamental du jeu : proposer un système tactique solide dans un environnement où la tactique est superflue. Même les affrontements scénarisés — censés relever un peu le niveau — échouent à maintenir la pression. Le plaisir du combat s’érode à force de dérouler une machine trop bien huilée.
L’exploration, de son côté, est semi-dirigée, semi-ouverte, dans une structure de zones cloisonnées reliées par des couloirs. Chaque environnement, de taille modeste, est parcouru à l’aide des capacités uniques des membres de l’équipage. Zoro coupe les obstacles, Usopp vise les cibles, Chopper rampe dans les passages étroits. Mais cette idée, séduisante en apparence, échoue dans son exécution.
Plutôt que d’activer les capacités de manière contextuelle, le jeu oblige à changer manuellement de leader dans un menu. Et ce changement, répété toutes les dix secondes pour ouvrir un coffre ou atteindre une plateforme, casse le rythme, fatigue le geste, nuit à l’immersion.
Les quêtes annexes sont rares, peu développées. L’exploration ne propose que peu de variations. Les secrets sont prévisibles, les zones, trop souvent recyclées. Et malgré une volonté visible d’enrichir l’univers, One Piece Odyssey reste un jeu profondément balisé, qui guide plus qu’il ne suggère, confirme plus qu’il ne provoque.
Ce n’est pas un mauvais système. C’est un bon système vidé de son urgence.
Un hommage visuel dans une vitrine trop propre
D’un point de vue esthétique, One Piece Odyssey est une déclaration d’amour au matériau d’origine. Les techniques des personnages sont reproduites plan pour plan, les effets visuels reprennent avec fidélité les codes de l’anime, les poses de combat sont identiques aux références connues. L’angle de caméra, le ralenti au bon moment, la gestuelle des attaques spéciales : tout a été reconstitué avec une précision presque obsessionnelle.
Le travail sur les animations de combat, les expressions faciales, les transitions entre les scènes montre une attention constante à la cohérence stylistique. Ce n’est pas une adaptation libre, c’est un transfert méticuleux, pensé par des fans pour des fans. Et dans ce cadre précis, le jeu excelle.
La direction artistique est tout aussi fidèle. Les décors respectent l’esthétique du manga, les couleurs saturées, les silhouettes caricaturales, les créatures grotesques. Mais cette fidélité s’accompagne aussi de ses limites : les environnements sont souvent plats, répétitifs, parfois vides. Certains décors recyclent les mêmes assets d’un arc à l’autre. La sensation d’émerveillement cède à la routine au bout de quelques heures.
Techniquement, le jeu reste globalement stable, mais souffre de chutes de framerate ponctuelles, notamment lors des séquences chargées en effets ou en ennemis. Ces ralentissements ne nuisent pas gravement à l’expérience, mais trahissent une optimisation incomplète, surtout pour un titre aussi mis en avant.
La bande-son, composée par Motoi Sakuraba, joue une partition cohérente. Les morceaux de combat sont dynamiques, les thèmes de zone bien identifiés, et les instants narratifs bénéficient d’un accompagnement musical sobre mais efficace. Ce n’est pas une bande originale inoubliable, mais elle soutient avec constance le rythme du jeu.
Les voix japonaises conservent leur qualité d’interprétation. Le doublage est précis, aligné avec le ton de la série, mais le mixage reste parfois inégal, avec des répliques qui manquent de profondeur ou de relief sonore selon les zones.
One Piece Odyssey n’impressionne pas par sa technologie. Il séduit par sa fidélité, son exactitude, son respect de l’œuvre. Et ce respect, dans une industrie souvent prompte à trahir pour séduire, est en soi un geste fort.
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