Développé en solo par Tag:hadal et publié sur PC le 17 février 2025, NobodyNowhere vous plonge dans un futur où les ruines technologiques s’entrelacent aux fragments d’humanité oubliée. Ce jeu narratif en 2D, d’inspiration chinoise cyberpunk, mêle aventure textuelle, exploration latérale et puzzles sensoriels, dans un monde où les machines ont remplacé les souvenirs et où chaque pas semble être celui d’un survivant effacé.
Mais cette odyssée de silence et de pixels parvient-elle à recomposer une mémoire, ou ne fait-elle que dériver entre deux illusions ?
Des voix fracturées dans une cité sans nom
NobodyNowhere s’ouvre sur l’absence : vous incarnez un être sans mémoire, sans visage, abandonné dans un monde automatisé, où les humains semblent avoir disparu ou s’être fondus dans la machine. Ce point de départ minimaliste s’élargit peu à peu à travers des fragments de dialogues, des modules textuels et des visions cryptées, jusqu’à former un récit aussi dense que volontairement fragmenté.
L’histoire ne se raconte pas, elle se décrypte. Chaque environnement visité – laboratoires, ruines industrielles, sanctuaires technologiques – contient des bribes de journaux numériques, des traces de conscience artificielle, des protocoles brisés. Le récit se construit à travers la lecture, l’interprétation, l’attention aux symboles, comme une archéologie du désastre.
Les personnages que vous croisez – IA résiduelles, modules errants, voix désincarnées – ne parlent jamais directement. Ils s’expriment par le biais d’interfaces brisées, de messages partiels, d’émotions synthétiques. Aucun visage, aucun corps : NobodyNowhere travaille l’anonymat comme une mécanique narrative, où chaque interlocuteur semble à la fois miroir, parasite et mémoire corrompue.
Votre propre identité est en jeu : êtes-vous un humain oublié ? Une machine en quête de sens ? Une simple anomalie dans un système qui refuse de mourir ? Le jeu ne donne jamais de réponse claire, préférant laisser les interprétations coexister, comme un palimpseste d’histoires possibles.
La langue, omniprésente, oscille entre poésie algorithmique et froideur informatique. Chaque ligne de texte semble pesée, chargée de non-dits, de faux-semblants, de ruptures syntaxiques. C’est une écriture exigeante, qui assume l’opacité comme forme d’implication.
NobodyNowhere ne raconte pas une histoire au sens classique. Il propose une traversée de mémoires éteintes, un dialogue avec l’absence, où les personnages ne sont plus que des résidus d’intention. Une tragédie désincarnée, dans un monde qui ne sait plus pourquoi il continue de tourner.
Un labyrinthe tactile où chaque pas redéfinit le réel
Le gameplay de NobodyNowhere repose sur une structure hybride, mêlant exploration latérale, interactions textuelles et résolutions d’énigmes dans un monde semi-ouvert. Vous progressez sans combat, sans inventaire au sens classique, mais avec une série d’outils cognitifs : lecture contextuelle, manipulation d’interfaces, activation de protocoles et déchiffrement de logiques fracturées.
Chaque zone fonctionne comme un environnement clos à décrypter, à la manière d’un escape game narratif. Il ne s’agit pas de trouver une clé, mais de comprendre la structure mentale d’un système, d’un lieu, d’un fragment de mémoire. Certaines portes s’ouvrent par séquence de symboles, d’autres par activation de souvenirs partagés, d’autres encore par choix sémantiques dans un dialogue-machine.
L’exploration n’est jamais passive. Chaque salle, chaque interface, chaque terminal vous confronte à une forme de lecture active : comprendre ce qu’on vous dit, ou ce qu’on ne vous dit pas. Rien n’est surligné, aucun objectif n’est clairement affiché. Vous avancez à l’intuition, en construisant votre propre carte mentale du lieu.
Le level design est circulaire, non linéaire, souvent composé de nœuds narratifs où plusieurs pistes s’entrecroisent. Certains éléments changent après des actions invisibles. D’autres restent bloqués si vous avez omis une information plus tôt. Le jeu ne vous punit pas brutalement, mais vous laisse dans l’incertitude, vous forçant à revenir, à reconsidérer, à lire autrement.
Pas de HUD, pas de mini-carte, pas d’objectifs clairs. C’est une errance volontairement désorientée, où le sentiment de perte devient un outil ludique. Même les zones connues semblent changer subtilement selon votre progression, comme si l’univers s’adaptait à votre présence – ou vous effaçait à mesure que vous le comprenez.
La maniabilité au clavier est fluide, minimaliste : vous marchez, interagissez, consultez. Mais chaque action a du poids, chaque terminal a son langage, chaque code son ambiguïté. Pas de tutoriel explicite. Vous apprenez par immersion. Ou vous échouez sans comprendre.
NobodyNowhere propose une forme de gameplay où la lecture est l’acte principal, et l’exploration une projection mentale. Vous ne jouez pas un héros : vous êtes une fracture dans une mémoire automatisée.
Des pixels meurtris dans un silence algorithmique
La direction artistique de NobodyNowhere repose sur une esthétique pixel art minimaliste, mais d’une densité émotionnelle rare. Chaque décor, chaque interface, chaque architecture déchue semble construit non pour plaire, mais pour inquiéter par le vide, par la répétition, par l’absence d’échelle humaine. Vous ne traversez pas un monde vivant : vous vous enfoncez dans une mécanique morte, mais encore tiède.
Les teintes sont sourdes : gris froid, cyan artificiel, rouille figée. Pas de végétation, pas de ciel, pas d’eau. L’environnement entier semble simulé, suspendu, comme si la nature avait été désinstallée. Le pixel art, loin du charme rétro habituel, devient ici vecteur d’angoisse informatique, rappelant Signalis ou World of Horror, mais dans une tonalité encore plus désincarnée.
Chaque animation est lente, délibérée, saccadée. Les personnages ne bougent pas : ils dérivent. Les machines ne s’activent pas : elles frémissent. Ce refus de la fluidité crée une matière visuelle lourde, presque poisseuse, renforcée par une absence quasi totale de feedback immédiat. Quand une porte s’ouvre, c’est dans un souffle. Quand un texte apparaît, c’est par déchirement.
La bande-son, composée de nappes industrielles, de drones étouffés, de pulsations électroniques, fonctionne comme une respiration inversée. Elle se fait oublier, puis revient en masse. Il ne s’agit pas de musique au sens mélodique : ce sont des paysages sonores de ruine, des strates de fréquences entrecoupées de silences déstabilisants. Certains moments n’ont aucun son pendant plusieurs minutes, renforçant la tension d’un monde qui se désagrège sans bruit.
Les bruitages sont rares, mais incisifs : un bip sec, un grésillement, une réverbération anormale. Le jeu joue sur le dérèglement sonore comme vecteur d’inconfort. Ce n’est jamais un cri, toujours une absence. Même les interfaces ont un son propre, un langage auditif qui vous désoriente peu à peu.
Visuellement et auditivement, NobodyNowhere est un jeu qui refuse l’immersion classique. Il ne veut pas que vous vous perdiez dans un monde crédible, mais que vous vous demandiez pourquoi ce monde refuse de se laisser lire. Une esthétique du bug, de la ruine, de l’écho d’une mémoire numérique que personne ne réclame plus.
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