Trois maîtres kidnappés, un vilain au nom risible, des portails temporels sortis d’un épisode bas de gamme de Power Rangers, et quatre enfants qui doivent réparer l’histoire à grands coups de poings : Ninja Kidz: Time Masters ne fait pas dans la subtilité. Développé autour d’une licence YouTube visant les très jeunes publics, et publié par Selecta Play sur Nintendo Switch le 29 septembre 2023, ce beat’em up entend offrir une aventure rythmée, colorée, et accessible.
Mais derrière cette façade calibrée pour les rayons des grandes surfaces, le titre cache-t-il une vraie proposition ludique, ou seulement un enrobage promotionnel conçu pour écouler du contenu dérivé à la rentrée scolaire ?
Une intrigue jetable pour héros interchangeables
Le scénario de Ninja Kidz: Time Masters repose sur une ligne narrative aussi fine que tirée par les cheveux : le docteur Disaster a enlevé trois maîtres des arts martiaux et les a dispersés dans des époques différentes, justifiant un enchaînement de niveaux sans cohérence. Le joueur incarne un groupe d’enfants ninja censés voyager à travers le temps pour les sauver. Mais aucune tension dramatique, aucune surprise scénaristique, aucune construction d’univers ne vient donner corps à cette mission.
Les dialogues, entièrement en anglais, se limitent à quelques échanges illustrés par des portraits en faux style manga. Les personnages sont dénués de personnalité propre, réduits à des archétypes plats, sans distinction réelle en dehors de leur apparence ou de l’arme qu’ils utilisent. Aucun développement, aucune interaction notable, aucun trait marquant ne permet de s’y attacher. Le jeu se contente d’enchaîner des situations sans incidence, où les enjeux sont aussitôt posés que balayés.
L’unique point notable reste la direction artistique des portraits lors des rares phases dialoguées, qui affiche un certain soin graphique. L’animation est sobre, les dessins sont lisibles et colorés, et la mise en scène, bien que sommaire, tente d’imiter les codes du manga pour dynamiser les échanges. Mais ces efforts visuels ne suffisent pas à masquer l’inanité du propos, ni à compenser l’absence totale d’écriture.
Ninja Kidz: Time Masters ne propose aucune narration digne de ce nom, seulement une suite de prétextes vaguement liés entre eux pour justifier les combats. Ce manque d’ambition scénaristique condamne d’emblée l’expérience à l’oubli, même pour un jeune public.
Un beat’em up au bout du rouleau
Ninja Kidz: Time Masters se présente comme un beat’em up à défilement horizontal à l’ancienne. Mais dès les premières secondes de jeu, la réalité s’impose : tout est réduit à l’essentiel, puis dilué jusqu’à l’épuisement. Vous avancez, tapez, sautez, activez une attaque spéciale, et recommencez. Aucun combo à apprendre, aucun système de verrouillage, aucun feedback mécanique n’enrichit l’action. Le cœur du gameplay repose sur une répétition brute d’animations rigides, sans timing ni impact.
Les quatre protagonistes jouables sont strictement identiques en dehors de leur sprite et de leur arme. Aucun n’offre une variation de style, de portée, de vitesse ou d’effet. Ce faux choix aggrave encore la sensation de monotonie, surtout dans un jeu qui peine à proposer des situations variées. Les ennemis – peu nombreux – réapparaissent sans fin, souvent avec les mêmes patterns, les mêmes animations recyclées, et les mêmes coups reçus sans réaction visible.
Le level design suit une structure figée : quatre biomes composés de niveaux linéaires aux décors interchangeables. Aucun embranchement, aucun obstacle, aucun élément interactif ne vient rompre la marche en avant. Les environnements sont recyclés d’un stage à l’autre, au point de créer une confusion visuelle sur la progression réelle. Les boss, peu inspirés, se contentent d’enchaîner des attaques télégraphiées et prévisibles. Le défi est inexistant, l’ennui immédiat.
Le jeu propose quatre « modes » distincts, mais cette segmentation ne change rien au contenu réel. Le mode histoire constitue l’essentiel de l’expérience ; les autres – Boss Rush, Quick Game, et Challenge – ne sont que des variantes artificielles. Le soi-disant mode Challenge recycle des niveaux déjà traversés, sans modifier les conditions de jeu, ni introduire de nouvelles mécaniques.
Le seul point partiellement positif réside dans la présence d’un mode multijoueur local jusqu’à quatre, qui permet de traverser l’aventure en coopération. Mais même dans cette configuration, Ninja Kidz: Time Masters n’offre aucun gain d’intérêt : la lisibilité diminue, les collisions se brouillent, et la redondance s’intensifie.
Le résultat est clair : aucune mécanique n’est exploitée, aucun système n’est approfondi, et le jeu s’effondre sous le poids de son vide.
Un habillage bâclé pour une structure déjà creuse
Visuellement, Ninja Kidz: Time Masters donne le ton dès la première séquence de gameplay : modélisations grossières, textures pauvres, animations rigides et environnements recyclés forment un ensemble qui évoque davantage un prototype qu’un jeu commercial. Le moteur 3D semble appartenir à une époque révolue, sans qu’aucun filtre artistique ne vienne en masquer la pauvreté technique.
Les ennemis, clonés à l’excès, se répètent avec une constance désarmante, parfois simplement recolorés pour donner l’illusion d’une variété qui n’existe pas. Les décors, eux, alternent quelques fonds interchangeables, sans aucune construction de scène, ni effet de profondeur. La monotonie visuelle s’installe dès les premières minutes et ne sera jamais rompue.
Les rares moments où le jeu semble respirer un peu se trouvent dans les portraits illustrés pendant les dialogues. Les dessins sont clairs, colorés, et parviennent à capter l’œil. Ce faux style manga, sans être remarquable, possède une identité suffisante pour évoquer une tentative de mise en scène. Mais ces séquences sont brèves, figées, et totalement déconnectées de l’esthétique en jeu.
La bande-son, générique et sans nuance, accompagne les combats dans une boucle musicale monotone. Les thèmes n’évoquent ni tension, ni énergie, ni humour. Les bruitages, eux, manquent d’impact. Les coups ne claquent pas, les effets sonores n’accentuent pas l’action, et l’ambiance sonore reste globalement inerte.
L’ensemble, bien que fonctionnel sur le plan technique, ne contient aucun soin, aucun détail, aucun effort de direction artistique. Le jeu tourne sans accroc, mais sans âme. Il s’anime sans jamais donner l’impression d’être vivant.
Quatre modes, zéro contenu
Ninja Kidz: Time Masters multiplie les intitulés pour donner l’illusion d’une richesse de contenu. Mais derrière ses quatre modes de jeu – Histoire, Boss Rush, Partie Rapide et Défis – se cache une seule et unique boucle ludique, sans variation ni mécanique complémentaire. Tous les modes réutilisent les mêmes environnements, les mêmes ennemis, et les mêmes patterns. Aucun n’introduit de nouvelles règles, d’objectifs alternatifs ou de contraintes particulières.
Le mode Histoire constitue l’essentiel du jeu. Il se parcourt en une poignée de niveaux, avec un déroulé strictement linéaire et une difficulté inexistante. Boss Rush enchaîne les quatre affrontements déjà présents dans la campagne principale, sans les réécrire ni les intensifier. Le mode Défis, quant à lui, ne propose que des variations superficielles de niveaux déjà traversés, en modifiant parfois l’ordre ou la densité des ennemis.
La promesse de jeu multijoueur est bien tenue sur le plan technique : jusqu’à quatre joueurs peuvent participer en local, sans latence ni bug. Mais cette option ne change rien à l’équilibre général. L’ajout de joueurs ne modifie ni le rythme des vagues, ni le comportement des ennemis, ni les objectifs. La lisibilité se dégrade, l’ennui s’installe encore plus vite, et l’ensemble se transforme en chaos désorganisé.
Aucune forme de personnalisation, aucun système de progression, aucun contenu à débloquer ne vient enrichir l’expérience. Le jeu se donne intégralement dès la première session, sans proposer la moindre incitation à y revenir. La structure est vide, son emballage dispersé, et les intitulés de modes ne servent qu’à masquer une réalité plus crue : Ninja Kidz: Time Masters n’a qu’un seul niveau de lecture, et il s’épuise en moins d’une heure.
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