Développé par FusionPlay et adapté de la (merveilleuse) série Epic NPC Man de Viva La Dirt League, Nice Day for Fishing est sorti sur Nintendo Switch le 29 mai 2025. Ce RPG en 2D propose une aventure humoristique ancrée dans les codes du jeu vidéo, où vous incarnez Baelin, le légendaire pêcheur non-joueur n’ayant qu’une seule ligne de dialogue, propulsé bien malgré lui dans une quête aux enjeux improbables.
Mais cette mise en abyme parodique tient-elle la canne avec fermeté ou glisse-t-elle dans les eaux trop calmes du clin d’œil vidéoludique ?
Un monde absurde pris au sérieux par un pêcheur sans histoire
L’univers de Nice Day for Fishing s’appuie sur la série Epic NPC Man, avec son mélange de fantasy générique et de méta-commentaire sur les mécaniques de jeu vidéo. Vous incarnez Baelin, un PNJ simplet et répétitif, célèbre pour sa seule réplique : “Nice day for fishing, ain’t it?” — mantra absurde qui devient ici le point de départ d’une aventure bien plus vaste que lui.
L’histoire fonctionne par contraste. Baelin, d’une candeur inébranlable, devient malgré lui le centre d’une quête épique, sans jamais réaliser l’ampleur de ce qu’il traverse. Le monde d’Azerim, volontairement cliché, multiplie les détournements : donjons pleins de bugs narratifs, héros qui meurent à cause d’une IA absente, dialogues qui se désynchronisent. Le jeu joue avec ses propres coutures, moque les tropes du RPG… tout en livrant une aventure étrangement structurée.
Les personnages secondaires, issus de l’univers Viva La Dirt League, s’intègrent avec un soin évident. Des figures comme Greg le marchand ou l’Archimage Baradun, déjà connus des fans, apportent un ancrage comique immédiat. Leur écriture conserve l’esprit de la série : absurde, grinçant, mais jamais paresseux. Chacun existe dans sa propre logique dysfonctionnelle, alimentée par des dialogues volontairement bancals et des situations où le jeu vidéo se retourne contre lui-même.
Le vrai tour de force, c’est Baelin lui-même. Silencieux, statique, passif, il devient le vecteur d’un récit dense par sa seule constance. Le monde s’effondre autour de lui, mais il continue de chercher un bon spot de pêche. Ce décalage permanent crée une forme d’attachement inattendue, un comique de répétition porté jusqu’à l’absurde, puis jusqu’au tragique.
Malgré son ton humoristique, le jeu explore des thématiques surprenantes : le déterminisme des PNJ, la mémoire oubliée des mondes persistants, le non-sens des quêtes secondaires. Sans jamais tomber dans le pathos, il réussit à injecter de la mélancolie dans le pastiche, une rareté dans les parodies vidéoludiques.
Une ligne tendue entre duel et dérision
Contrairement à l’image d’une promenade passive ou d’un gag jouable, Nice Day for Fishing repose sur un système de jeu articulé, mécanique, stratifié, où la pêche devient une forme de combat ritualisé. Vous incarnez Baelin, mais cette fois, son mantra de pêcheur se heurte à un monde qui réclame bien plus qu’une canne et un bon spot.
Chaque affrontement avec un poisson est un duel en temps réel, rythmique, où l’on doit alterner attaque, défense, tension de ligne, utilisation d’objets ou de sorts. Le combat de pêche n’est pas une métaphore ici : c’est le cœur ludique du jeu, une mécanique précise, souvent punitive, et toujours imprégnée d’un humour de détournement. Vous n’attrapez pas des carpes. Vous terrassez des entités. Des boss. Des aberrations aquatiques.
Ce système s’appuie sur une progression RPG formelle : chaque poisson vaincu rapporte or, ressources, et objets utiles à la reconstruction de Honeywood, votre village. En restaurant des bâtiments, vous débloquez nouvelles zones, nouveaux équipements, et surtout de nouvelles couches de jeu. Ce n’est pas une expérience statique : c’est un enchaînement de boucles mécaniques qui montent en intensité.
Le level design repose sur une série de biomes interconnectés. Chacun contient ses propres espèces, ses propres secrets, ses exigences d’équipement. L’exploration est restreinte par votre matériel, à la manière d’un métroidvania inversé, où la canne, les appâts ou la ligne remplacent grappin, double saut ou clef magique.
Le jeu vous pousse à revenir, à améliorer, à insister. Chaque poisson est un puzzle avec une fenêtre d’exécution, chaque zone une énigme écologique à résoudre. Ce n’est pas un jeu contemplatif. C’est un jeu stratégiquement tendu, mécaniquement actif, volontairement absurde dans son thème, mais rigoureux dans son exécution.
Un diorama moqueur dans un monde sous verre
Nice Day for Fishing adopte une direction artistique en 2D dessinée à la main, à la fois colorée, minimaliste et volontairement figée. Chaque zone du jeu fonctionne comme un décor de théâtre : arrière-plans plats, animations exagérées, transitions en fondus bruts. Ce choix visuel n’est pas un défaut, mais un commentaire intégré : vous ne traversez pas un monde vivant, mais une simulation dont les failles sont visibles à l’œil nu.
Les personnages sont caricaturaux dans leurs proportions, leurs expressions, leurs mouvements. Leur design évoque le papier découpé, avec des animations rigides et mécaniques, accentuant l’effet “PNJ buggué dans un vieux RPG”. L’univers d’Azerim, s’il multiplie les biomes classiques – forêt, taverne, grotte, donjon – les présente comme des décors de série B, bourrés de détails volontairement redondants ou anachroniques.
Chaque plan regorge de petites anomalies visuelles : murs mal alignés, sprites flottants, effets de lumière incohérents. Ces défauts sont voulus, intégrés dans la logique du jeu, et participent à une esthétique du décalage, proche de ce qu’avait tenté The Stanley Parable dans un cadre 3D.
Sur Switch, le rendu reste fluide, sans artefact ni bug technique. Les transitions entre scènes sont instantanées, les effets visuels – bien que limités – sont nets, et l’interface est parfaitement adaptée à la console. Aucun ralentissement, aucun freeze : la mise en scène bancale est une intention, pas une erreur de portage.
Côté sonore, le jeu mise sur une bande-son volontairement absente ou dérisoire. La plupart du temps, seuls les bruits ambiants sont présents : un grincement de taverne, une rivière sans volume, une foule sans voix. Quand la musique intervient, c’est de façon comique : un thème épique pour un événement mineur, une fanfare midi pour un moment dramatique, un silence de mort après une révélation.
Les doublages, assurés par les membres de Viva La Dirt League, sont volontairement amateurs dans le ton mais parfaitement calés dans le style du jeu. Leurs voix, parfois exagérées jusqu’à l’absurde, collent à l’univers moqueur, et renforcent la sensation d’être dans une pièce de théâtre vidéoludique jouée par des figurants conscients de leur rôle.
L’ensemble graphique et sonore forme une cohérence de l’absurde : un monde cassé qui s’assume comme tel, et qui en fait sa force comique et critique.
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