Dans l’arène saturée des collaborations improbables, Neptunia X Senran Kagura: Ninja Wars s’impose comme l’archétype d’un projet pensé pour un public ciblé, fidèle, acquis d’avance. Développé par Tamsoft et Compile Heart, ce hack’n’slash RPG réunit les icônes de deux séries phares du jeu vidéo japonais : Neptunia, satire méta du marché vidéoludique, et Senran Kagura, beat’em all érotico-burlesque centré sur des ninjas aux physiques surdimensionnés.
Sorti initialement en 2021 sur PS Vita, puis porté sur Nintendo Switch en 2022, le jeu a traversé l’Occident dans un anonymat relatif, à mille lieues de l’aura quasi religieuse qu’il suscite au Japon. Et pourtant, derrière l’emballage rose bonbon et les courbes généreuses, se cache une proposition étonnamment structurée, animée par une maîtrise des codes du genre et une volonté d’assumer jusqu’au bout son identité hybride.
Mais cette fusion de deux univers réputés pour leur fanservice effréné peut-elle séduire au-delà de son cercle d’initiés ? Ou s’agit-il d’un simple objet de niche, enfermé dans sa propre grammaire ? La réponse se cache quelque part entre deux kunais.
Ninjas, rivalités et scénographie calibrée
Neptunia X Senran Kagura: Ninja Wars déroule un récit conçu comme un prétexte assumé à la confrontation de deux mythologies vidéoludiques, dans un Japon féodal réinventé. Exit les dimensions parallèles et les pirouettes habituelles du crossover : ici, Compile Heart et Tamsoft proposent une intrigue originale, centrée sur deux clans de kunoichi rivales, opposées depuis des générations dans une guerre sans fin.
Le clan Heartland est mené par Neptune, Noire, Blanc et Vert — figures emblématiques de Neptunia dans leur forme divine. Le clan Marveland, quant à lui, regroupe les guerrières de Senran Kagura : Asuka, Homura, Yumi et Miyabi. Lorsque des machines ninja surgissent pour semer le chaos au nom d’une troisième faction inconnue, les deux camps se voient contraints de s’unir, mettant de côté leur rivalité ancestrale pour sauver leur monde d’un nouvel envahisseur.
Le jeu intègre également deux personnages inédits, Yuuki et Goh, conçus spécifiquement pour ce volet. Mais aucune d’entre elles n’est véritablement approfondie. Chacune reçoit son lot de dialogues, de saynètes et de séquences iconiques, dans une répartition équitable mais sans relief : un traitement narratif par quotas, qui sacrifie la tension dramatique sur l’autel du fan service.
Le ton général oscille entre parodie légère, affrontements ritualisés et dialogues saturés de clins d’œil. Aucune ambition épique, aucune volonté d’explorer les conséquences ou la complexité du conflit. L’objectif est ailleurs : offrir à chaque héroïne son moment de gloire, sans hiérarchie ni progression réelle.
Entièrement en anglais, le jeu reste hermétique aux non-initiés. Les sous-entendus culturels, les jeux de mots et les références aux univers d’origine se perdent sans localisation adaptée. Et si l’écriture évite les excès de vulgarité, le sous-texte érotique omniprésent impose une lecture très codifiée, destinée à un public averti.
Combo culture et découpes calibrées
Neptunia X Senran Kagura: Ninja Wars adopte une structure de hack’n’slash A-RPG en arène, où la vitesse d’exécution prime sur la profondeur mécanique. Le gameplay repose sur une alternance de niveaux fermés, découpés en couloirs étroits et en zones de combat, dans une logique héritée de l’ère PS Vita. Pas d’exploration, peu de verticalité : un schéma strictement utilitaire, conçu pour maintenir un rythme constant.
Le joueur constitue une équipe de deux héroïnes à choisir parmi dix personnages jouables. Changement à la volée, combos simples, attaques spéciales contextuelles, chaque affrontement est pensé pour être dynamique, immédiat, viscéral. Toutes les combattantes partagent le même squelette de commandes — attaques légères, esquive, garde, techniques assignées — mais se distinguent par leur portée, leur vitesse et leur type d’arme. Noire excelle dans l’assaut rapide, Blanc domine les groupes grâce à son bâton, Vert attaque à distance : des variations suffisantes pour créer une impression de diversité.
Le système de compétences repose sur un schéma connu : maintien d’une gâchette pour accéder à quatre attaques spéciales paramétrables, à déclenchement rapide. L’ensemble est fluide, précis, sans latence, et surtout porté par une ergonomie exemplaire, qui rend le jeu accessible sans sacrifier le plaisir de la maîtrise.
L’une des meilleures idées du titre réside dans son système de lock automatique intelligent, qui oriente chaque coup vers la cible la plus proche sans affichage visible. Cette assistance discrète évite les frappes dans le vide, supprime la frustration et renforce la sensation de contrôle absolu. De plus, les boss introduisent une mécanique de “break gauge” : une jauge secondaire qui, une fois vidée, permet de stagger l’adversaire pour infliger des dégâts accrus. Une boucle classique, mais efficace.
En revanche, aucune évolution structurelle ne vient renouveler la formule. Les niveaux s’enchaînent sans variation majeure, la mise en scène reste minimale, et le level design se contente d’un balisage fonctionnel. L’ensemble repose uniquement sur la qualité des combats — ce qui suffit pendant une dizaine d’heures, mais s’épuise à mesure que les mécaniques stagnent.
Papier glacé et reflets en cell-shading
Sur le plan visuel, Neptunia X Senran Kagura: Ninja Wars s’appuie sur une direction artistique stylisée, efficace et cohérente avec ses origines console portable. Le character design — qu’il s’agisse des modèles 3D ou des portraits 2D en dialogue — est d’un soin remarquable, affichant une lisibilité parfaite et un sens du détail précis dans les animations d’attaque, les expressions faciales ou les transitions entre poses de combat.
Les héroïnes sont, sans surprise, mises en scène sous un angle purement iconographique : plans fixes suggestifs, pauses clinquantes, effets de lumière sur les silhouettes. Rien n’est laissé au hasard. Le fanservice, bien que moins outrancier que dans certains opus de Senran Kagura, reste omniprésent dans la mise en image.
Mais si les personnages bénéficient d’un traitement soigné, les environnements trahissent clairement les limites de production. Les décors sont répétitifs, vides, constitués de couloirs uniformes menant à de petites arènes sans relief. Textures baveuses, éclairage absent, arrière-plans statiques : rien ne vient sublimer l’action. Le contraste entre la richesse visuelle des modèles et la pauvreté des décors renforce le sentiment d’un produit calibré pour l’efficacité, non pour l’immersion.
Sur Switch, le portage tient la route. Fluidité correcte en docké, quelques chutes en portable, mais jamais au point de nuire au gameplay. Les temps de chargement restent acceptables, et les animations sont stables, sans bug visuel majeur.
La bande-son, quant à elle, se montre fonctionnelle mais peu marquante. Quelques thèmes dynamiques accompagnent les combats, avec une instrumentation électronique passe-partout. Aucun morceau ne s’impose comme un leitmotiv fort, mais l’ensemble soutient correctement l’action sans jamais saturer l’espace sonore. Les bruitages sont nets, les effets percutants, et les voix japonaises convaincantes — même si l’absence totale de doublage anglais restreint une partie de la réception occidentale.
Contours portables, fondations figées
Neptunia X Senran Kagura: Ninja Wars conserve l’architecture d’un jeu pensé pour console portable, avec des missions courtes, une carte-hub minimaliste, des objectifs rapides à enchaîner et une absence totale d’exploration libre ou de progression secondaire. Chaque niveau est un enchaînement d’arènes, ponctué de dialogues en visual novel statique, sans cutscene animée ni mise en scène dynamique.
La structure est simple : un centre de commandement permet de choisir les missions, d’accéder à la boutique, de gérer l’équipement et de consulter les dialogues annexes. Mais aucun contenu secondaire ne vient étoffer l’ensemble. Pas de quêtes annexes, pas de secrets à découvrir, pas de mécaniques sociales ou d’arcs narratifs parallèles. L’expérience est intégralement contenue dans sa campagne principale.
Le système d’évolution repose sur un arbre de techniques rudimentaire, couplé à une gestion d’équipement simplifiée via des talismans à effets passifs. Aucune personnalisation poussée, pas de build spécifique, pas de système d’artisanat ou de stats complexes. Le but est limpide : rester accessible, rythmé, immédiat.
Côté technique, le portage Switch est propre. Le jeu tourne sans accroc majeur, avec un framerate stable et des temps de chargement raisonnables. Aucune fonctionnalité tactile, aucun ajout spécifique au support, mais une stabilité globale satisfaisante pour ce type de production.
Enfin, le contenu global reste modeste. Comptez une quinzaine d’heures pour voir le bout du scénario, sans mode New Game+, sans défis annexes, ni système de récompense post-crédit. Le jeu s’arrête là où il commence : sur une boucle maîtrisée, mais limitée.
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