My Hotel, développé par BrainSwapper et publié par CreativeForge , vous enferme dans les murs fatigués du Griffin Royal, établissement à l’abandon, hérité avec ses dettes, ses souvenirs… et un cadavre.
Sorti sur PC le 15 novembre 2024, ce jeu hybride mêle gestion réaliste et enquête criminelle, dans un Chicago réimaginé des années 1950, gangrené par les mafias et les secrets de famille. Pas de tutos, pas de carte postale. Juste un hôtel à faire revivre, pièce par pièce, tout en déterrant les ruines morales de ceux qui l’ont habité.
Mais My Hotel est-il un vrai jeu de stratégie narrative, ou seulement un hall vide aux ambitions floues ?
Fantômes domestiques et loyautés viciées
Tout commence dans le marbre fissuré d’un héritage maudit. Vous êtes Thomas Griffin, dernier descendant d’un nom que plus personne ne prononce, contraint de reprendre un hôtel dont la grandeur passée se dissout dans la rouille et les rumeurs. Dans My Hotel, il ne s’agit pas seulement de repeindre les murs : il s’agit de fouiller un crime, de reconstruire un mensonge, de dompter une époque.
Le récit gravite autour du meurtre jamais élucidé de votre oncle, William, dont le corps fut retrouvé dans l’hôtel des années auparavant. À travers les dossiers, les conversations, les choix politiques et les alliances douteuses avec les cinq factions de la ville — police, mafia, syndicats, influence locale et réseaux commerciaux —, vous assemblez les fragments d’un puzzle que personne ne veut vraiment voir reconstitué.
La force du jeu, c’est cette idée de double narration : une progression économique qui masque une enquête intime. Chaque rénovation devient un acte de mémoire. Chaque partenariat, un compromis moral. Et chaque nouvel employé, un témoin à interroger ou à surveiller.
Mais cette promesse narrative, pourtant puissante, n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Les dialogues sont souvent fonctionnels, rarement incisifs. Les personnages secondaires manquent d’épaisseur, se réduisant trop souvent à des archétypes : la secrétaire loyale, le détective fatigué, le chef de gang suave. Même Thomas, pourtant bien campé en surface, souffre d’un manque de nuance au fil des événements. Son évolution psychologique, annoncée comme centrale, se dilue dans la mécanique de gestion.
Et si certains choix influencent vraiment les branches de l’histoire, le système d’influence manque de clarté. La progression morale entre les factions, leurs retours, leurs trahisons, manquent de mordant, comme si le scénario voulait provoquer un dilemme sans jamais oser le faire saigner.
My Hotel pose les bonnes questions. Mais trop souvent, il les laisse suspendues dans le vide. Entre enquête à potentiel et écriture tiède, le jeu vacille, incapable de trancher entre le thriller et le simulateur de dossiers.
Rénovation de façade et mécaniques branlantes
My Hotel n’est pas un city-builder. Ce n’est pas non plus un jeu d’enquête classique. C’est une tentative d’assemblage : gestion immobilière et récit criminel, dans un cadre semi-réaliste qui cherche à évoquer la pression économique d’un hôtel en déclin autant que la tension d’une investigation privée. Mais ce croisement de genres, aussi séduisant sur le papier, souffre d’un déséquilibre structurel constant.
La partie gestion repose sur des mécaniques connues : vous devez rénover les étages, gérer les chambres, placer les installations (toilettes, ascenseurs, réception, etc.), recruter du personnel, fixer les tarifs et maintenir une bonne réputation. L’argent coule lentement, les réparations coûtent cher, et les décisions ont des effets à retardement. Le rythme est volontairement lent, presque pesant, à l’image de l’hôtel lui-même.
Mais cette couche économique, malgré son potentiel, manque de profondeur stratégique. Le placement des éléments est basique, les optimisations sont faibles, et les revenus finissent par se stabiliser sans réel challenge. La complexité annoncée dans la communication autour du jeu se réduit trop souvent à des routines mécaniques sans grande tension. À l’exception de quelques événements ponctuels, le jeu se contente de vous faire tourner les clés du système sans jamais vraiment forcer à repenser votre plan.
Côté jeu narratif, vos interactions avec les factions influencent des missions secondaires, débloquent des rénovations prioritaires ou des avantages économiques. Vous pouvez accepter ou refuser des “services”, cacher des cadavres, trafiquer des dossiers, ou soudoyer les autorités pour obtenir un silence utile. Mais là encore, le système paraît trop discret, trop opaque : les conséquences de vos choix sont rarement claires, et le sentiment d’impact peine à s’installer durablement.
Le plus frustrant reste l’enquête elle-même. Si quelques séquences de recherche et d’analyse apportent une respiration bienvenue, elles sont trop rares, trop simples, trop scénarisées. Il n’y a ni déduction libre, ni croisement d’indices. Les dialogues à choix sont trop superficiels pour faire illusion, et le cœur du jeu reste dominé par la gestion hôtelière plutôt que par l’investigation.
My Hotel aurait pu être un jeu d’alliances, de mensonges, de stratégie narrative. Il est, au mieux, un simulateur de paperasserie mafieuse, avec quelques éclairs de tension, vite étouffés sous une interface rigide et un game design sous-exploité.
Velours râpé et jazz fantôme
Visuellement, My Hotel s’inscrit dans un réalisme discret, presque poussiéreux. L’ambiance Chicago années 50 est bien là, entre moquette défraîchie, boiseries écaillées, enseignes lumineuses à moitié éteintes et mobilier patiné par l’oubli. Le jeu déploie une direction artistique cohérente, mais sans flamboyance. L’architecture intérieure du Griffin Royal impose une atmosphère feutrée, mélancolique, mais le manque de variété visuelle finit par étouffer la surprise.
Les personnages sont modélisés de manière correcte mais sans finesse. Les animations faciales, en particulier, manquent de souplesse, et les postures rigides de certains PNJ nuisent à l’impact émotionnel des scènes. Si certains moments bénéficient d’une mise en scène plus soignée — notamment les rares séquences d’enquête ou de confrontation —, le reste de l’expérience visuelle reste fonctionnel, mais jamais marquant.
L’éclairage participe à l’ambiance : lumières tamisées, ombres portées, reflets ternes sur les sols cirés. Le jeu cherche une forme d’élégance rétro, mais échoue à produire des tableaux visuellement mémorables. Les effets météo, inexistants, et l’absence de cycle jour/nuit renforcent la sensation d’immobilisme.
Côté sonore, My Hotel fait le choix d’un jazz discret, de fonds sonores ambiants et d’un habillage musical presque transparent. Les morceaux s’effacent derrière les sons du quotidien : le grincement d’un ascenseur, le claquement des portes, le brouhaha lointain du lobby. Cette discrétion est assumée, mais parfois trop poussée : l’ensemble finit par manquer de tension.
Les doublages sont présents, mais inégaux. Si Thomas bénéficie d’une voix crédible et mesurée, certains PNJ secondaires sonnent artificiels, avec une diction monocorde ou des intonations mécaniques. Les scènes plus dramatiques en souffrent directement.
Au final, My Hotel pose les bons jalons atmosphériques, mais ne parvient pas à les sublimer. Il évoque plus qu’il ne construit, suggère plus qu’il n’imprime. Une ambiance en sourdine, comme un vieux poste de radio captant les murmures d’un passé qui ne veut plus parler.
Velours usé, lustres aveugles et murmures d’époques révolues
Dès l’écran titre, My Hotel impose un style visuel assumé : un mélange d’Art déco et de réalisme poussiéreux, où chaque salle rénovée semble exhaler les souvenirs de ses anciens locataires. Les textures sont volontairement imparfaites, les murs suintent d’une humidité discrète, et les décors racontent, à leur manière, le poids du passé. On ne visite pas un hôtel de luxe ici. On rouvre un mausolée en faillite.
Mais ce choix esthétique, aussi cohérent soit-il, souffre techniquement. Les modèles 3D sont rigides, les animations des personnages secondaires parfois bancales, et certaines zones manquent cruellement de détails ou de variété. Les clients déambulent comme des automates, les gestes sont limités, et l’atmosphère visuelle finit par perdre sa force à mesure que l’on constate l’absence de vie réelle.
La lumière, en revanche, est traitée avec soin. Les néons vibrent, les reflets sur le parquet ciré des suites VIP oscillent subtilement, et les intérieurs plongés dans une pénombre feutrée évoquent autant le luxe ancien que la menace sous-jacente. Le jeu maîtrise ses cadrages, surtout lors des séquences plus narratives : un plan sur un miroir fissuré, un regard à travers une porte entrouverte, un contre-jour sur un homme qui fume — autant de tableaux silencieux, fugaces mais marquants.
Côté sonore, My Hotel déploie une ambiance jazzy, discrète, mais pesante. Saxophones mélancoliques, piano désaccordé, cuivres étouffés : la musique ne cherche pas à divertir, mais à glisser un voile sur le décor. Elle évoque une époque qui s’éteint, une élégance en bout de course, une fête qui n’a jamais vraiment commencé.
Les bruitages sont efficaces mais limités : les portes grincent, les fax bourdonnent, les ascenseurs claquent, mais rien ne vient surprendre l’oreille. Certains environnements souffrent d’une ambiance trop plate, où le silence ne dit plus rien. Enfin, le doublage, lorsqu’il existe, oscille entre le crédible et le caricatural — certains personnages secondaires adoptent des accents outranciers ou une diction forcée, brisant parfois la tension dramatique que le reste du jeu tente d’imposer.
My Hotel possède une vraie proposition visuelle et sonore. Mais comme son établissement en ruine, elle vacille, faute d’entretien.
Une réception sans accueil, un confort à l’épreuve
Techniquement, My Hotel tient debout, mais chancelle. Sur PC, le jeu propose une stabilité générale convenable, avec un framerate fluide sur la plupart des configurations moyennes. Pas de crash systémique, pas de bug critique récurrent. Mais de nombreux joueurs remontent des soucis persistants de pathfinding, des PNJ bloqués, ou des séquences de scripts interrompues lors de certaines interactions scénarisées.
L’interface, quant à elle, souffre d’une densité excessive. Les menus sont touffus, mal hiérarchisés, parfois contre-intuitifs. On s’y perd entre les fenêtres de gestion de chambre, les tableaux de réputation, les écrans de factions et les sous-menus de rénovation. Le manque de lisibilité nuit à l’expérience, d’autant plus que peu d’éléments sont expliqués — My Hotel refuse tout didacticiel classique, et l’apprentissage se fait par essais, erreurs… ou frustration.
La compatibilité manette est inexistante à ce jour. Clavier et souris sont donc obligatoires, avec quelques raccourcis personnalisables, mais aucun remapping complet. Le jeu est conçu pour une navigation PC pure, sans ambition multiplateforme apparente.
Sur le plan de l’accessibilité, c’est le néant. Pas de redimensionnement de texte, pas d’option de contraste élevé, pas de filtres visuels, pas de mode simplifié. Même les sous-titres, parfois utiles dans certaines cinématiques, ne sont pas toujours bien synchronisés avec les dialogues, voire absents dans des scènes clés. My Hotel s’adresse à un public capable d’endurer ses angles morts.
Aucun multijoueur, aucune fonction en ligne. Le jeu est entièrement solo, centré sur une expérience narrative cloisonnée. La rejouabilité est faible, malgré quelques variations possibles liées aux factions et à certains embranchements narratifs. La majorité des décisions mènent aux mêmes grandes étapes, avec des changements plus cosmétiques que structurels.
Enfin, plusieurs critiques pointent un manque de contenu à moyen terme. Une fois l’hôtel restauré dans ses grandes lignes, le gameplay stagne. Les routines deviennent prévisibles, les missions de faction répétitives. Et faute de fin marquante ou de nouveaux défis, le jeu s’éteint doucement avant même de clore son récit.
My Hotel est un projet ambitieux, mais encore trop brut, trop aride, trop incomplet pour vraiment convaincre sur la durée.
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